LA NAISSANCE DE VÉNUS

PROLOGUE

Le Theatre represente un superbe Palais, au milieu duquel les Graces paroissent assoupies sous un Pavillon magnifique.

SCENE PREMIERE

Le Temps, accompagné des douze Mois qui composent l’Année.
Le Temps
Lorsque Mars renouvelle un funeste ravage
En cent Climats divers,
Le plus grand Roy de l’Univers
Met cet heureux séjour à couvert de l’orage.
Ce HEROS, en faveur de son illustre Cour,
Veut que je rappelle le jour
Où Venus autrefois sortit du sein de l’onde ;
Les Graces en ces lieux goûtent par ses bienfaits
Un repos plein d’attraits ;
Pour plaire au plus grand Roy du monde,
Troublons une si douce paix.

SCENE DEUXIÈME

Le Temps, les Trois Graces, Suite du Temps, Suite des Graces.
Les Trois Graces
Quelle voix nous appelle ?
Quelle nouveauté ! quels concerts !
Le Temps
Venus doit en ce jour sortir du sein des Mers,
La Jeunesse & l’Amour paroîtront avec elle,
Accourez, il est temps que vos yeux soient ouverts,
Tout doit veiller dans l’Univers,
Pour voir cette beauté nouvelle.
Chœur
Celebrons les Vertus, admirons les Exploits
Du plus puissant des Rois.
Tout paroît allarmé
Quand son Tonnerre gronde ;
Mais son bras n’est jamais armé
Que pour donner la paix au monde.
Fin du Prologue
 

ACTE PREMIER

Le Theatre represente un endroit agreable de l’Isle de Cypre au bord de la Mer.

SCENE PREMIERE

Neptune, Nerée.
Neptune
Apres tant de cruelles peines
L’Amour termine enfin ses rigueurs inhumaines,
Amphitrite devient sensible à mes soupirs :
Que le passage est doux des tourmens aux plaisirs !
Vous vous troublez.
Nerée
Vous vous troublez.Amphitrite vous aime.
Neptune
L’Amour a fait pour moy ce miracle nouveau ;
Si sa cruauté fut extrême
Mon triomphe en devient plus beau.
Vostre amitié tendre & constante
S’interesse toûjours à mes vœux les plus doux :
J’ay formé le dessein d’une Feste galante ;
Pour la rendre éclatante
Je veux me reposer sur vous.

SCENE SECONDE

Nerée seul.
Quelle indigne frayeur rend mon ame interdite !
Pourquoy cacher mes feux par de lâches detours ?
Ah ! Si le Dieu des Eaux est aimé d’Amphitrite
Est-ce à Nerée à servir ses amours ?
Lors que du haut des Cieux le sort le fit descendre,
Pour me ravir l’Empire où je devois m’attendre ;
L’hymen flattoit mes feux, j’allois estre charmé,
Amphitrite à mes vœux estoit preste à se rendre,
Et nul autre que moy n’avoit droit de pretendre
A la douceur d’en estre aimé.
Mais faut-il que je garde une fatale chaîne ?
Je voy dans l’avenir mon destin rigoureux,
Je voy l’abîme affreux
Où mes amour m’entraîne,
Et je ne puis briser mes nœuds.
Amphitrite paroist.

