MÉDÉE
PROLOGUE
Le théâtre représente un lieu rustique, embelli par la nature, de
rochers et de cascades.
Un chef d’habitants
Louis est triomphant, tout cède à sa puissance,
La victoire en tous lieux, fait révérer ses lois.
Pour l’avoir avec nous toujours d’intelligence,
Rendons-lui des honneurs dignes de sa présence.
Rendons-lui des honneurs dignes des grands exploits
Qui consacrent le nom du plus puissant des rois.
Chœurs d’habitants et de bergers héroïques
Louis est triomphant, tout cède à sa puissance,
La victoire en tous lieux, fait révérer ses lois.
Pour l’avoir avec nous toujours d’intelligence,
Rendons-lui des honneurs dignes de sa présence.
Rendons-lui des honneurs dignes des grands exploits
Qui consacrent le nom du plus puissant des rois.
Deux bergers et un habitant
Paraissez, charmante Victoire,
Hâtez-vous, venez, descendez.
Amenez-nous Bellone, amenez-nous la Gloire,
Par qui vos soins pour nous sont si bien secondés.
Paraissez, charmante Victoire,
Hâtez-vous, venez, descendez.
Le chœur
Paraissez, charmante Victoire,
Hâtez-vous, venez, descendez.
Les deux bergers et l’habitant
Ce nuage brillant nous donne lieu de croire,
Que vous nous entendez.
Le chœur
Paraissez, charmante Victoire,
Hâtez-vous, venez, descendez.
On entend une symphonie, pendant laquelle il paraît un tourbillon de
nuages qui descend, et en s’ouvrant fait paraître le palais de la
Victoire, qui s’avance et occupe tout le théâtre ; et au milieu du
palais, sont la Gloire, la Victoire et Bellone.
La Victoire
Le ciel dans vos vœux s’intéresse,
Depuis longtemps, la France est mon séjour.
Attachée au héros, qui pour elle sans cesse
Fait agir sa haute sagesse,
Je sens pour lui de jour en jour,
En redoublant mes soins, redoubler mon amour.
Ne craignez pas que la Victoire,
Favorise jamais les jaloux de sa gloire.
Ils ne cherchent à triompher
Qu’afin de prolonger la guerre.
Louis combat pour l’étouffer,
Et rendre le calme à la terre.
Le chœur
Ils ne cherchent à triompher
Qu’afin de prolonger la guerre.
Louis combat pour l’étouffer,
Et rendre le calme à la terre.
Bellone
Vous résistez en vain, tremblez fiers ennemis,
Au grand roi que je sers, je vous rendrai soumis.
Chez vous plus que jamais, par l’effroi de ses armes,
Je veux porter les plus rudes alarmes :
Et mille triomphes divers,
Feront de son grand nom retentir l’univers.
Le chœur
Par mille triomphes divers,
Faisons de son grand nom retentir l’univers.
La Gloire
Pour seconder vos soins, laissez faire la Gloire,
Ce héros me chérit, et je l’aimais toujours.
On verra durer nos amours,
Quand même il n’aura plus besoin de la Victoire.
Non, non, ses ennemis jaloux,
Ne pourront jamais rien, contre des nœuds si doux.
Le chœur
Non, non, ses ennemis jaloux,
Ne pourront jamais rien contre des nœuds si doux.
La Victoire
Le bruit des tambours, des trompettes,
Ne viendra point troubler vos jeux,
Bergers, reprenez vos musettes,
Chantez l’amour, chantez ses feux,
La guerre et ses dangers affreux,
N’approchent point de vos douces retraites :
Le plus grand des héros, vous y fait vivre heureux.
Il vaincra tant de fois, sur la terre et sur l’onde,
Que ses ennemis terrassés,
Malgré tous leurs projets, seront enfin forcés
De souffrir le repos qu’il veut donner au monde.
Le chœur
Il vaincra tant de fois, sur la terre et sur l’onde,
Que ses ennemis terrassés,
Malgré tous leurs projets, seront enfin forcés
De souffrir le repos qu’il veut donner au monde.
Un berger
Dans le bel âge,
Si l’on n’est volage,
Les tendres cœurs
Goûtent peu de douceurs.
L’ardeur d’une flamme constante
Est bientôt languissante,
Veut-on d’agréables amours ?
Il faut changer toujours.
Dans le bel âge,
Si l’on n’est volage,
Les tendres cœurs
Goûtent peu de douceurs.
Deux bergères
Voir nos moutons dans la verte prairie,
Bondir sur l’herbette fleurie,
Sans craindre la fureur des loups,
C’est pour nous un plaisir extrême ;
Mais voir souvent ce que l’on aime,
C’est encore un plaisir plus doux.
Le chœur
Le bruit des tambours, des trompettes,
Ne viendra point troubler nos jeux.
Prenons nos pipeaux, nos musettes,
Chantons l’amour, chantons ses feux ;
La guerre et ses dangers affreux,
N’approchent point de nos douces retraites,
Le plus grand des héros, nous y fait vivre heureux.
Il vaincra tant de fois, sur la terre et sur l’onde,
Que ses ennemis terrassés,
Malgré tous leurs projets, seront enfin forcés
De souffrir le repos qu’il veut donner au monde.
Après le chœur, le palais s’en retourne d’où il est venu ; le
tourbillon se renferme et remonte au ciel.
FIN DU PROLOGUE
ACTE PREMIER
Le théâtre représente une place publique, ornée d’un arc de
triomphe, de statues, et de trophées sur des piédestaux.
SCÈNE PREMIÈRE
Médée, Nérine.
Médée
Pour flatter mes ennuis, que ne puis-je te croire !
Tout le voudrait, mon repos et ma gloire ;
Mais en vain à douter je trouve des appas,
Jason est un ingrat, Jason est un parjure ;
L’amour que j’ai pour lui, me le dit, m’en assure,
Et l’amour ne se trompe pas.
Nérine
Un mouvement jaloux vous l’a peint infidèle,
Mais d’injustes soupçons troublent votre repos ;
Créuse est destinée au souverain d’Argos.
Sur quel espoir Jason brûlerait-il pour elle ?
Médée
Je sais qu’Oronte est prêt d’arriver en ces lieux ;
Il vient rempli d’un espoir glorieux :
Mais à le recevoir si Corinthe s’apprête,
Ce n’est point son hymen qui le fait souhaiter.
Il s’élève contre elle une affreuse tempête,
Son secours la peut écarter.
Nérine
Acaste contre vous arme la Thessalie.
La cruelle mort de Pélie
Vous rend l’objet de sa fureur.
Si Créon ne vous abandonne,
De la guerre en ces lieux il va porter l’horreur ;
Et lorsqu’en ce péril, comme l’amour l’ordonne,
Jason veut de Créuse acquérir la faveur,
Faut-il que ce soin vous étonne ?
Médée
Qu’il soit abandonné de Créuse et du roi,
S’il lui faut un appui, ne l’a-t-il pas en moi ?
Quand de Colchos il prit la fuite,
Maître de la riche toison,
Mon père eut beau s’armer contre ma trahison,
Quel fut l’effet de sa poursuite ?
Nérine
Quoi, vous résoudre à fuir toujours ?
Médée
La fuite, l’exil, la mort même,
Tout est doux avec ce qu’on aime.
Nérine
Jason pour vos enfants cherche ici du secours.
Médée
Qu’il le cherche, mais qu’il me craigne.
Un dragon assoupi, de fiers taureaux domptés,
Ont à ses yeux suivi mes volontés.
S’il me vole son cœur, si la princesse y règne,
De plus grands efforts feront voir,
Ce qu’est Médée et son pouvoir.
Nérine
Forcez vos ennuis au silence.
