DAVID ET JONATHAS

PROLOGUE

SCENE PREMIERE

Saül
Ou suis-je ? qu’ai-je fait ? le Ciel prest à frapper
Peut-être en ce moment n’attend qu’un nouveau crime.
D’un trop juste couroux malheureuse victime,
Au bras qui me poursuit puis-je encor échapper ?
Fuions, fuions… que dis-je ? Et mon ame incertaine
Ne pourra-t-elle enfin jamais se rassûrer ?
Auteur et témoin de ma peine
Parle ; de tes bontez que faut-il espérer ?
Que dois-je craindre de ta haine ?
 
Helas ! rien ne répond ! desespéré, confus…
Ah ! cessez vains remords que je n’écoute plus.
C’est trop, c’est trop attendre :
Achevons : l’Enfer seul doit m’annoncer mon sort.
Puisque le Ciel toûjours refuse de m’entendre,
Je viens icy chercher ou la vie, ou la mort.

SCENE SECONDE

Saül, la Pythonisse
Saül
Dois-je enfin éprouver le secours de vos charmes ?
La Pythonisse
Allez, allez ; l’Enfer va répondre à vos vœux.
Saül
Aprés de mortelles allarmes
Il est l’unique espoir qui reste aux malheureux.
Saül, la Pythonisse
Aprés de mortelles allarmes
Il est l’unique espoir qui reste aux malheureux.

SCENE TROISIEME

La Pythonisse
Retirez-vous affreux Tonnerre.
Orages calmez-vous. Vents soumis à mes loix,
Que rien ne trouble icy la Terre :
Je veux jusqu’aux Enfers faire entendre ma voix.
 
Et vous que j’ai formez, venez nüages sombres
Dans vos voiles épais ensevelir ces lieux.
Répands, obscure nuit, et l’horreur et les Ombres :
L’Enfer ne peut souffrir la lumiere des Cieux.
 
Qu’entends-je ? sous mes pas déja la terre tremble.
Tout m’obéit ; tout céde à mes charmes vainqueurs.
Esprits que mon ordre rassemble,
Venez, venez Démons ; secondez mes Fureurs.
Une troupe de Démons se présente à la Pythonisse ; & elle appelle Samüel.
Ombre, c’est moi qui vous appelle.
En vain dans le séjour des morts
Vous goûtez les douceurs d’une Paix eternelle :
Reconnoissez ma voix, cedez à mes efforts.
Ombre, c’est moi qui vous appelle.
Les Démons qui s’étoient prosternés,
témoignent à la Pythonisse que rien ne paroît.
Quoi ! je parle, et l’Enfer autrefois si Fidelle
Commence en ce moment à ne plus m’écouter !
Quel transport me saisit ? la mort, la mort cruelle
Pour la premiere fois a pû me resister !
Elle n’a point de loi qui vous doive arrester,
Ombre, c’est moi qui vous appelle.
Les Démons disparoissent.
Une subite horreur leur fait quitter ces lieux !
Qu’ont-ils veû ?… que vois-je paroître ?
Samüel paroît, & Saül entre au cri de la Pythonisse.
Un Dieux, Seigneur, un Dieu se présente à mes yeux !
A Saül :
Et je commence, helas ! trop tard à vous connoître.

SCENE QUATRIEME

L’ombre de Samuel, Saül, la Pythonisse
L’ombre
Quelle importune voix vient troubler mon repos ?
Saül
Dans la vive douleur dont mon ame est atteinte,
Vous que je vis toûjours si sensible à mes maux,
Helas ! daignez entendre encor ma triste plainte.
L’ombre
Temeraire où vas-tu ? quel criminel effort
T’a fait précipiter et ta honte et ta mort ?
Enfans, Amis, Gloire, Couronne,
Le Ciel va te ravir tout ce qu’il t’a donné.
Aprés tant de faveurs, ingrat, il t’abandonne,
Comme tu l’as abandonné.
Samüel disparoît.