SCENE TROISIÈME

Nerée, Amphitrite.
Nerée
Amphitrite paroist.En ce lieu solitaire
Vous n’avez pas crû me trouver,
Vous y venez réver.
Amphitrite
Jaloux, inquiet & colere.
Vous vous plaignez incessamment.
Nerée
Je me plains toûjours vainement.
Je ne le voy que trop, vous fuyez la presence
D’un Amant mal-traité ;
Vous rougissez de ma constance,
Et de vostre infidelité.
Amphitrite
Quel reproche osez-vous me faire ?
Nerée
Un autre a sceu vous plaire
Cessez de déguiser.
Amphitrite
Cessez de m’accuser.
Lors que j’ay vû vos feux s’éteindre
J’ay feint de ne vous plus aimer ;
Je cherchois à vous allarmer
Pour vous engager à vous plaindre.
Non mon cœur ne s’est dégagé
Qu’après que vous ayez changé.
Nerée
Cruelle, vous feignez de ne me pas connoistre ;
L’excés de mon ardeur n’a que trop sçû paroistre
Pour avoir pû si-tost changer.
Si je ne puis me dégager
Quand je voy vôtre cœur suivre une amour nouvelle,
Comment l’aurois-je fait quand vous estiez fidelle ?
Amphitrite
Rendez-vous aux vœux de Doris,
Elle se livre à ses douleurs profondes,
Et cache dans les Ondes
Sa honte, & vos mépris.
Nerée
Quand l’amour a forcé nostre cœur à se rendre
Est-il aisé de le reprendre ?
Il m’a soûmis à vos appas ;
C’est mon sort d’en dépendre :
Et quand je voudrois m’en défendre
Malgré vostre rigueur, je ne le pourrois pas.
Amphitrite
Je ne vous fais plus un mistere
D’un feu qui me paroist charmant.
Nerée
Juste Ciel !
Amphitrite
Juste Ciel !Le rival que mon cœur vous prefere
Excuse assez mon changement.
Nerée
Puisque dans vostre cœur un autre a pris ma place,
Ingrate, apprenez donc le sort qui vous menace.
Amphitrite
O Dieux !
Nerée
O Dieux !Si je suis outragé
Bien-tost je me verray vangé.
Nerée entre icy dans un fureur prophetique.
Tremble, Deesse infidelle,
Tremble pour tes amours, je voy sortir des flots
Une beauté nouvelle ;
Ton amant va brûler pour elle :
Son cœur brise des nœuds que tu trouvois si beaux :
Il te fuit, c’est en vain que ta voix le rappelle.
Tremble, Deesse infidelle,
Je te vois succomber à l’excés de tes maux.

SCENE QUATRIÈME

Amphitrite seule.
Quel Oracle a-t’il fait entendre ?
Ciel ! Que viens-je d’apprendre ?
Que deviendray-je ? Helas !
Si Neptune s’attache à de nouveaux appas.
Mais pourquoy m’allarmer ? Ce funeste presage
Est peut-estre un effet de sa jalouse rage.
Je ne me trompe point, une secrette horreur
Se joint au transport qui l’inspire ;
Son oracle est trop sûr, le trouble de mon cœur
M’annonce le malheur qu’il vient de me predire.

SCENE CINQUIÈME

Neptune, Amphitrite.
Amphitrite
Neptune vous m’aimez, & vous m’allez quitter.
Neptune
Qu’entends-je ? O Ciel !
Amphitrite
Qu’entends-je ? O Ciel !Vous voyez une Amante
Interdite & tremblante
Du coup affreux qu’on luy fait redouter ;
Neptune vous m’aimez, & vous m’allez quitter.
Neptune
Banissez ce soupçon, que vostre trouble cesse ;
Je n’ay rien fait qui vous doive allarmer,
Je vous aime belle Deesse,
Et je ne puis jamais cesser de vous aimer.
Amphitrite
Nerée à qui le sort a donné la Science
De dissiper la nuit du plus sombre avenir,
Vient de me menacer que par vostre inconstance :
Nos deux cœurs vont se des-unir.
Neptune
Le perfide Nerée ose troubler ma flame.
Amphitrite
Malgré tous ses chagrins jaloux,
Son Oracle a frappé mon ame ;
Je fais de vains efforts pour m’assurer de vous.
Neptune
Je tiens le vastes mers sous mon obeissance :
Je souleve les flots, je calme leur courroux ;
Mais sans l’amour que j’ay pour vous
Je compterois pour rien ma suprême puissance.
Ensemble
Gardons-nous de briser un lien si charmant,
Aimons-nous d’une ardeur constante ;
La grandeur la plus éclatante
Vaut-elle la douceur que l’on goûte en aimant ?
Quel bruit se fait entendre ?
On entend icy un bruit de Musique qui marque une espece de revolution dans l’Empire de Neptune.
Neptune
Mon Empire se trouble.
Amphitrite
Mon Empire se trouble.O Dieux !

SCENE HUITIÈME

Neptune, Venus, les Divinitez de la Mer.
Neptune
La Deesse d’amour sort de mon vaste Empire,
Elle donne des Loix à tout ce qui respire.
Celebrez ses attraits Vainqueurs,
D’un seul de ses regards elle enchaîne les cœurs.
Le Chœur
Celebrons ses attraits Vainqueurs ;
D’un seul de ses regards elle enchaîne les cœurs.
Chœur des Tritons
Quelle gloire pour la Mer !
Fin du premier Acte
 

ACTE SECOND

Le Theatre represente le Mont de Cythere, au pied duquel on voit des Bocages & des Prairies agreables.