Un courroux violent ne doit jamais parler.
On perd la plus sûre vengeance
Si l’on ne sait dissimuler.
Médée et Nérine
Forçons nos ennuis au silence,
Forcez vos ennuis au silence,
Un courroux violent ne doit jamais parler.
On perd la plus sûre vengeance
Si l’on ne sait dissimuler.
SCÈNE SECONDE
Médée, Jason, Nérine, Arcas.
Médée
D’où vous vient cet air sombre, et qu’allez-vous m’apprendre ?
Créon nous voudrait-il bannir de ses états ?
Jason
Créon redoute Acaste, et ne s’explique pas ;
Mais contre nous quoi qu’on puisse entreprendre,
Du moins pour nos enfants j’ai su fléchir les dieux.
S’il faut d’un fier destin suivre la loi cruelle,
Ils trouveront un asile en ces lieux ;
La princesse les doit retenir auprès d’elle.
Médée
C’est être généreuse.
Jason
C’est être généreuse.Elle me laisse voir
Que nous pouvons espérer d’avantage.
Sur son père elle a tout pouvoir
Et j’attends tout du zèle où sa bonté l’engage.
Médée
L’ardeur que vous montrez à lui faire la cour…
Jason
Ignorez-vous d’un père où va le tendre amour ?
Médée
Pour nous la rendre favorable,
Vos soins trop assidus devraient vous alarmer.
Une douce habitude est facile à former ;
Et voir souvent ce que l’on trouve aimable,
C’est flatter le penchant qui nous porte à l’aimer.
Jason
Quoi vous me soupçonnez ?
Médée
Quoi vous me soupçonnez ?Jason doit me connaître,
Il me coûte assez cher pour ne le perdre pas.
Jason
Ah ! que me dites-vous ?
Médée
Ah ! que me dites-vous ?Ce que je crains.
Jason
Ah ! que me dites-vous ? Ce que je crains.Hélas !
Que ne puis-je faire paraître
Ce que mon cœur pour vous sera jusqu’au trépas !
Médée et Jason
Que de tristes soucis, malgré tous ses appas,
Dans un cœur bien touché l’injuste amour fait naître !
Médée
De trop cuisants remords accablent les ingrats ;
Jason ne le voudra pas être.
Jason
Quittez ces détours superflus.
Pour m’assurer du roi, je voyais la princesse.
Mais si c’est un soin qui vous blesse,
Parlez, je ne la verrai plus.
Médée
Non, Jason, cherchez à lui plaire.
Dans les rigueurs d’un sort trop inhumain
Son secours nous est nécessaire.
Jason
Pour nous le rendre plus certain,
Dirai-je ce qu’il faudrait faire ?
Cette robe superbe où partout nous voyons
Du soleil votre aïeul éclater les rayons,
Par son brillant a touché son envie,
Ses yeux m’en ont paru surpris.
Nous verrions sa faveur d’un prompt effet suivie,
Si de ses soins vous en faisiez le prix.
Médée
Vous le voulez, je la donne sans peine ;
Mais du ciel irrité quel que soit le courroux,
Songez que si je puis me répondre de vous,
Je n’ai point à craindre sa haine.
SCÈNE TROISIÈME
Jason, Arcas.
Jason
Que je serais heureux, si j’étais moins aimé !
Médée avec ardeur dans mon sort s’intéresse,
Je lui dois toute ma tendresse ;
D’une autre cependant je me trouve charmé ;
Et malgré moi j’adore la princesse.
Que je serais heureux, si j’étais moins aimé !
Arcas
Si vous l’abandonnez, songez-vous à la rage,
Où la mettra son désespoir ?
Jason
Je sais la grandeur de l’outrage,
Je manque à la foi qui m’engage,
Et vois tout ce que je dois voir ;
Mais un fier ascendant asservit mon courage.
En vain je cherche à n’y point consentir ;
Des grandes passions c’est le sort qui décide.
Je rougis, je me hais d’être ingrat et perfide,
Et je ne puis m’en garantir.
Arcas
Dans ce que peut Médée, oserai-je vous dire
Que vous ne sauriez trop redouter son courroux ?
Si sur votre âme encor la gloire a quelque empire,
Voyez ce qu’elle veut de vous.
Jason
Que me peut demander la gloire,
Quand l’amour s’est rendu le maître de mon cœur ?
Dans le triste combat, où si j’ose la croire,
L’avantage cruel de demeurer vainqueur,
Doit me coûter tout mon bonheur,
Que me peut demander la gloire ?
Si je traite Médée avec trop de rigueur,
Un objet tout charmant trouve de la douceur
À me céder une illustre victoire :
Je touche au doux moment d’en être possesseur.
Serments de ma première ardeurc,
Devoirs que je trahis, sortez de ma mémoire,
Et ne m’opposez plus vos chimères d’honneur :
Que me peut demander la gloire,
Quand l’amour s’est rendu le maître de mon cœur ?
Chœur de Corinthiens qu’on ne voit pas.
Disparaissez, inquiètes alarmes ;
Vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.
Le secours d’un héros vient se joindre à nos armes,
Nos plus fiers ennemis trembleront devant nous.
Disparaissez, inquiètes alarmes ;
Vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.
SCÈNE QUATRIÈME
Créon, Jason, Arcas, suite de Créon.
Créon
L’allegresse en ces lieux, ne peut être plus grande…
Mon peuple voit Oronte, et son secours promis
Doit étonner nos ennemis.
Rendons-lui les honneurs que son rang nous demande.
Jason
L’amour fait son empressement.
Mais, seigneur, j’ose croire au moment qu’il éclatte
Que si sa présence vous flatte,
Vous cherchez plus en lui le guerrier que l’amant.
Créon
J’ai fait naître votre espérance,
Aimez, persévérez… Mais Oronte s’avance.
SCÈNE CINQUIÈME
Créon, Jason, Oronte, suites de Créon et d’Oronte.
Oronte
Seigneur, la Thessalie attaquant vos états,
Pour vous de mon secours je craindrais la faiblesse,
Si ma seule valeur répondait de mon bras ;
Mais quand pour mériter les vœux de la princesse,
L’honneur de la servir m’attire en votre cour,
J’ose tout espérer de l’ardeur qui me presse.
Que ne peut point un cœur animé par l’amour ?
Créon
Prince, je sais que l’amour a des charmes,
Qui sont les soins des jeunes cœurs ;
Mais la guerre aujourd’hui, par ses tristes alarmes,
En doit suspendre les douceurs.
Vous brûlez pour ma fille ; avant qu’elle se donne,
Il faut affermir ma couronne :
Jason la soutiendra, si vous le secondez.
Oronte
Après l’heureux succès de la toison conquise,
Sa valeur dans cette entreprise,
Assure les exploits que vous en attendez.
Jason
Les vôtres sont certains ; un grand prix vous anime,
Et rien n’est impossible à qui peut l’acquérir.
Créon
Voyez nos peuples accourir,
Et souffrez que leur joie auprès de vous s’exprime.
SCÈNE SIXIÈME
Créon, Jason, Oronte, troupe de Corinthiens et d’Argiens.
Un Corinthien à Oronte
Courez aux champs de Mars, volez, jeune héros.
Ouvrez-nous le chemin qui conduit à la gloire.
Nos cœurs ont trop langui dans le sein du repos :
Pour nous mener à la victoire,
Courez aux champs de Mars, volez, jeune héros.
Chœur de Corinthiens
Courez aux champs de Mars, volez, jeune héros.
Ouvrez-nous le chemin qui conduit à la gloire.
Nos cœurs ont trop langui dans le sein du repos :
Pour nous mener à la victoire,
Courez aux champs de Mars, volez, jeune héros.