SCENE CINQUIEME

Saül, la Pythonisse
Saül
Est-ce assez ? ai-je enfin épuisé ta colere ?
Juste Ciel ! as-tu mis le comble à ma misere ?
Et la Terre et l’Enfer conspirent contre moi !
Tonne, frappe ; c’est tout ce que j’attends de Toi.
La Pythonisse
Seigneur…
Saül
Seigneur…J’entends déja la foudre sur ma teste…
Sur moi, sur Jonathas elle doit éclater.
Le sceptre que je perds, David le va porter !
Qu’il joüisse à son gré d’une injuste conqueste :
Dieu vangeur à tes coups je me vas présenter.
 

ACTE PREMIER

SCENE PREMIERE

Troupes de guerriers, de pasteurs et de captifs.
Un guerrier
Du plus grand des Heros publions les exploits ;
Peuples, Guerriers, Pasteurs il fait cesser vos peines.
Et vous qu’il a vaincus, Captifs, brisez vos chaines,
L’amour, le seul amour nous soumet à ses loix.
Un berger
Le Ciel dans nos bois le fit naitre ;
Et jamais au bord des ruisseaux
Dans nos jeux innocens on ne le vit paraître
Qu’avec mille charmes nouveaux.
Vainqueur des fiers lions, content de sa victoire,
Aux douceurs de son sort il bornoit tous ses vœux.
Ah ! peut-être avec moins de gloire
Ce Berger vivoit plus heureux.
Trois bergers
Ah ! peut-être avec moins de gloire
Ce Berger vivoit plus heureux.
Un guerrier
Jeune, et terrible dans la Guerre,
Nous l’avons veû cent fois au-milieu des combats,
Seul voler aux dangers et braver le trépas.
Le Dieu qui lance le Tonnerre,
Fait marcher en tous lieux l’effroi devant ses pas.
L’affreux Geant ne lui resista pas.
Non, non, le reste de la Terre
N’eust point couté plus d’efforts à son bras.
Chœur
L’affreux Geant ne lui resista pas.
Non, non, le reste de la Terre
N’eust point couté plus d’efforts à son bras.
Deux captifs
Cedons ; rien ne peut se deffendre.
Ce Heros sçait charmer jusqu’à ses ennemis.
A ses attraits on en a veû se rendre,
Plus que son bras n’en a soûmis.

SCENE SECONDE

David, troupes etc
David
Allez, le Ciel attend un légitime hommage.
Il a conduit nos pas ; il a vaincu pour nous.
Sans me laisser flatter d’un injuste partage,
Au pied de nos Autels je vais me joindre à vous.

SCENE TROISIÈME

David
Ciel ! quel triste combat en ces lieux me rappelle ?
Puis-je oublier quel sang à mes yeux va couler ?
Perfide ami, sujet rébelle,
C’est Saül qu’il faut immoler
A ma vangeance criminelle !
Jonathas tant de fois me vit renouveller
Mille sermens d’une amour mutuelle :
Helas il fut toujoûrs Fidelle,
Moi seul je puis les violer !
 
Non, non, vous ne pouver flatter ma peine extréme
Ambitieux desirs d’un triomphe odieux.
Quoi-qu’ordonne le sort : vaincu, victorieux,
Moi-mesme je péris, ou je perds ce que j’aime.
 
Toi qui m’as soutenu toûjours,
En ce triste moment mon unique recours,
Tu peux encor, Dieu que j’adore,
Sensible à nos malheurs en arrester le cours.
Du moins, mesme au prix de mes jours,
Accorde à Jonathas le secours que j’implore.