SCENE PREMIERE

Neptune seul.
Quelle douce langueur rend mon ame interdite ?
O Ciel ! De quelle ardeur je me laisse enflamer ?
Je ne reconnois plus mon cœur pour Amphitrite ;
Un moment me suffit pour cesser de l’aimer.
Quoy, ceder sans rien entreprendre ?
Que sert la resistance ? Helas !
Contre Venus quel cœur peut se défendre ?
Qui peut éviter de se rendre
A ses charmans appas ?

SCENE SECONDE

Neptune, Nerée.
Neptune
Amphitrite n’a plus de pouvoir sur mon ame,
Je ne troubleray plus vostre amoureuse flâme.
Nerée
Venus m’a delivré d’un rival dangereux.
Mais que me sert helas, que vous brûliez pour elle ?
Je n’en seray pas plus heureux :
Amphitrite pour moy sera toûjours cruelle.
Vostre chaîne nouvelle
Ne servira qu’à redoubler ses feux.
Neptune
Ne vous rebutez point, cherchez toûjours à plaire.
La plus superbe beauté,
Contre un Amant qui persevere,
S’arme en vain de fierté.
J’ay besoin de vostre assistance :
Dans l’Empire des Eaux Venus a pris naissance.
Jupiter paroist obstiné
A me ravir ce bien que le sort m’a donné.
Mercure de sa part, vient de me faire entendre
Qu’en vain je voudrois y pretendre.
Ensemble
Unissons nos efforts contre ce Dieu jaloux,
Ne souffrons pas qu’il triomphe de nous.

SCENE TROISIÈME

Amphitrite, Neptune, Nerée.
Amphitrite à Neptune
Quoy Nerée avec vous paroist d’intelligence ?
Ciel ! Neptune fuit ma presence.
à Nerée.
Vostre Oracle fatal auroit-il réussi ?
Nerée expliquez-moy cet horrible mistere :
Parlez, vostre secours m’est icy necessaire,
Et mon cœur veut estre eclaircy.
Nerée
Dois-je avoir part à vostre confidence ?
Dois-je écoûter vos jalouses fureurs ?
Si Neptune vous fuit, s’il cause vos frayeurs,
C’est à Neptune à rompre le silence.

SCENE QUATRIÈME

Amphitrite, Neptune.
Amphitrite
Vous ne jettez sur moy que des regards glacez.
Neptune
Je vous aime toujours.
Amphitrite
Je vous aime toujours.Non, vous me trahissez.
Vous cherchez en ces lieux une beauté nouvelle
Ingrat, vous me quittez pour elle.
Neptune
Je voudrois vainement cacher ma trahison ;
Mon changement n’a que trop sceu paroistre :
Je suis un infidelle, un traistre ;
Et je sens malgré vous & malgré ma raison
Que je ne puis cesser de l’estre.
Amphitrite
Qu’entends-je ?
Neptune
Qu’entends-je ?Donnez-moy tous les noms odieux
Que vous peut inspirer une juste colere :
Je suis indigne de vous plaire,
Je ne refuse point d’en rougir à vos yeux.
Amphitrite
Quoy vous pouvez briser une chaîne si belle ?
Pourquoy me juriez-vous de la rendre éternelle
Si vous deviez manquer de foy ?
Quel tourment pour mon cœur ! Ah ! Quelle inquietude !
Faut-il que je renonce à la douce habitude
De vous voir sensible pour moy ?
Neptune
Plaignez-vous j’y consens ; punissez un outrage
Qui contre moy doit vous faire éclater ;
Mon changement vous laisse un si triste avantage.
Amphitrite
Ingrat.
Neptune
Ingrat.Mon cœur n’a point cedé sans resister :
Pour garder mes liens j’ay mis tout en usage ;
Mais l’Amour sans me consulter,
Avec de nouveaux traits a détruit son ouvrage.
Amphitrite
Estoit-ce assez de combattre un moment ?
Neptune
Je partage vostre tourment.
Amphitrite
Va traistre, va revoir ton amante nouvelle ;
Fais briller à ses yeux la gloire de tes fers,
Tu comptes les momens que tu passes loin d’elle,
Ton cœur que j’avois cru si tendre & si fidelle,
Me reproche en secret les douceurs que tu perds.