Oronte
Courons, volons, d’un courage intrépide,
Sur la foi de l’amour, affrontons les hasards :
Ce dieu peut tout ; puisqu’il nous sert de guide
La victoire en tous lieux suivra mes étendards.
Chœur de Corinthien et D’Argiens
Que d’épais bataillons, sur ces rives descendent.
À nos vaillants efforts il faudra qu’ils se rendent.
Unissons-nous en ce grand jour,
La gloire et l’amour le demandent.
Unissons-nous en ce grand jour,
Nous ferons triompher et la gloire et l’amour.
Les Corinthiens font un essai de lutte. Les Argiens font une danse galante.
Un Corinthien et un Argien
Quel bonheur suit la tendresse !
Heureux l’amant qui l’obtient.
Quelque désir qui le presse,
Dans l’espoir qu’il entretient ;
L’amour n’a point de faiblesse,
Quand la gloire le soutient.
C’est un charmant avantage,
Que l’heureux nom de vainqueur ;
Mais le plus noble courage,
N’en goûte bien la douceur,
Que lorsque l’amour l’engage,
À la conquête d’un cœur.
FIN DU PREMIER ACTE
ACTE SECOND
Le théâtre représente un vestibule, orné d’un grand portique.
SCÈNE PREMIÈRE
Créon, Médée, Nérine.
Créon
Il est temps de parler sans feindre.
Acaste vous poursuit, vous n’avez rien à craindre ;
Sur quelqu’espoir qu’il forme ses desseins,
Tombe sur Corinthe la foudre,
Plutôt qu’on puisse me résoudre,
À vous livrer entre ses mains.
Médée
Seigneur, une bonté si grande,
Marque le cœur d’un véritable roi.
Créon
Lorsque pour vous je fais ce que je dois,
À votre tour, la justice demande
Que vous fassiez quelque chose pour moi.
À vous voir dans ma cour, mon peuple s’inquiète,
Il craint ce qu’avec vous vous traînez de malheurs,
Et que ma complaisance à vous donner retraite
Ne lui soit un sujet de pleurs.
Pour le guérir de ses alarmes,
Allez attendre en d’autres lieux,
Pendant le tumulte des armes,
Ce que de nos destins ordonneront les dieux.
À vos enfants je veux servir de père ;
Pour eux, puisque je l’ai promis,
Je combattrai vos ennemis,
C’est plus que je ne devrais faire.
Médée
Sans m’étonner j’écoute mon arrêt.
Quels que soient les ennuis où mon destin me livre,
Jason à partir est-il prêt ?
Je fais tout mon bonheur du plaisir de le suivre.
Créon
Pour ne vous pas livrer, j’expose mes états,
Aux malheurs que la guerre attire,
Et pour défendre cet empire,
Jason voudrait nous refuser son bras ?
Me ravir ce héros, c’est m’ôter la victoire.
Médée
Me séparer de lui, c’est me priver du jour.
Créon
S’il m’ose abandonner, que deviendra sa gloire ?
Médée
S’il m’ose abandonner, que devient son amour ?
Créon et Médée ensemble
S’il m’ose abandonner, que deviendra sa gloire ?
S’il m’ose abandonner, que devient son amour ?
Créon
Par une lacheté, voulez-vous qu’il ternisse
L’éclat des grands exploits, qui le font redouter ?
Médée
Ils sont grands, il est vrai, mais rendez-moi justice :
Si malgré les périls qu’il fallait surmonter,
La toison emportée a fait voir son courage,
À qui doit-il cet avantage ?
Créon
Je veux que ce qui rend son nom si glorieux,
De vos enchantements soit l’effet admirable ;
Ignorez-vous qu’un murmure odieux
Vous fait partout croire coupable ?
Médée
Doit-on m’imputer des forfaits,
Sans voir pour qui je les ai faits ?
Vos reproches, seigneur, ne sont pas légitimes.
Si pour Jason je me suis tout permis,
Puisque lui seul a jouï de mes crimes,
C’est lui seul qui les a commis.
Créon
En vain sur ce héros vous rejetez la haine
Qui ne doit tomber que sur vous.
Du pouvoir de votre art peut-être est-on jaloux,
Mais enfin me sujets vous souffrent avec peine.
Pressé par eux, pour sortir de ma cour,
Je ne puis vous donner que le reste du jour.
Médée
Ai-je donc mérité cette rigueur extrême ?
On me chasse, on m’exile, on m’arrache à moi-même.
Créon
Faisons taire les mécontents.
Quand on entend gronder l’orage,
C’est être sage,
Que de céder au temps ;
Faisons taire les mécontents.
SCÈNE SECONDE
Créon, Médée, Créuse, Cléone.
Médée
Princesse, c’est sur vous que mon espoir se fonde.
Le destin de Médée est d’être vagabonde.
Prête à m’éloigner de ces lieux,
Je laisse entre vos mains ce que j’aime le mieux.
Je sais qu’une pitié sincère
Pour mes enfants a touché votre cœur ;
Prenez-en quelque soin, et souffrez qu’une mère
Au moins dans son exil goûte cette douceur.
Ce sera pour mes vœux une grande victoire,
Si de mon triste sort le ciel leur fait raison.
Je ne vous dis rien pour Jason,
Jason aura soin de sa gloire.
SCÈNE TROISIÈME
Créon, Créuse, Cléone.
Créon
Enfin à ton amour tout espoir est permis,
Ta rivale à partir s’apprête ;
Et puisque tes appas tiennent Jason soumis,
Tu peux jouir de ta conquête.
Créuse
Seigneur, souvenez-vous que c’est par votre aveu
Que Jason dans mon âme alluma ce beau feu.
L’amour sur tous les cœurs remporte la victoire,
La plus fière à son tour reconnaît son pouvoir ;
Mais il n’est doux que quand la gloire,
Pour le faire éclater, suit les lois du devoir.
Créon
D’Oronte par ce choix je trompe l’espérance ;
Mais l’hymen de Jason l’arrête en mes états.
Au plus grand des héros j’en remets la défense,
Et préférant son alliance,
Je te donne, et ne te perds pas.
SCÈNE QUATRIÈME
Créon, Jason, Créuse, Cléone.
Créon
Prince, venez apprendre une heureuse nouvelle.
Médée est prête à nous quitter,
Et veut bien qu’en ces lieux vous demeuriez sans elle,
Tant que nos ennemis seront à redouter.
Comme dans vos adieux il faudra de l’adresse
À lui cacher, sous quel espoir,
Pour l’éloigner, j’use de mon pouvoir,
Prenez avis de la princesse.
SCÈNE CINQUIÈME
Jason, Créuse, Cléone.
Jason
Qu’ai-je à résoudre encor ? il faut vivre pour vous.
Est-il un plus grand avantage
Que de borner mes souhaits les plus doux
À rendre à vos beautés un éternel hommage ?
Plus je vous vois, plus je me sens charmé :
À mon amour mon cœur ne peut suffire.
Quand on aime ardemment, quel plaisir d’être aimé.
Quel triomphe de l’oser dire !
Créuse
Pour régner partout à son choix,
L’impérieux Amour ne respecte personne.
Jason
Il faut faire ce qu’il ordonne,
Le vrai bonheur est de suivre ses lois.
Créuse
Avant que de vous voir mon cœur était tranquille,
Et quand vous en troublez la paix,
Je sens qu’à mon bonheur la perte en est utile.
Vous, où j’ai tant trouvé de sensibles attraits,
Doux repos, quittez-moi, ne revenez jamais.
Jason
De la tranquilité doit-on se mettre en peine,
Quand on sent un trouble si doux ?
Créuse
J’en jouirais encor sans vous.
Jason
Contre l’amour la résistance est vaine.