SCENE QUATRIÈME

Achis, David, troupes de guerriers, de captifs, etc.
Achis
Le Ciel enfin favorable à mes vœux
Vous raméne, Seigneur, et nous rejoint tous deux.
La Victoire partout à vos loix asservie
Confond les vains projets d’une secrette envie.
Venez ; qu’un Peuple entier conspire contre nous ;
Toûjours à ses Fureurs que Saül s’abandonne ;
Le péril n’a rien qui m’étonne,
Si je puis combattre avec vous.
David
Ah ! d’un foible secours que pouvez-vous attendre,
Seigneur ?
Achis
Seigneur ?Tout ce qu’en craint Israël allarmé,
Tout ce que peut un bras à vaincre accoûtumé.
Bientost icy Saül avec moi doit se rendre ;
D’un funest combat il veut se dégager :
Parlez, c’est de vous seul que mon choix va dépendre.
David
Trop long-temps la discorde a sçu nous partager.
Pour jamais que la Paix nous lie.
Aisément un grand cœur oublie
Le soin fatal de se vanger.
Achis et David
Aisément un grand cœur oublie
Le soin fatal de se vanger.
Achis
Goutez, goutez les fruits d’une illustre victoire ;
Triomphez, Heros glorieux.
Il a brisé vos Fers, Captifs, chantez sa gloire.
Que mille-fois son nom retentisse en ces lieux.
Chœur des captifs
en mettant leurs chaînes aux pieds de David.
Goutez, goutez les fruits d’une illustre victoire ;
Triomphez, Heros glorieux.
Deux captifs
Aprés les Fureurs de l’Orage,
Pourquoi plaindre les maux que le calme a couté ?
Qu’il est doux de penser aux horreurs du naufrage,
Quand le péril est évité !
Un cœur n’a jamais bien gouté,
Sans les rigueurs de l’esclavage,
Les douceurs de la liberté.
Chœur
Un cœur n’a jamais bien gouté,
Sans les rigueurs de l’esclavage,
Les douceurs de la liberté.
 

ACTE SECOND

SCENE PREMIÈRE

Joadab, David.
Joadab
Quel inutile soin en ces lieux vous arreste ?
Le Ciel au rang des Rois semble vous appeller.
Hâtez vous d’achever une illustre conqueste ;
Toûjours à la Victoire un Heros doit voler.
David
Entre la Paix & la Victoire
Un Heros peut se partager.
Dans un heureux repos, dans l’horreur du danger,
S’il sçait également trouver par tout la gloire,
Un Heros peut se partager
Entre la Paix & la Victoire.
Chœur de la suite de Joanathas qu’on entend & qu’on ne voit point
Suivez-nous, suivez-nous,
Plaisirs, faites briller vos charmes les plus doux.
David
Auprés de Jonathas, Seigneur, l’amour m’appelle.
Chœur
Suivez-nous, suivez-nous,
Plaisirs, faites briller vos charmes les plus doux.

SCENE SECONDE

Joadab, chœurs de la suite de David & de Jonathas qu'on entend & qu'on ne voit point.
Joadab
Dépit jaloux, haine cruelle,
Venez ; il est temps d’éclater.
Puis-je autrement calmer une douleur mortelle ?
Le Ciel ne cesse point de me persécuter.
Venez, il est temps d’éclater
Dépit jaloux, haine cruelle.
Chœurs
Tout suit vos vœux ;
Cessez de craindre.
Tout suit vos vœux,
Amis heureux.
Des fureurs de la Guerre est il tẽps de vous plaindre,
Quand le Ciel pour jamais veut vous unir tous deux ?
Amis heureux,
Cessez de craindre :
Amis heureux,
Tout suit vos vœux.
Joadab
David au comble de la Gloire,
Cherche à joüir en paix de ses nobles travaux.
Toi seul, témoin de sa Victoire,
Va lâche, va languir dans un honteux repos.
Chœurs
Que la Paix regne sur la Terre ;
Pour elle tous les cœurs sont faits.
Que cherche un Héros dans la Guerre,
Autre chose que la Paix ?
Joadab
C’est trop ; à ma fureur je veux que tout réponde.
Toûjours d’un vain soupçon facile à prévenir,
Il faut contre David que Saül me seconde.
Son bonheur est un crime, et je dois l’en punir.
 
Dépit jaloux, haine cruelle,
Venez ; il est temps d’éclater.
Puis-je autrement calmer une douleur mortelle ?
Le Ciel ne cesse point de me persécuter.
Venez, il est temps d’éclater
Dépit jaloux, haine cruelle.