SCENE CINQUIÈME

Venus, Neptune.
Neptune
Les soins d’une cour qui vous aime,
N’ont rien qui puisse vous toucher.
Venus
Devez-vous me le reprocher ?
Le sort me laisse-t’il disposer de moy-mesme ?
Il me soûmet aux loix du Souverain des Cieux.
Neptune
J’arresteray ses projets odieux.
Venus
Je sçay que le sort m’a fait naistre
Dans l’Empire qui suit vos loix ;
Je sçay tout ce que je vous dois,
Et mon cœur est sensible autant qu’il le peut estre.
Neptune
Non vous ne sçavez pas mes sentiments pour vous.
J’aimois, j’estois aimé de la belle Amphitrite :
Je croyois tous les Dieux de mon bonheur jaloux.
Mon ame, à vostre abord, étonnée, interdite,
Oublia son amour, & se trouva reduite
A briser des liens si doux.
Venus
Amphitrite est belle & charmante ;
On doit à ses attraits une flâme constante.
Croyez-moy, reprenez vostre premiere ardeur,
Reconnoissez vostre bonheur extrême ;
Amphitrite vous plaist, & vous avez son cœur,
On n’est pas toûjours sûr d’estre aimé quand on aime.
Neptune
Tous vos conseils sont superflus,
Mon effort seroit inutile ;
Croyez-vous qu’il me soit facile
De reprendre des fers que vous avez rompus ?
Venus
Je ne veux point troubler une flâme si belle ;
Gardez vos premiers nœuds, ne les brisez jamais.
Dans une amour nouvelle,
Vostre cœur trouveroit peut-estre moins d’attraits.
Neptune
Contre tous vos appas mon cœur est sans défence ;
L’amour est en vostre puissance.
Venus
De quoy vous plaignez-vous ?
Mon amour malgré moy vient assez de paroistre,
Vous avez du le connoistre
Dans mes sentimens jaloux.
Neptune
Quoy vous m’aimez, belle Deesse ?
Venus
Je ne sçaurois vous cacher ma tendresse.
Neptune
Quel bonheur ?
Venus
Quel bonheur ?Jupiter est contraire à nos vœux.
Neptune
Je vaincray son effort barbare.
Venus
Nostre amour ne peut estre heureux,
S’il faut que le sort nous separe.
Ensemble
Gardons nos liens, aimons-nous
Malgré Jupiter en couroux.

SCENE HUITIÈME

Les Ris, les Jeux, les Graces, les Plaisirs, et les Amours.
Les Chœurs
Tout cede à vos loix souveraines,
Tout se plaist dans vos douces chaînes.
Regnez, Deesse des attraits,
Regnez sur les cœurs à jamais.
Fin du deuxième Acte
 

ACTE TROISIÈME

Le Theatre change, & represente les Jardins, & le Palais de Venus.

SCENE PREMIERE

Neptune, Nerée.
Nerée
Jupiter vous sera contraire
Si vous ne surmontez une fatale ardeur :
L’Univers menacé d’un horrible malheur
Attend de vous cet effort necessaire.

SCENE SECONDE

Neptune, Nerée.
Neptune
Nerée annoncez ma vengeance
Aux Dieux des Eaux soûmis à mon obeïssance.

SCENE TROISIÈME

Neptune seul.
Neptune
N’ecoutons plus que mon courroux.
Est-ce de Jupiter que Venus doit dépendre ?
Est-ce à luy d’entreprendre
De me ravir l’objet de mes vœux les plus doux ?
Ah ! si dans ce dessein le Dieu du Ciel s’engage,
J’armeray contre luy l’Ocean furieux ;
J’exciteray mes flots, j’attaqueray les Cieux,
Je causeray par tout un horrible ravage ;
Son Empire en sera troublé ;
Et l’Univers entier sous mes Eaux accablé,
Servira de victime à ma jalouse rage.
Venus paroist sans estre apperceuë.