Goûtons l’heureux plaisir de perdre cette paix.
Créuse
Doux repos, quittez-moi, ne revenez jamais.
Jason et Créuse
Goûtons l’heureux plaisir de perdre cette paix.
Doux repos, quittez-nous, ne revenez jamais.
Créuse
Médée eut sur votre âme un souverain empire,
L’amour lui soumettait toutes vos volontés ;
Pour rallumer vos feux la pitié peut suffire.
Quel désespoir si vous la regrettez !
Jason
Oronte vous adore, il viendra vous le dire.
L’amour tiendra sur vous ses regards arrêtés ;
Ses soupirs vous pourront parler de son martyre.
Quel désespoir si vous les écoutez !
Créuse
Quand son amour serait extrême
Vous n’avez rien à redouter.
Dans le temps même
Que je paraîtrais l’écouter,
Quand son amour serait extrême
Vous n’avez rien à redouter :
Mes yeux vous diront, je vous aime.
Jason
Ah, disons-le cent fois, dans les tendres désirs
Que le sincère amour inspire,
On ne saurait assez le dire,
Le plaisir d’être aimé passe tous les plaisirs.
Jason et Créuse
Ah, disons-le cent fois, dans les tendres désirs
Que le sincère amour inspire,
On ne saurait assez le dire,
Le plaisir d’être aimé passe tous les plaisirs.
SCÈNE SIXIÈME
Oronte, Créuse, Jason, Cléone.
Oronte
Puisqu’un fier ennemi par le bruit de ses armes
Suspend le succès de mes feux,
Du moins, belle princesse, agréez qu’à vos charmes
J’offre l’hommage de mes vœux.
Dans le doux espoir qui me flatte,
Mon amour ne peut plus se tenir renfermé ;
Il faut enfin que cet amour éclate
Aux yeux qui m’ont charmé.
Créuse
Mon cœur qui s’applaudit d’une illuste victoire,
Aime dans son penchant à trouver son devoir ;
L’hommage d’un héros que couronne la gloire
Est toujours doux à recevoir.
Oronte
Ne le différons plus, ce tendre et pur hommage
Qui vous répondra de ma foi ;
Et qu’ici mille voix par un doux assemblage,
De mon amour vous parlent avec moi.
SCÈNE SEPTIÈME
Un petit Argien représentant l’amour, paraît dans un char traîné
par des captifs de différentes nations et de tout sexe.
Créuse, Jason, Oronte, Cléone.
Chœur des captifs d’Amour
Qu’elle est charmante, qu’elle est belle !
Ah qu’il est doux de soupirer pour elle !
Un captif
Venir l’adorer en ces lieux,
Est un destin bien glorieux ;
Mais si la douceur de ses yeux
Doit tromper une ardeur si belle,
Ah, quel malheur pour un amant fidèle !
Chœur
Ah, quel malheur pour un amant fidèle !
Le captif
Une rigoureuse fierté
Siérait mal à tant de beauté,
L’amour partout si redouté
L’empêchera d’être cruelle ;
Ah ! quel bonheur pour un amant fidèle !
Chœur
Ah ! quel bonheur pour un amant fidèle !
L’Amour à Créuse
Régnez ; l’Amour à vos lois
Vient soumettre son empire,
Chacun à vous plaire aspire ;
Voulez-vous faire un beau choix ?
Vous n’avez qu’à dire.
Tous mes traits sont doux,
C’est par eux qu’on aime,
Mon arc est à vous,
Lancez-les vous-même.
L’Amour offre son arc à Créuse, qui refuse de le prendre.
Vous me résistez,
J’ai lieu de m’en plaindre.
Montez dans mon char, montez,
Un enfant n’est pas à craindre.
Créuse
Quoiqu’il soit dangereux d’obéïr à l’Amour,
Le moyen de s’en défendre ?
Créuse monte sur le char de l’Amour. Jason et Oronte se placent à
ses côtés.
L’Amour
Tendres captifs, faites-lui votre cour,
Et que chacun de vous s’applique tour à tour
À l’hommage qu’il faut lui rendre.
Tendres captifs, faites-lui votre cour.
Une captive
Chi teme d’amore
Il grato martire,
O non vuol gioire,
O cuore non ha.
Son gusti i dolori,
Le spine son fiori
Ch’amore ne dà ;
Ma solo penando
Ardento, e sperando,
Un’alma legata
Fra ceppi beata,
per prova lo sa.
Chi teme d’amore
Il grato martire,
O non vuol gioire,
O cuore non ha.
Chœur
Son gusti i dolori,
Le spine son fiori
Ch’amore ne dà ;
Ma solo penando
Ardendo, e sperando,
Un’alma legata
Fra ceppi beata,
Per prova lo sa.
La captive
Chi teme d’amore
Il grato martire,
O non vuol gioire,
O cuore non ha.
Chœur
O non vuol gioire,
O cuore non ha.
Trois autres captifs
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincère,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.
Chœur
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincère,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.
Les trois captifs
Aimer et l’oser dire,
C’est ce qu’il désire ;
Aimer et l’oser dire,
C’est ce qu’il prétend.
Chœur
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincère,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.
Les trois captifs
Amants, portez vos chaînes
D’un esprit content.
Chœur
L’amour a pour vos peines
Un prix éclatant.
Les trois captifs
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincère,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.
Chœur
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est sincère,
D’un amant qui veut plaire
L’hommage est constant.
L’Amour à Créuse après qu’elle est descendue du char
Vous voyez à quoi j’aspire.
Pour faire un heureux vainqueur,
Je compte sur votre cœur.
Oserez-vous m’en dédire ?
Oronte
Parlez, belle princesse, il s’agit en ce jour
D’avoir le cœur sensible et d’aimer qui vous aime.
Jason
L’amour sur ce qu’il veut s’est exprimé lui-même,
Vous devez contenter l’amour.
Créuse
En vain l’amour me sollicite.
Qu’un amant se fasse estimer
Par tout ce que la gloire ajoute au vrai mérite,
Il est sûr de se faire aimer.
Chœur
Ton triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.
L’amant que tu veux rendre heureux,
Est sûr de l’être par la gloire ;
La gloire est l’objet de ses vœux.
Ton triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.
FIN DU SECOND ACTE
ACTE III
Le théâtre représente un lieu destiné aux évocations de Médée.
SCÈNE PREMIÈRE
Oronte, Médée.
Oronte
L’orage est violent, il a dû vous surprendre ;
Mais sans vous alarmer laissez gronder les flots.
Je viens vous offrir dans Argos
Un bras armé pour vous défendre.
Médée
Si par l’exil que m’impose le roi
Corynthe s’affranchit des fureurs de la guerre,
Pourquoi charger une autre terre
Des maux que je traine avec moi ?
Acaste veut que je périsse ;
Et lorsque pour ma perte il arme son couroux,
Je croirais faire une injustice
De l’étendre sur vous.
Oronte
Le fier appareil de ses armes
Me cause de faibles alarmes.
Pour les attirer contre moi,
Dans la vive ardeur qui me presse,
Que Jason obtienne du roi,
Que par l’hymen de la princesse
Demain il couronne ma foi.
Alors dans mes états Jason pourra vous suivre,
Et si vos ennemis veulent vous désunir,
Ils verront en cessant de vivre
Si je sais comme il faut punir.
Médée
Vous ignorez ce qui se passe.
Il faut vous découvrir par quelle trahison
On veut m’éloigner de Jason ;
Il faut vous faire voir jusqu’où va ma disgrâce.
Tremblez, prince ; mes maux enfin trop confirmés
En m’accablant retombent sur vous-même.
Jason me trahit, Jason aime,
Et peut-être est aimé de ce que vous aimez.