SCENE TROISIÈME

David, Jonathas, troupes de la suite de l'un & de l'autre.
Jonathas
A vostre bras Vainqueur rien ne peut résister,
Je vous revoi comblé d’une gloire nouvelle.
Mais puis-je me flatter,
De vous revoir fidelle ?
David
Je puis au-milieu des combats
Eprouver à mon tour la Victoire volage.
Que le Ciel en couroux m’abandonne à l’orage ;
Tout changeroit pour moi ; je ne changerois pas.
David et Jonathas
Goutons, goutons les charmes
D’une aimable Paix.
Les soins et les allarmes
Cessent pour jamais.
Goutons, goutons les charmes
D’une aimable Paix.
Un de la suite de Jonathas
Tout finit dans la vie.
L’Hiver a son temps :
D’un heureux Printemps
Sa rigueur est suivie :
Vous seuls, tendres Amis, soiez toûjours constants.
Goutons, goutons les charmes
D’une aimable Paix.
Les soins et les allarmes
Cessent pour jamais.
Chœur
Les soins et les allarmes
Cessent pour jamais.
Goutons, goutons les charmes
D’une aimable Paix.
David
Bergers, le Ciel enfin a calmé son couroux.
Trois bergers
Venez, venez tous
Avec nous
Joüir des plaisirs les plus doux.
Deux de la suite de David & de Jonathas
Cessez aprés les peines
Regrets superflus.
Les momens perdus
Ont coulé comme l’Onde, & et reviennent plus.
Doux repos tu raménes
Les ris & les jeux.
Dés qu’on est sans eux,
Rien ne plaît à nos cœurs ; on ne peut vivre heureux.
Chœur des bergers
Venez, venez tous
Avec nous
Joüir des plaisirs les plus doux.
I. berger
De nos jeux innocens quel cœur n’est point jaloux ?
II. bergers
Nos vœux, tristes Hõneurs, ne sont jamais pour vous.
Chœur
Venez, venez tous
Avec nous
Joüir des plaisirs les plus doux.
Les violons continüent la Chaconne pour interméde.
 

ACTE TROISIÈME

SCENE PREMIÈRE

Saül, Achis.
Saül
Ah ! je dois assûrer & ma vie & l’Empire.
Une trompeuse Paix m’exposoit au danger,
De périr sous les coups d’un traître qui conspire.
Ou vangez-moi, Seigneur ; ou je cours me vanger.
Achis
Toujours vous écoutez un soupçon qui l’outrage ?
Il a pû vous ravir & le sceptre & le jour ;
Vous vivez, vous regnez : que faut il davantage ?
David pouvoit-il mieux vous prouver son amour ?
Saül
Seigneur, il me doit Tout. Une noble alliance
Couronna ses exploits, releva sa naissance.
Achis
En vain au plus haut rang vous l’avez fait monter ;
Sans cesse vous cherchez à l’en précipiter.
Saül
Il fut toujours rebelle
Après tant de faveurs.
Achis
Il est toujours fidelle
Malgré tant de rigueurs.
Saül et Achis
Apprenez, apprenez, Seigneur, à le connoître.
Après tant de faveurs Malgré tant de rigueurs,
Il est toujours Rebelle/Fidelle & le veux toujours être.
Saül
Content de sa Victoire, en ce jour glorieux
Il vient faire éclater son triomphe à mes yeux.
Achis
Bientost vous le verrez paraître.
Lui-mesme devant vous il se deffendra mieux.

SCENE SECONDE

Saül
Objet d’une implacable haine,
Je sens le triste effet d’un arrest rigoureux.
Tout me trahit ! tout redouble ma peine !
Ah ! que faut-il encor pour perdre un malheureux ?
 
Ingrat ! le Ciel punit une mortelle offence.
Confus & soûmis à sa loi
Ton cœur lui-mesme approuve une juste vangeance,
Et te condamne malgré toi.
 
Helas ! à me percer quelle main se préparer ?
Peut être Jonathas à ma perte animé...
Non, ne l’accusons point de ce dessein barbare :
Il est trop genereux, & je l’ai trop aimé.
 
David seul en secret espére me surprendre.
Un ennemi caché frappe plus sûrement.
Troublons tout. Je ne puis autrement m’en défendre.
Du moins, s’il faut perir, perissons noblement.