SCENE QUATRIÈME

Venus, Neptune.
Venus
Arrétez.
Neptune
Arrétez.Je crains peu le Maistre des humains,
Si vous approuvez mes desseins.
Venus
Lors qu’au Maistre des Dieux vous declarez la Guerre,
Tout cede à l’effort de vos coups ;
L’Ocean irrité peut inonder la Terre.
Du soin de se vanger, Jupiter en courroux
Sur son tonnerre se repose ;
Je verray tout perir, & j’en seray la cause.
Neptune
Dois-je souffrir que Jupiter jaloux
M’enleve un bien si doux ?
Hatons un bonheur plein de charmes,
L’hymen nous prétera des armes.
Venus paroist tremblante & incertaine.
Ce projet n’a-t’il rien qui puisse vous flatter ?
Venus
L’amour qui pour vous m’engage
Vous en laisse t’il douter ?
Jupiter en courroux étonne mon courage,
Et ce n’est point l’hymen qui me fait hésiter.
Je sens mille peines secretes,
Je ne puis dissiper mes craintes inquietes.
Mais malgré tout mon embaras,
Et malgré Jupiter qui s’oppose à ma flâme
Je sentirois cent fois plus de trouble en mon ame,
Si vous ne m’aimiez pas.
Venus & Neptune
Rendons éternelle
Une ardeur si fidelle.
Goûtons d’un tendre amour les charmantes douceurs.
Est-ce au Maistre des Dieux à séparer nos cœurs ?
Venus
Preparons à l’hymen un pompeux sacrifice.
Neptune
Junon nous sera propice ;
Jupiter luy paroist charmé de vos appas.
Venus
O Ciel ! je vais suivre vos pas.
Junon descend de son char.

SCENE SEPTIÈME

Junon.
Junon
Tu vas voir en ce jour triompher ma puissance ;
Pour calmer tes ennuis j’abandonne les Cieux,
Venus & ton Rival sentiront ma vengeance,
Avant que le Soleil se dérobe à tes yeux.
Est-ce à Venus à m’arracher l’hommage
Que l’on rendoit à ma beauté ?
Dois-je souffrir avec tranquillité
Un si sensible outrage ?
Depuis qu’elle a reçeu le jour,
Mon infidele Epoux neglige nostre amour.
Va prevenir l’Hymen…
La Haine & sa suite environnement Junon avec des flambeaux allumez qu’ils lui presentent, pour lui inspirer leur fureur.

SCENE HUITIÈME

Junon.
De ma haine funeste,
Preparons-luy les premiers coups ;
Je veux qu’elle prenne un epoux
Qu’elle abhorre & qu’elle déteste.
Junon remonte dans le Ciel.

SCENE NEUVIÈME

Neptune, Venus.
Venus
Calmez un courroux dangereux :
Neptune
Ah ! si tout s’oppose à nos feux ;
Il faut que tout perisse, & que ma fureur vole,
Dans l’Empire d’Eole,
Pour déchaîner les vents impetueux :
Dans ma fureur extrême,
Forçons Jupiter même,
A répondre à mes veux :
Je quitte à regret ce que j’aime ;
Mais que ne fait-on point pour devenir heureux ?

SCENE DIXIÈME

Venus seule.
Que je payeray cher les transports que Neptune
Fait éclater en ma faveur !
Le Souverain des Dieux s’oppose à son bon-heur :
Les mortels vont bien-tost d’une plainte commune,
De leurs communs malheurs déplorer la grandeur :
Je verray l’Univers plein de trouble & d’horreur,
Accuser de son infortune,
L’Amour qui regne dans mon cœur :
Que je payeray cher les transports que Neptune
Fait éclater en ma faveur !

SCENE DOUZIÈME

Venus, les Persans, les Affricains, les Americains, les Europeens ; Suite de ces quatre Nations.
Chœur
Venus va triompher des hommes & des Dieux ;
Admirons son pouvoir, celebrons sa victoire :
L’Amour se voit comblé de gloire,
Par ses appas victorieux.
Fin du troisième Acte
 

ACTE IV

Le Theatre change & represente la caverne où sont enfermez les Vents qu’Eole tient sous sa puissance : les Vents paroissent enchaînez aux deux cotez du Theatre.