Oronte
Ciel, que me dites-vous ! je perdrais la princesse !
Au mépris de mes vœux elle aimerait Jason ?
Médée
N’en doutez pas, ma présence les blesse,
Je fais obstacle à leur tendresse,
C’est là de mon exil la pressante raison.
Oronte
En vain je voudrais me le taire.
On vous bannit, mon hymen se diffère.
J’ouvre les yeux sur mon malheur.
Tout me le dit, j’en vois la certitude.
Qui l’aurait cru, que tant d’ingratitude
Dût payer le beau feu qui règne dans mon cœur ?
Oronte et Médée
Qui l’aurait cru, que tant d’ingratitude
Dût payer le beau feu qui règne dans mon cœur ?
Médée
Souffrirez-vous qu’on vous enlève
Ce cher objet de vos désirs ?
Oronte
Si cette trahison vous coûte des soupirs,
Souffrirez-vous qu’elle s’achève ?
Médée
Quel plus sensible coup pouvais-je recevoir !
Tous deux
Non, dans un cœur, quand l’amour est extrême,
Rien n’approche du désespoir
D’être trahi par ce qu’on aime.
Unissons nos ressentiments
Contre ces perfides amants.
Que Jason à mes
la princesse !
Son crime ne peut s’égaler.
Médée
Il vient ; mon cœur s’émeut et reprend sa tendresse.
Elle en triomphera, laissez-moi lui parler.
SCÈNE SECONDE
Médée, Jason.
Médée
Vous savez l’exil qu’on m’ordonne.
Venez-vous me dire en quels lieux,
Lorsque tout ici m’abandonne,
Je dois fuir le couroux des dieux.
En vain j’irai partout, dans l’excès de ma peine,
De cet injuste arrêt leur demander raison ;
Les crimes que j’ai faits pour trop aimer Jason,
De l’univers entier m’ont attiré la haine.
La Thessalie arme contre mes jours,
Colchos a résolu mon trop juste supplice ;
Le seul Jason me restait pour secours,
Et ce Jason si cher permet qu’on me bannisse.
Jason
Appelez-vous exil, un triste éloignement
Que l’honneur à souffrir m’engage,
J’en ressens le coup en amant,
J’en gémis, je m’en fais un rigoureux tourment,
Mais je ne puis rien davantage.
Voulez-vous que je quitte un roi,
Qui pour épargner votre tête,
Attend sans s’ébranler, l’éclat de la tempête
Qui remplit son peuple d’effroi ?
Voyons finir la guerre, et le coup qui vous blesse
Pour un temps seulement nous aura séparés.
Médée
Hélas ! pendant ce temps, je connais ma faiblesse,
Quels ennuis vous me coûterez !
Je tâche à vaincre les alarmes
Que me cause un soupçon jaloux ;
Mais enfin malgré moi je sens couler mes larmes.
Ingrat, m’abandonnerez-vous ?
Jason
S’il faut de tout mon sang racheter votre vie,
Je suis tout prêt à le donner.
Partager les malheurs dont elle est poursuivie,
Est-ce là vous abandonner ?
Médée
Rien ne m’est plus doux que de croire
Tout l’amour que vous me jurez ;
Il fait mon bonheur et ma gloire,
Mais je pars, et vous demeurez.
Jason
Je demeure, il est vrai, mais quand on nous sépare
Vous n’avez rien à redouter ;
Partez, les vains efforts que l’ennemi prépare
Ne pourront longtemps m’arrêter.
Médée
Il faut donc me résoudre à ce départ funeste.
Soutenez une guerre où vous serez vainqueur ;
Mais conservez-moi votre cœur,
C’est l’unique bien qui me reste.
Je ne m’en repens point ; pour m’attacher à vous
J’ai quitté mon pays, abandonné mon père ;
On m’exile ; et l’exil ne peut m’être que doux,
S’il assure à Jason la gloire qu’il espère.
Jason
Ah, c’est m’en dire trop ! cessez de m’attendrir ;
Je ne me connais plus dans ce trouble terrible.
Médée
J’y consens, je veux bien être seule à souffrir,
Un héros ne doit pas avoir l’âme sensible.
Jason
Je vous l’ai déjà dit, je sens tous vos malheurs.
Ce qu’a fait votre amour gravé dans ma mémoire…
Adieu, je ne puis plus soutenir vos douleurs,
Et je dois me cacher vos pleurs,
Si je veux en sauver ma gloire.
SCÈNE TROISIÈME
Médée, seule.
Médée
Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !
Il craint des pleurs qu’il m’oblige à répandre ;
Insensible au feu le plus tendre
Qu’on ait vu s’allumer jamais ;
Quand mes soupirs peuvent suspendre
L’injustice de ses projets ;
Il fuit pour ne les pas entendre.
Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !
J’ai forcé devant lui cent monstres à se rendre.
Dans mon cœur où règnait une tranquille paix,
Toujours prompte à tout entreprendre,
J’ai su de la nature effacer tous les traits.
Les mouvements du sang ont voulu me surprendre,
J’ai fait gloire de m’en défendre,
Et l’oubli des serments que cent fois il m’a faits,
L’engagement nouveau que l’amour lui fait prendre,
L’éloignement, l’exil, sont les tristes effets
De l’hommage éternel que j’en devais attendre ?
Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !
SCÈNE QUATRIÈME
Médée, Nérine.
Médée
Croiras-tu mon malheur ? Hélas, Jason lui-même,
L’infidèle Jason me presse de partir.
Nérine
Ah, gardez-vous d’y consentir.
Arcas sait son secret, il m’aime,
Et de sa perfidie il vient de m’avertir.
Son hymen avec la princesse
Par le roi même est arrêté,
Et votre exil n’est qu’une adresse
Pour mettre contre vous ses jours en sûreté.
Médée
Dieux, témoins de la foi que l’ingrat m’a donnée,
Souffrirez-vous cet hyménée ?
C’en est fait, on m’y force ; il faut briser les nœuds
Qui m’attachent à ce perfide.
Puisque mon désespoir n’a rien qui l’intimide,
Voyons quel doux succès suivra ses nouveaux feux.
À qui cherche ma mort je puis être barbare,
La vengeance doit seule occuper tous mes soins ;
Faisons tomber sur lui les maux qu’il me prépare,
Et que le crime nous sépare,
Comme le crime nous a joints.
Nérine
Avant que d’éclater, rappelez dans son âme
Le souvenir de sa première flamme.
Médée
Malgré sa noire trahison,
Je sens que ma tendresse est toujours la plus forte ;
Mais Corynthe, le roi, la princesse, Jason,
Tout doit trembler si je m’emporte.
N’en délibérons plus. Vous qui m’obéissez,
Esprits à me plaire empressés,
Volez, apportez-moi cette robe fatale
Que je destine à ma rivale.
Il paraît ici des esprits en l’air qui disparaissent aussitôt.
Des poisons que j’y vais verser
Je suspendrai la violence,
Et je ne les ferai servir à ma vengeance
Que quand je m’y verrai forcer.
Nérine
De la pitié vous pourrez-vous défendre ?
En punissant Jason craignez de vous punir.
Médée
Retire-toi, tes yeux ne pourraient soutenir
L’horreur qu’ici je vais répandre.
SCÈNE CINQUIÈME
Médée
Noires filles du Stix, divinités terribles,
Quittez vos affreuses prisons.
[SCÈNE SIXIÈME]
Venez mêler à mes poisons
La dévorante ardeur de vos feux invisibles.
Il paraît tout à coup une troupe de démons.
Chœur de démons
L’enfer obéit à ta voix,
Commande, il va suivre tes lois.
Médée
Punissons d’un ingrat la perfidie extrême.