SCENE TROISIÈME

DAVID, JONATHAS, JOADAB, TROUPES etc.
Jonathas à Saül
David peut-il attendre un regard favorable ?
Ce soin aprés la Paix doit encor m’allarmer
Seigneur, puis-je l’aimer
Sans devenir coupable ?
Saül à David
Vous-mesme vous troublez le cours de vos exploits !
Toujours Victorieux pourquoi quitter les armes ?
La Paix pour un Héros a-t-elle tant de charmes ?
Achevez de soumettre Israël à vos loix.
David
Je vous revoi ; d’une autre gloire,
Seigneur, je ne suis plus jaloux.
Il n’est point à mon cœur de triomphe plus doux :
Je ne puis aimer la Victoire,
Si je n’ai combattu pour vous.
Saül
Barbare ! en ce moment il n’est rien qui t’arreste :
Ta main à me frapper, ta main est-elle preste ?
David
Moi, Seigneur ? moi ! faut-il au-milieu des combats,
Seul contre les efforts d’une Troupe ennemie,
Verser pour vous mon sang, pour vous perdre la vie ?
La plus affreuse mort ne m’arrestera pas.
Jonathas
Parlez ; vous me verrez partout suivre ses pas.
David
Faut-il verser mon sang ?
Jonathas
Faut-il verser mon sang ?Faut-il perdre la vie ?
David et Jonathas
La plus affreuse mort ne m’arrestera pas.
Saül à Jonathas
Ah ! plutost dés ce jour vange moi d’un perfide.
David, David conspire ; il s’arme contre moi.
Va prévenir les coups d’une main parricide :
L’orage en m’accablant doit retomber sur Toi.
Il lui présente son épée.
Que vois-je ? pour lui seul ton amour s’interresse ?
Cruel ! est-ce là le prix
Que tu dois à ma tendresse ?
Quand il faut soulager la douleur qui me presse,
Je ne retrouve plus mon Fils !
David
Helas !
Il se retire.
Saül
Helas !J’irai moi-mesme... il me fuit ! & son crime
Enfin en ce moment se découvre à mes yeux.
Aux gardes.
Hâtez-vous de servir la fureur qui m’anime.
Peut-être puis-je encor le rejoindre en ces lieux.
Jonathas
O Ciel ! protége l’innocence.

SCENE QUATRIÈME

Joadab
Achevons ; mon bonheur passe mon esperance.
Malgré les droits que j’ai trahis,
Joüissons des douceurs d’une heureuse vangeance.
Pour perdre un Ennemi Tout doit être permis.
Une troupe de Philistins du parti de Joadab répéte ces Vers.
 

ACTE QUATRIÈME

SCENE PREMIÈRE

David
Souverain juge des Mortels,
Seigneur, de mes projets Témoin toûjours fidelle,
Quand une injuste loi me déclara rebelle,
Quels vœux formoit mon cœur au pied de tes Autels ?
Tu le sçais. Que Saül redouble sa colere ;
D’une pareille ardeur que le Fils animé
Seconde la haine du Pere ;
Prest à voir contre moi tout Israël armé,
Seigneur, c’est à Toi seul que David cherche à plaire.

SCENE SECONDE

Jonathas, David.
Jonathas
Vous me fuiez !
David
Vous me fuiez !Toûjours vous me suivez !
Jonathas
Ne pourrai-je avec vous partager vostre peine ?
David
Voiez en quel péril mon malheur vous entraine :
Oublions-nous.
Jonathas
Oublions-nous.Cruel !
David
Oublions-nous. Cruel !Vous le devez.
Jonathas
Vous le pouvez ?
David
Malgré nous le Ciel nous sépare.
Jonathas
Contre vous seul déja Tout se prépare !
David et Jonathas
Ah ! qu’une douce Paix
Avoit de charmes !
Ah ! Falloit-il jamais
Nous ravir les plaisirs d’une si douce Paix !
Jonathas
Dans le trouble & le bruit des Armes
Peut-être on me verra combattre contre vous !
David
Peut-être au-milieu des allarmes
Je verrai Jonathas expirer sous mes coups !
David et Jonathas
Non, plustost mille-fois je perirai moi-mesme.
Parmi de mortelles horreurs, Malgré d’inutiles fureurs,
J’irai, j’irai chercher & sauver ce que j’aime.
Jonathas
Demeurez.
David
Demeurez.Je ne puis.
JONATHAS
Demeurez. Je ne puis.Helas !
DAVID
Demeurez. Je ne puis. Helas !En ce moment
Voulez-vous par vos pleurs redoubler mon tourment ?