SCENE PREMIERE

Borée & les autres Vents
Borée
Eole en ce séjour affreux,
Tient enfermez les Vents impetueux ;
Il rend leur fureur impuissante,
Sous la masse pesante,
Des monts qu’il entasse sur eux.
Ensemble
Ah ! quelle rigueur inhumaine ;
Quand pourons-nous briser une si dure chaine ?
Borée
Tous nos efforts sont superflus :
Suis-je Borée ? ô Ciel ! je ne me connois plus ;
Si-tost que je me vois échapé de ma chaîne,
Je remplis l’Univers d’effroy :
Je ravage & j’entraisne
Tout ce qui s’offre devant moy.
Je suis plus craint que le Tonnerre ;
Tout cede à la fureur de mes emportements :
Je souléve les flots, je désole la Terre,
Et j’ébransle ses fondemens.
Mais helas ! à ma vaine rage,
Cet antre affreux ne laisse aucun passage,
Pour sortir de ces lieux voisins du noir sejour ;
Il n’est pour nous aucun détour.
Ensemble
Ah ! quelle rigueur inhumaine ;
Quand pourons-nous briser une si dure chaine ?
Borée
Echappons-nous, que ces Monts entassez
Soient par nos efforts renversez.
Ensemble
Echappons-nous, que ces Monts entassez
Soient par nos efforts renversez.

SCENE TROISIÈME

Neptune & les Vents.
Neptune
Venus vient de sortir du vaste sein de l’Onde :
Elle plaist au Maistre du monde ;
Mais elle plaist encor plus à mes yeux :
Il pretend malgré-moy la placer dans les Cieux ;
Contre une injuste violence,
Eole j’ay besoin de toute ma puissance ;
C’est à toy seul que j’ay recours,
Préte-moy ton secours.
Rapellez en ces lieux les Vents les plus paisibles,
Déchainez les plus terribles ;
Que par leur courroux furieux,
L’Ocean irrité s’éleve jusqu’aux Cieux :
Qu’à l’Univers entier il déclare la guerre ;
Que ses flots innondent la terre,
Et qu’ils fassent trembler les hommes & les Dieux.
Neptune sort.

SCENE QUATRIÈME

Les Vents qui estoient sur le Theatre, & ceux qui sortent de leurs cachots.
Les Vents
Excitons nôtre affreux courroux,
Contre ses ennemis jaloux.
Les Vents excitent leur courroux par leurs danses.
Fin du quatrième Acte
 

ACTE V

Le Theatre change & represente le bord de la Mer, & le Temple de l’Hymen.

SCENE PREMIÈRE

Neptune seul.
Les flots n’attendent plus que mes commandements,
Pour confondre les Elements ;
Avant que d’immoler le monde à ma colere :
Cherchons la Reyne de Cythere ;
Evitons Amphitrite.
Neptune sort.

SCENE SECONDE

Amphitrite seule.
Evitons Amphitrite.Il suit d’autres appas ;
Mal-heureuse, pourquoi m’attacher à ses pas ?
Qu’il est aisé de faire un infidelle,
Quand on laisse voir trop d’amour ?
Ay-je dû soupçonner qu’un jour,
Il trahiroit une flâme si belle :
L’Ingrat m’avoit promis de la rendre éternelle ;
Mon cœur y répondoit sans user de détour :
Qu’il est aisé de faire un infidelle
Quand on laisse voir trop d’amour ?
L’Hymen pour ces Amants paroît inexorable ;
Pour nous le rendre favorable,
Allons implorer son secours.

SCENE TROISIÈME

Nerée, Amphitrite.
Nerée
Inhumaine arrétez, me fuirez-vous toûjours ?
Mes soins, ma langueur, ma constance,
Ne borneront-ils point le cours
De vôtre injuste resistance ?
Amphitrite
J’ay connu mes mal-heurs par ton barbare soin :
Falloit-il à mes yeux les offrir de si loin ?
Nerée
Je croyois sauver vôtre gloire,
Du tord que mon Rival a fait à vos attraits.
Amphitrite
Il me restoit encor quelques moments à croire,
Que son amour pour moy ne changeroit jamais.
Pourquoy me dérober ces moments pleins de charmes ?
Pourquoy dans l’avenir me montrer mon mal-heur ?
J’aurois encor joüy d’une si douce erreur ;
Si tu n’avois avancé mes allarmes.
Nerée
J’ay voulu vainement, contre un rival heureux,
Vous inspirer un dépit genereux,
J’esperois voir finir vôtre rigueur extrême,
En vous faisant prévoir ses volages amours ;
Pour être aimé de ce qu’on aime,
A quoi n’a-t’on pas recours ?
Amphitrite
Laisse-moy m’occuper des biens que j’ay perdus.
Va, cesse de m’offrir des soupirs superflus.