Qu’il souffre, s’il se peut, cent tourments à la fois,
En voyant souffrir ce qu’il aime.
Chœur
L’enfer obéit à ta voix,
Commande, il va suivre tes lois.
Les démons aériens apportent la robe.
[SCÈNE SEPTIÈME]
Médée
Je vois le don fatal qu’exige ma rivale.
Pour le rendre funeste, il est temps, faisons choix
Des sucs les plus mortels de la rive infernale.
Le chœur de démons
L’enfer obéit à ta voix,
Commande, il va suivre tes lois.
Les démons apportent une chaudière infernale, dans laquelle il jettent
les herbes qui doivent composer le poison, dont Médée a besoin pour
empoisonner la robe.
Médée
Dieu du Cocyte et des royaumes sombres,
Roi des pâles ombres,
Sois attentif à mes enchantements.
Pour m’assurer qu’Hécate m’est propice,
Que l’Averne frémisse,
Et fasse tout trembler par ses mugissements.
On entend un bruit souterrain.
L’enfer m’a répondu, ma victoire est certaine.
Naissez, monstres, naissez, tous mes charmes sont faits.
Du funeste poison, par une mort soudaine,
Faites-moi voir les prompts effets.
Chœur
Naissez, monstres, naissez, tous les charmes sont faits.
Du funeste poison, par une mort soudaine,
Faites-nous voir les prompts effets.
Pendant ce chœur les monstres naissent, et après que les démons ont
répandu du poison de la chaudière sur eux, il languissent et meurent.
Tout répond à notre envie,
Les monstres perdent la vie.
Médée prend du poison dans la chaudière, et le répand sur la robe.
Chœur
Non, non, les plus heureux amants,
Après une longue espérance,
N’ont des plaisirs qu’en apparence.
En voulez-vous de charmants ?
Cherchez-les dans la vengeance.
Médée
Vous avez servi mon courroux ;
C’est assez, retirons-nous.
Médée emporte la robe et les démons disparaissent.
FIN DU TROISIÈME ACTE
ACTE IV
Le théâtre représente l’avant-cour d’un palais, et un jardin
magnifique dans le fond.
SCÈNE PREMIÈRE
Jason, Cléone.
Cléone
Jamais on ne la vit si belle,
La robe de Médée augmente ses appas ;
Et dans l’éclat qu’elle répand sur elle,
Il faut être sans yeux pour ne l’admirer pas.
Jason
À peine dans ses mains cette robe est remise,
Et déjà la princesse a voulu s’en parer !
Cléone
L’agrément qu’elle en sait tirer
Vous causera de la surprise.
Elle paraît. Voyez quel air de majesté
Anime et soutient sa beauté.
SCÈNE SECONDE
Créuse, Jason, Cléone.
Jason
Ah ! que d’attraits, que de grâces nouvelles !
À voir ce vif éclat que mes yeux sont contents !
Des fleurs que produit le printemps
Les couleurs ne sont point si belles.
Ah ! que d’attraits, que de grâces nouvelles !
Créuse
Si j’ai quelques appas assez vifs pour toucher,
S’ils brillent plus qu’à l’ordinaire,
Cet avantage ne m’est cher,
Que par la gloire de vous plaire.
Jason
Quels feux brûlants dans mon cœur
Cette assurance fait naître ?
N’ont-ils pas assez d’ardeur ?
Et cherchez-vous à l’accroître ?
Créuse
Si cette ardeur peut s’augmenter,
Croyez-vous qu’en vouloir borner la violence,
Ce ne soit pas une offense
Capable de m’irriter ?
D’un amour qui se ménage
Les cœurs tendres sont blessés.
Malgré les vœux empressés
Qui m’assurent votre hommage,
Pouvant m’aimer davantage,
Vous ne m’aimez pas assez.
Jason
Non, jamais tant d’ardeur, jamais flamme si belle
N’embrasa le cœur d’un amant.
Créuse
C’est peu d’y voir un sort charmant,
Cette ardeur doit être éternelle.
Jason
Ah ! j’en fais ici le serment.
Puisse l’Amour dans sa juste colère
Exercer contre moi sa plus grande rigueur,
Si jamais il trouve mon cœur
Détaché du soin de vous plaire.
Jason et Créuse
Puisse l’Amour dans sa juste colère
Exercer contre moi sa plus grande rigueur,
Si jamais il trouve mon cœur
Détaché du soin de vous plaire.
Créuse
Je finis à regret un entretien si doux,
Mais le prince d’Argos s’avance ;
Et son importune présence
Me force à m’éloigner de vous.
SCÈNE TROISIÈME
Oronte, Jason.
Oronte
Si tôt que je parais, la princesse vous quitte ;
Mon amour s’en doit alarmer.
Jason
Elle connaît trop bien le prix du vrai mérite
Pour ne pas voir en vous ce qu’il faut admirer.
Oronte
Quand sur un espoir légitime
On peut se flatter d’être heureux,
Pour satisfaire un cœur bien amoureux,
Est-ce assez que de l’estime ?
Jason
La princesse a de quoi rendre vos feux constats,
Aimez, on obtient tout du temps.
Oronte
Non, non, dans sa froideur extrême
Je vois le refus de son cœur.
Quelque rival se cache, elle est aimée, elle aime ;
Je pourrai découvrir ce trop heureux vainqueur,
Et mon bras disputant cette noble victoire,
Fera voir qui de nous en mérite la gloire.
Jason
L’amour promet souvent plus qu’il ne peut tenir.
Oronte
Jugez mieux d’un amant que le mépris outrage ;
S’il forme une entreprise, il sait la soutenir.
Jason
Vous savez à quels soins la guerre ici m’engage.
Les troupes qu’aujourd’hui fait assembler le roi,
N’attendent plus que moi.
SCÈNE QUATRIÈME
Médée, Oronte, Nérine.
Oronte
Vos soupçons étaient vrais, j’ai vu, j’ai vu moi-même
L’inexcusable trahison,
Qui doit être le prix de votre amour extrême :
J’ai lu dans le cœur de Jason,
Il séduit la princesse, il l’aime.
De tant de perfidie, ô Ciel, fais-nous raison.
Médée
Eut-il le Ciel à ses vœux favorable,
Ne craignez point cet hymen odieux ;
Au pouvoir de Médée il n’est rien de semblable,
Elle asservit la terre, elle commande aux cieux.
Je tiens la foudre suspendue,
Mais si Créon ne cède pas,
Il verra quelle peine est due
À qui se fait le soutien des ingrats.
Oronte
Pardonnez à ma faiblesse,
L’amour a su m’engager.
Un juste courroux vous presse,
Mais à ne rien ménager,
Le plaisir de vous venger
Me rendra-t-il la princesse ?
Médée
Je me déclare pour vous.
Jamais, quoi que puissent faire
Les dieux, Créuse et son père,
Jason n’en sera l’époux :
Je me déclare pour vous.
Laissez-moi seulement ; dans ce que je médite
J’ai besoin de calmer le trouble qui m’agite.
SCÈNE CINQUIÈME
Médée, Nérine.
Médée
D’où me vient cette horreur ? est-ce à moi de trembler ?
Prête à punir la criminelle flamme
Qui cause les ennuis dont on m’ose accabler,
Puis-je me souvenir que je suis mère et femme ?
Nérine
Ses yeux sont égarés, ses pas sont incertains.
Dieux, détournez ce que je crains.
Médée
Non, non, à la pitié je dois être inflexible.
Jason méprisera mon désespoir jaloux ?
Venez, vevez, fureur, je m’abandonne à vous.
Je pends une vengeance épouvantable, horrible ;
Mais pour voir son supplice égaler mon courroux,
C’est par l’endroit le plus sensible
Qu’il faut porter les derniers coups.