SCENE TROISIÈME

Jonathas
A-t-on jamais souffert une plus rude peine ?
Dois-je suivre tes pas Ami trop malheureux ?
Pere trop rigoureux
Dois-je servir ta haine ?
Ami trop malheureux,
Pere trop rigoureux,
A-t-on jamais souffert une plus rude peine ?
Chœur d’Israélites & de Philistins qu’on entend & qu’on ne voit point
Courons, courons : cherchons dans les combats,
Ou le Triomphe, ou le Trépas.
Jonathas
Quelle fureur, Barbares, vous anime ?
Ah ! déja tout conspire & David va périr !
Non, je ne puis le souffrir sans un crime :
Malgré leurs vains efforts j’irai le secourir.
 
Triste devoir tu me rappelles !
Je dois Tout à Saül ; la Nature à son tour
Helas ! porte à mon cœur mille atteintes mortelles.
Ne pourrai-je accorder le devoir & l’Amour ?
 
A-t-on jamais souffert une plus rude peine ?
Dois-je suivre tes pas Ami trop malheureux ?
Pere trop rigoureux
Dois-je servir ta haine ?
Ami trop malheureux,
Pere trop rigoureux,
A-t-on jamais souffert une plus rude peine ?
Chœur
Courons, courons : cherchons dans les combats,
Ou le Triomphe, ou le Trépas.

SCENE QUATRIÈME

Jonathas, Joadab, troupes d’Israëlites & de Philistins.
Saül
Venez, Seigneur, venez : Saül va vous attendre.
Achis
Peut-être il me verra trop-tost le prévenir.
Saül
Soutenez un ingrat, qu’un Roi devoit punir.
Achis
D’une injuste fureur je sçaurai le défendre.
Saül et Achis
Courons, courons : cherchons dans les combats,
Ou le Triomphe, ou le Trépas.

SCENE CINQUIÈME

Achis, Joadab, troupes etc.
Joadab
Enfin vous m’écoutez, Seigneur ? & la Victoire
D’une nouvelle ardeur a pû vous enflammer.
Jamais un autre soin vous dût-il animer ?
Un Heros est fait pour la Gloire.
Achis avec les Chœurs
Courons, courons : cherchons dans les combats
Ou le Triomphe, ou le Trépas.
De nos cris redoublez que le Ciel retentisse ;
Que l’Ennemi vaincu sous mille coups perisse.
Courons, courons : cherchons dans les combats
Ou le Triomphe, ou le Trépas.
 

ACTE CINQUIÈME

SCENE PREMIÈRE

Jonathas blessé, entre les bras d’une Troupe de Gardes.
Aux gardes.
Courez ; Saül attend un secours necessaire.
Percé du coup fatal qui me ravit le jour,
Si je puis par mon sang appaiser ta colere,
O Ciel ! en sa faveur écoute mon amour.

SCENE SECONDE

Saül, Jonathas, troupes de gardes.
Saül
Que vois-je ? quoi je perds & mon Fils & l’Empire !
Mon ennemi triomphe ! & Jonathas expire !
Jonathas
Seigneur…
Saül
Seigneur…Et vous l’avez permis,
Traîtres ! c’est à vos soins que je j’avois commis.
Troupe de gardes
Helas !
Saül
Helas !Fils malheureux d’un plus malheureux Pere !
Ah ! dans le triste état où je me vois reduit,
Seul tu pouvois encor soulager ma misere ;
Tu meurs ! Pour échapper au Dieu qui me poursuit,
La victime m’étoit trop chere.
Jonathas
Pouvois-je attendre un sort plus doux ?
Pourquoi plaindre ma mort, ou penser à me suivre ?
Puisque pour vous je n’ai pû vivre,
Trop heureux de mourir pour vous.
Saül
Qu’entends-je ? il va périr ! quelle fureur m’anime ?
Où pourrai-je à mon tour trouver une victime ?
Il prend dans se fureur un de ses Gardes pour David.
David devant mes yeux ose se présenter !
Le Perfide à mes maux vient encor insulter !
A moi Gardes… reçoi Barbare,
Reçoi le coup mortel que Saül te prèpare…
On l'arréte.
Ou suis-je ? Tout s’oppose à mon juste couroux !
Mille infidelles mains ont arresté mes coups…
Le Ciel du moins, le Ciel m’offre une mort certaine.
Frappez, lâches, Frappez ; contentez vôtre haine…
Helas ! de quel espoir mon cœur s’est-il flatté ?
Ils ont pour me trahir assez de cruauté,
Et trop peu pour finir ma peine !
Troupe de gardes
Helas !
Saül
Helas !Ah ! tant de pleurs ne me le rendent pas.
Il faut verser du sang ; il faut courir aux armes :
David, david m’attend au-mi-lieu des allarmes :
Poursuivons un perfide, & vangeons Jonathas.
Jonathas
Foible soulagement ! inutile vangeance !
Saül
D’un Empire puissant je perds l’unique appui :
Souffrirai-je un ingrat regner en assûrance ?
Heureux du moins si je puis aujourd’hui
L’entrainer en tombant & périr avec lui.