SCENE QUATRIÈME

Nerée seul.
Aprés tous ses mépris, ah ! faut-il que je l’aime ?
Mon amour me doit rendre odieux à moy-mesme :
Quittons-la pour jamais ; mon cœur n’y consens pas.
Quand je veux m’arracher à sa rigueur extrême
Il m’oppose toûjours ses dangereux appas.
Conservons l’esperance ;
Il faut du Dieu des Eaux seconder la vengeance :
Si son triomphe est assuré
Mon sort n’est pas désesperé.

SCENE CINQUIÈME

Neptune, Venus, Nerée.
Neptune
D’un sort mal éclaircy pénétrons le mistere.
Venus
Ciel ! le Temple se ferme, & tout nous est contraire.
Le temple se ferme.
Que vois-je ? O Dieux !
Nerée
Que vois-je ? O Dieux !C’est la Reine des Cieux.

SCENE SIXIÈME

Neptune, Junon, Venus, Nerée, Amphitrite.
Junon
Venus, c’est vainement que ton ame obstinée
S’attend de voir icy couronner ton amour.
Tu vas connoître avant la fin du jour,
Que je préside à l’hymenée.
Junon s’envole.
Neptune à Venus
Il est temps d’éclater, demeurez en ces lieux.
Vous me verrez bien-tôt victorieux.

SCENE SEPTIÈME

Venus, Amphitrite.
Venus sans apercevoir Amphitrite
Je perds pour jamais ce que j’aime ;
Jupiter a pour luy tout le pouvoir suprême.
Amphitrite
Dans quel affreux danger
Le Dieu des Eaux va s’engager.
Les Ondes de la Mer s’élevent.
Ensemble
O Ciel ! quel funeste ravage ?
Les flots impetueux surmontent le rivage.

SCENE HUITIÈME

Amphitrite, Venus, Neptune, Nerée.
Amphitrite
Calmez vostre courroux, puissant maistre des Dieux.
Venus
Jupiter arrétez la foudre,
Vous allez tout réduire en poudre.
Neptune & Nerée
Soûlevez-vous flots furieux,
Attaquez la Terre & les Cieux.
Venus
Dieu de la Mer faite rentrer les Ondes
Dans leurs grottes profondes :
Je ne puis soûtenir des malheurs si cruels :
Je renonce à mes feux pour le bien des mortels.
Neptune
Vous me quittez inhumaine Deesse ;
Aviez-vous reservé ce prix à ma tendresse ?
Venus
Je vous perds à regret, j’en atteste les Dieux !
Pour l’interest commun mon cœur se sacrifie,
Si j’en pouvois perdre la vie
Mon amour me feroit expirer à vos yeux.

SCENE NEUVIÈME

Neptune, Venus, Amphitrite, Nerée, Jupiter dans la gloire, avec toute la Cour Celeste.
Jupiter
Pour donner la paix à la Terre,
Les Dieux sont obligez de vaincre leur courroux.
Tout l’Univers alloit expirer sous nos coups,
Si Venus n’eust finy cette fatalle guerre.
Pour ne point faire de jaloux,
Le sort veut que Vulcain devienne son époux :
Que Neptune pour Amphitrite,
Forme de nouveaux nœuds ;
Que Nerée à Doris adresse enfin ses vœux.
Amour, tout vous invite
A rendre ces Amants heureux.
Que le sombre chagrin soit banny de la Terre ;
Que tout ressente ici les douceurs de la Paix :
Aprés les fureurs de la Guerre,
Qu’il est doux de gouter un repos plein d’attraits !

SCENE DIXIÈME

Les Acteurs de la Scene precedente, les Peuples de Cythere, suite de Neptune, suite de Venus, suite de Vulcain.
Chœur des Peuples de Cythere, & de la suite de Vulcain
Jouïssons d’une Paix profonde ;
Le puissant Dieu de l’Onde,
A calmé son transport jaloux :
Le souverain du monde,
A retenu les coups
Du Tonnerre en courroux :
Jouïssons d’une Paix profonde.
Fin du cinquième et dernier Acte