SCÈNE SIXIÈME
Créon, Médée, Nérine, gardes.
Créon
Vos adieux sont-ils faits ? le murmure s’augmente,
C’est aigrir les esprits que de ne céder pas.
D’un peuple qui vous fait sortir de mes états
Craignons la fureur insolente.
Médée
Je pars, et ne veux plus troubler votre repos,
Mais je dois tenir ma promesse.
Pour m’en voir dégagée, il faut que la princesse
Épouse le prince d’Argos.
À serrer ces beaux nœuds la gloire vous invite,
Pressez ce doux moment, l’hymen fait, je vous quitte.
Créon
Quelle audace vous porte à me parler ainsi,
Vous, l’objet malheureux de tant de justes haines ?
Ignorez-vous que je commande ici,
Et que mes volontés y seront souveraines ?
C’est à moi seul de les régler.
Médée
Créon, sur ton pouvoir cesse de t’aveugler.
Tu prends une trompeuse idée
De te croire en état de me faire la loi ;
Quand tu te vantes d’être roi,
Souviens-toi que je suis Médée.
Créon
Cet orgueil peut-il s’égaler !
Médée
Sur l’hymen de ta fille il m’a plu de parler ;
En vain mon audace t’étonne.
Plus puissante que toi dans tes propres états,
C’est moi qui le veux, qui l’ordonne :
Tremble si tu n’obéis pas.
Créon
Ah ! c’est trop en souffrir ; gardes, qu’on la saisisse.
Les gardes vont pour saisir Médée, elle les touche de sa baguette,
et en même temps ils tournent leurs armes les uns contre les autres.
Créon
Que vois-je ! ah, justes dieux !
Par quel mouvement furieux,
Vouloir que par vos mains chacun de vous périsse.
Médée
Montre ici ta puissance à retenir leurs bras ;
Sois roi, si tu peux l’être, et suspens leurs combats.
Créon veut s'avancer vers Médée, et les gardes l'environnent pour
l’arrêter.
Créon
Quoi, lâches, contre moi tous vos efforts s’unissent ?
Médée
Je plains ton triste sort, tes sujets te trahissent,
Mais ne crains rien de leur comportement ;
Pour le faire cesser je ne veux qu’un moment.
Elle fait un cercle en l’air avec sa baguette,
et aussitôt on voit des fantômes sous la figure de femmes agréables.
SCÈNE SEPTIÈME
Créon, Médée. Fantômes et gardes du roi.
Médée
Objets agréables,
Fantômes aimables,
Appaisez les fureurs
De ces farouches cœurs.
Entrée des fantômes.
Un fantôme
Après de mortelles alarmes,
Qu’un heureux calme semble doux !
Chœur
Après de mortelles alarmes,
Qu’un heureux calme semble doux !
Fantôme
Cœurs agités d’un vain couroux,
Cédez, rendez-vous à nos charmes.
Où prendrez-vous des armes
Qui tiennent contre nous ?
Chœur
Cœurs agités d’un vain couroux,
Cédez, rendez-vous à nos charmes.
Où prendrez-vous des armes
Qui tiennent contre nous ?
Créon
Par quel prodige, à moi-même contraire,
En voyant ces objets, n’ai-je plus de colère ?
Deux fantômes
Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Une âme de glace
S’en laisse émouvoir,
Et quoi que l’on fasse,
Le chagrin le plus noir
Lui doit céder la place.
Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Chœur
Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Une âme de glace
S’en laisse émouvoir,
Et quoi que l’on fasse,
Le chagrin le plus noir
Lui doit céder la place.
Tout ressent le pouvoir
Du plaisir de nous voir.
Les fantômes disparaissent, et les gardes charmés de leur beauté
abondonnent le roi pour les suivre.
SCÈNE HUITIÈME
Médée, Créon, Nérine.
Médée
Mon pouvoir t’est connu, j’ai mis ta garde en fuite,
Pour te forcer à l’hymen que je veux,
Mon art secondera mes vœux,
J’ai commencé, crains-en la suite.
Créon
Quoi, l’on viendra me braver dans ma cour !
Périsse tout plutôt que je l’endure.
Votre sang odieux lavera mon injure,
Ou les dieux m’ôteront le jour.
Médée
D’un indigne mépris c’est trop souffrir l’outrage.
Viens, Fureur, c’est à toi d’achever mon ouvrage.
La Fureur paraît avec son flambeau, et passe par devant Créon.
SCÈNE NEUVIÈME
Créon seul.
Créon
Noires divinités, que voulez-vous de moi ?
Impitoyables Euménides,
Vous faut-il le sang des perfides
Qui n’ont pas respecté leur roi ?
Mais où suis-je ? d’où vient tout à coup ce silence ?
Le ciel s’arme de feux. Ah, c’est pour ma vengeance.
Courons, n’épargnons rien. Que d’horribles éclats !
Où veux-je aller ? Tout tremble sous mes pas.
Tout s’abîme, la terre s’ouvre.
Dans ses grouffres profonds quels monstres je découvre !
Ils saisissent Médée. Ah, ne la quittez pas.
Les sombres flots du Styx n’ont rien qui m’épouvante.
Pour la voir condamner aux plus affreux tourments,
Je vais apprendre à Radamante
Jusqu’où va la noirceur de ses enchantements.
FIN DU QUATRIÈME ACTE
ACTE V
Le théâtre représente le palais de Médée.
SCÈNE PREMIÈRE
Médée, Nérine.
Nérine
On ne peut sans effroi soutenir sa présence.
Il court de toutes parts, menaçant, furieux,
Dans ce funeste état tout ce qu’il voit l’offense ;
La princesse elle seule, en s’offrant à ses yeux,
Semble de sa fureur calmer la violence ;
Il s’arrête, il soupire, et garde un long silence.
Médée
Et que dit son heureux amant ?
Nérine
Jason ignore encor ce triste évènement.
Occupé par les soins que la guerre demande,
Il range avec nos chefs les troupes qu’il commande.
Médée
Que d’horreur ! que de maux suivront sa trahison !
C’est lui seul qui les cause, il m’en fera raison ;
Vengeons-nous. Ma fureur, à tant de rois fatale,
A-t-elle assez de ma rivale ?
Non, s’il ose garder ses sentiments ingrats,
Si toujours il perd la mémoire
De ce que j’ai fait pour sa gloire,
Il aime ses enfants, ne les épargnons pas.
Ne les épargnons pas ! ah, trop barbare mère !
Quel crime ont-ils commis pour leur percer le sein ?
Nature, tu parles en vain,
Leur crime est assez grand d’avoir Jason pour père.
Quel désespoir m’aveugle et m’emporte contre eux ?
Leur âge permet-il cet affreux parricide,
Et sont-ils criminels pour être malheureux ?
Quoi, je craindrais de punir un perfide !
De ses vœux triomphants ma mort serait l’effet !
Oublions l’innocence, et voyons le forfait.
Une indigne pitié me les fait reconnaître ;
C’est mon sang, il est vrai, mais c’est le sang d’un traitre.
Puis-je trop acheter, en les faisant périr,
La douceur de le voir souffrir ?
SCÈNE SECONDE
Créuse, Médée, Nérine.
Créuse
Si la pitié vous peut trouver sensible,
Voyez une princesse en pleurs,
Qui vient vous demander la fin de ses malheurs :
À votre art rien n’est impossible.
Pour garantir l’état des maux que je prévois,
Si la pitié vous peut trouver sensible,
Appaisez la fureur du roi.
Médée
Si vous voulez obtenir ce miracle,
C’est au prince d’Argos qu’il faut vous adresser.