SCENE TROISIÈME

Jonathas, troupes de Gardes & de Philistins.
Chœur des Philistins qu’on entend & qu’on ne voit point
Victoire ! victoire !
Tout cede à nos coups ;
Courons à la gloire :
Le Ciel est pour nous.
Victoire ! victoire !

SCENE QUATRIÈME

Jonathas, David, troupes etc.
David
Qu’au sauve Jonathas… allez… soins superflus !
Je vois couler son sang ! Jonathas ne vit plus !
Jonathas
Quelle triste vois me rappelle ?
David
Quoi, Prince, je vous perds !
Jonathas
Quoi, Prince, je vous perds !Le jour que je revoi,
Si je ne retrouvois un Ami si Fidelle,
Seroit encor plus funeste pour moi.
David
Ah ! vivez.
Jonathas
Ah ! vivez.Je ne puis.
David
Ah ! vivez. Je ne puis.David, David lui-mesme
Va ceder aux transports d’une douleur extréme.
Jonathas
Malgré la rigueur de mon sort,
Du moins je puis vous dire encor que je vous aime.
David
Ciel ! il est mort !
 
Jamais Amour plus fidelle & plus tendre
Eut-il un sort plus malheureux ?
D’une cruelle mort mes soins n’ont pû défendre
L’objet le plus doux de mes vœux.
Le Ciel avoit pû seul former de si beaux nœuds :
Helas ! le Ciel sans moi devoit-il le reprendre ?
Jamais Amour plus fidelle & plus tendre
Eut-il un sort plus malheureux ?
On retire le corps de Jonathas.
Chœur
Jamais Amour plus fidelle & plus tendre
Eut-il un sort plus malheureux ?

SCENE CINQUIÈME

Saül blessé, entre les bras des Soldats, David, troupes etc.
Saül à David
Voi traitre, & reconnoi ta nouvelle victime.
Mon bras a commencé, viens achever le crime :
Frappe.
David
Frappe.Seigneur !
Saül
Frappe. Seigneur !Joüis d’un spectacle si doux.
Ton Roi meurt, & sa mort va t’assûrer l’Empire.
Que dis-je ? quoi l’ingrat échappe à mon courous !
Dans ce dernier effort… ah ! Perfide…
Il se léve pour frapper David, & il retombe entre les bras des Gardes.
David
Dans ce dernier effort… ah ! Perfide…Il expire !
Saül
Non, du moins dérobez mon trépas à ses yeux.
On le retire.
David
Ah ! puis-je plus longtemps demeurer dans ces lieux ?

SCENE DERNIÈRE

Achis, David, troupes de Triomphans.
Achis
Joignez à vos exploits l’honneur du diadéme.
Joadab par sa mort vous vange lui-mesme,
Seigneur, à mes désirs le Ciel à répondu.
Saül vous cede enfin l’autorité supréme ;
Il meurt.
David
Il meurt.J’ai perdu ce que j’aime,
Pour moi Tout est perdu.
Il se retire.
Achis et les chœurs
Du plus grand des Heros chantons, chantons la gloire.
Trompettes & Tambours
Annoncez sa victoire.
Que toûjours sous ses loix on passe d’heureux jours.
Chantons, chantons sa gloire ;
Annoncez sa victoire
Trompettes & Tambours.