Par son hymen vos maux doivent cesser,
Vos désirs n’auront point d’obstacle :
Mais je veux qu’en ce même jour,
En recevant sa foi, vous payez son amour.
Créuse
Sur cet hymen quel parti puis-je prendre,
Quand d’un père et d’un roi le ciel m’a fait dépendre ?
Médée
J’ai parlé, c’est assez ; ne cherchez plus qu’en moi,
Le pouvoir d’un père et d’un roi.
Créuse
Pourquoi précipiter un dessein…
Médée
Pourquoi précipiter un dessein…Point d’excuse.
Du trouble où je vous mets je connais la raison ;
Quand au prince d’Argos votre cœur se refuse,
Il veut se garder à Jason.
Créuse
Se garder à Jason ?
Médée
Se garder à Jason ?Je sais sa perfidie,
En lui vous aviez un amant ;
Mais on n’offense pas Médée impunément ;
D’une entreprise si hardie
L’univers étonné verra le châtiment.
Créuse
Ah, reprenez Jason, et me rendez mon père.
Que Jason parte, et qu’il fuie avec vous.
Médée
Non, de ma main vous prendrez un époux ;
Ce seul moyen peut satisfaire
Les transports de mon cœur jaloux.
Chœur de Corinthiens qu’on ne voit pas
Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !
Corinthe, hélas ! que vas-tu devenir ?
Créuse
Que ce grand bruit m’est redoutable !
Chœur
Dieux cruels, est-ce ainsi que votre haine accable
Ceux que vous devez soutenir ?
SCÈNE TROISIÈME
Créuse, Médée, Nérine, Cléone. Chœur des Corinthiens.
Créuse à Cléone
Venez, parlez ; qu’avez-vous à m’apprendre ?
Je vois vos yeux baignés de pleurs.
Cléone
Je viens vous annoncer le plus grand des malheurs.
Le roi ne respirait que du sang à répandre,
Quand voyant le prince d’Argos,
Il a paru plus en repos.
Sa fureur semblait dissipée ;
Mais dans le temps qu’on n’a rien redouté
De sa fausse tranquillité,
De ce malheureux prince il a saisi l’épée,
Et lui perçant le flanc, son bras nous a fait voir
Ce que peut un prompt désespoir.
Créuse
Hélas !
Cléone
Hélas !Dans ce malheur extrême,
Chacun s’est empressé de lui prêter secours.
Le roi dans cet instant a terminé ses jours,
Du même fer il s’est percé lui-même.
Ah, s’est-il écrié, le ciel l’a donc permis,
J’ai vaincu tous mes ennemis.
Chœur des Corinthiens
Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !
Corinthe, hélas ! que vas-tu devenir ?
Dieux cruels, est-ce ainsi que votre haine accable
Ceux que vous devez soutenir ?
Refusons notre encens, notre hommage,
À ces dieux inhumains ;
Tous nos respects sont vains,
Nos malheurs sont leur injuste ouvrage.
Refusons notre encens, notre hommage,
À ces dieux inhumains.
Créuse
C’est assez, laissez-moi, vos pleurs ne font qu’aigrir
Les maux que je me dois préparer à souffrir.
SCÈNE QUATRIÈME
Médée, Créuse, Nérine, Cléone.
Créuse
Eh bien, barbare, êtes-vous satisfaite ?
Par de plus grands forfaits voulez-vous mériter
Le détestable honneur de faire redouter
Le pouvoir que l’enfer vous prête ?
Médée
Un peu de sang versé vous met-il en courroux ?
Si c’est pour vos regards un spectacle funeste,
Le cœur de Jason qui vous reste,
Pour vous en consoler, est un prix assez doux.
Créuse
Ah, si j’ai sur lui quelque empire,
Craignez à vous punir la dernière rigueur.
Je ne m’en servirai, que pour mettre en son cœur
Toute la haine que m’inspire
Ce que pour vous je sens d’horreur.
Médée
Que peuvent contre moi ces desseins de vengeance ?
Quels effets en seront produits,
Puisque vous ignorez jusqu’où va ma puissance,
Connaissez tout ce que je suis.
Médée touche Créuse de sa baguette et s’en va.
SCÈNE CINQUIÈME
Créuse, Cléone.
Créuse
Quel feu dans mes veines s’allume ?
Quel poison, dont l’ardeur tout à coup me consumme,
Dans cette robe était caché ?
Soutenez-moi, je n’en puis plus, je tremble,
Je brûle. Sur mon corps un brasier attaché
Me fait souffrir mille tourments ensemble.
Mon mal est sans remède, à quoi servent ces pleurs ?
Rien ne peut soulager l’excès de mes douleurs.
SCÈNE SIXIÈME
Jason, Créuse, Cléone.
Jason
Ah, roi trop malheureux ! mais ô ciel ! la princesse
Paraît mourante entre vos bras !
Qui la met dans cette faiblesse ?
Créuse
Approchez-vous, Jason, ne m’abandonnez pas.
Mon père est mort, je vais mourir moi-même.
Je péris par les traits que Médée a formés ;
Mille poisons dans sa robe enfermés,
Par une violence extrême,
Vous ôtent ce que vous aimez.
Ce que j’endure est incroyable ;
Mais au moins j’ai de quoi rendre grâces aux dieux,
Que sa fureur impitoyable
Me laisse la douceur de mourir à vos yeux.
Jason
Appelez-vous douceur un effet de sa rage ?
De cet affreux spectacle elle a su la rigueur.
Pouvait-elle mettre en usage
Un supplice plus propre à m’arracher le cœur ?
Tous deux
Hélas ! prêts d’être unis par les plus douces chaînes,
Faut-il nous voir séparer à jamais ?
Créuse
Peut-on rien ajouter à l’excès de mes peines ?
Jason
Peut-on lancer sur moi de plus terribles traits ?
Tous deux
Hélas ! prêts d’être unis par les plus douces chaînes,
Faut-il nous voir séparer à jamais ?
Créuse
Mais déjà de la mort les horreurs me saisissent,
Je perds la voix, mes forces s’affaiblissent,
C’en est fait, j’expire, je meurs.
On emporte Créuse.
SCÈNE SEPTIÈME
Jason, seul.
Jason
Elle est morte, et je vis ! courons à la vengeance,
Pour être en liberté de renoncer au jour :
La perte de Médée est due à mon amour.
Quel supplice assez grand peut expier l’offense ?
Mais par quel effet de son art…
SCÈNE HUITIÈME
Médée, Jason.
Médée en l’air sur un dragon
C’est peu, pour contenter la douleur qui te presse,
D’avoir à venger la princesse ;
Venge encor tes enfants ; ce funeste poignard
Les a ravis à ta tendresse.
Jason
Ah barbare !
Médée
Ah barbare !Infidèle ! après ta trahison,
Ai-je dû voir mes fils dans les fils de Jason ?
Jason
Ne crois pas échapper au transport qui m’anime,
Pour te punir j’irai jusqu’aux Enfers.
Médée
Ton désespoir choisit mal sa victime.
Que pourra-t-il, puisque les airs
Sont pour moi des chemins ouverts ?
Jason
Ah, le ciel qui toujours protegea l’innoncence…
Médée
Adieu Jason, j’ai rempli ma vengeance.
Voyant Corinthe en feu, ses palais embrasés,
Pleure à jamais les maux que ta flamme a causés.
Médée fend les airs sur son dragon, et en même temps les statues et
autres ornements du palais se brisent. On voit sortir des démons de
tous côtés, qui ayant des feux à la main embrasent ce même palais.
Ces démons disparaissent, une nuit se forme, et cet édifice ne
paraît plus que ruine et monstres, après quoi il tombe une pluie de
feu.
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE
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