ALCESTE
OU LE TRIOMPHE D’ALCIDE
LE RETOUR DES PLAISIRS
PROLOGUE
Le Theatre represente le Palais & les Jardins des Thuilleries ; La
Nymphe de la Seine paroist apuyée sur une Urne au milieu d’une Allée
dont les Arbres sont separez par des Fontaines.
La Nymphe de la Seine
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
Serai-je toûjours languissante
Dans une si cruelle attente ?
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
On n’entend plus d’Oyseau qui chante,
On ne voit plus de Fleurs qui naissent sous nos pas.
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
L’herbe naissante
Paroist mourante,
Tout languit avec moy dans ces lieux pleins d’appas.
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
Serai-je toûjours languissante
Dans une si cruelle attente ?
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
Quel bruit de guerre m’épouvante ?
Quelle Divinité va descendre icy bas ?
La Gloire paroist au milieu d’un Palais brillant qui descend au
bruit d’une harmonie guerriere
La Nymphe de la Seine
Helas ! superbe Gloire, helas !
Ne dois-tu point estre contente ?
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
Il ne te suit que trop dans l’horreur des Combas ;
Laisse en paix un moment sa Valeur triomphante.
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
Serai-je toûjours languissante
Dans une si cruelle attente ?
Le Heros que j’attens ne reviendra-t’il pas ?
La Gloire
Pourquoy tant murmurer ? Nymphe, ta plainte est vaine,
Tu ne peux voir sans moy le Heros que tu sers ;
Si son éloignement te couste tant de peine,
Il recompense assés les douceurs que tu pers ;
Voy ce qu’il fait pour toy quand la Gloire l’emmeine ;
Voy comme sa Valeur a soûmis à la Seine
Le Fleuve le plus fier qui soit dans l’Univers.
La Nymphe de la Seine
On ne voit plus icy paraistre
Que des Ornements imparfaits ;
Ah ! rends-nous nostre Auguste Maistre,
Tu nous rendras tous nos attraits.
La Gloire
Il revient, & tu dois m’en croire ;
Je luy sers de guide avec soin :
Puisque tu vois la Gloire
Ton Heros n’est pas loin.
Il laisse respirer tout le Monde qui tremble ;
Soyons icy d’accord pour combler ses desirs.
La Gloire et la Nymphe de la Seine
Qu’il est doux d’accorder ensemble
La Gloire & les Plaisirs.
La Nymphe de la Seine
Nayades, Dieux des Bois, Nymphes, que tout s’assemble,
Qu’on entende nos chants apres tant de soûpirs.
La Nymphe des Thuilleries s’avance avec une Troupe de Nymphes qui
dancent, les Arbres s’ouvrent & font voir des Divinitez Champestres
qui joüent de differents Instruments, & les Fontaines se changent en
Nayades qui chantent.
Le Chœur
Qu’il est doux d’accorder ensemble
La Gloire & les Plaisirs.
La Nymphe des Thuilleries
L’Art d’accord avec la Nature
Sert l’Amour dans ces lieux charmants :
Ces Eaux qui font resver par un si doux murmure,
Ces Tapis où les Fleurs forment tant d’ornements,
Ces Gazons, ces Lits de verdure,
Tout n’est fait que pour les Amants.
La Nymphe de la Marne Compagne de la Seine vient chanter au milieu
d’une troupe de Divinitez de Fleuves qui témoignent leur joye par
leur dance.
La Nymphe de la Marne
L’Onde se presse
D’aller sans cesse
Jusqu’au bout de son cours :
S’il faut qu’un Cœur suive une pante,
En est-il qui soit plus charmante
Que le doux penchant des Amours ?
La Gloire et la Nymphe de la Seine
Que tout retentisse :
Que tout réponde à nos voix :
La Nymphe des Thuilleries
Que tout fleurisse
Dans nos Jardins & dans nos Bois.
La Nymphe de la Marne
Que le chant des Oyseaux s’unisse
Avec le doux son des Haut-bois.
Tous Ensemble
Que tout retentisse,
Que tout réponde à nos voix.
Que le chant des Oyseaux s’unisse
Avec le doux son des Haut-bois.
Que tout retentisse
Que tout réponde à nos voix.
Les Divinitez de Fleuves & les Nymphes forment une dance generale
tandis que tous les Instruments & toutes les Voix s’unissent.
Tous Ensemble
Quel Cœur sauvage
Icy ne s’engage ?
Quel Cœur sauvage
Ne sent point l’amour ?
Nous allons voir les Plaisirs de retour ;
Ne manquons pas d’en faire un doux usage :
Pour rire un peu, l’on n’est pas moins sage.
Ah quel dommage
De fuir ce rivage !
Ah quel dommage
De perdre un beau jour !
Nous allons voir les Plaisirs de retour ;
Ne manquons pas d’en faire un doux usage :
Pour rire un peu, l’on n’est pas moins sage.
Revenez Plaisirs exilez ;
Volez, de toutes parts, volez.
Les Plaisirs volents, & viennent preparer des Divertissements.
Fin du Prologue
ACTE PREMIER
La Scene est dans la Ville d’Ycolos en Thessalie.
Le Theatre represente une Port de Mer, où l’on void un grand
Vaisseau orné & preparé pour une Feste galante au milieu de
plusieurs Vaisseaux de guerre.
SCENE PREMIERE
LE CHŒUR DES THESSALIENS, ALCIDE, LYCAS
Le Chœur
Vivez, vivez, heureux Espoux.
Lychas
Vostre Amy le plus cher épouze la Princesse
La plus charmante de la Grece,
Lors que chacun les suit, Seigneur, les fuyez-vous ?
Le Chœur
Vivez, vivez, heureux Espoux.
Lychas
Vous paroissez troublé des cris qui retentissent ?
Quand deux Amants heureux s’unissent
Le Cœur du grand Alcide en seroit-il jaloux ?
Le Chœur
Vivez, vivez, heureux Espoux.
Lychas
Seigneur, vous soûpirez, & gardez le silence ?
Alcide
Ah Lychas, laisse-moy partir en diligence.
Lychas
Quoy dés ce mesme jour presser vostre départ ?
Alcide
J’auray beau me presser je partiray trop tard.
Ce n’est point avec toy que je pretens me taire ;
Alceste est trop aimable, elle a trop sçeu me plaire ;
Un autre en est aimé, rien ne flatte mes vœux,
C’en est fait, Admete l’espouze,
Et c’est dans ce moment qu’on les unit tous deux.
Ah qu’une ame jalouse
Esprouve un tourment rigoureux !
J’ay peine à l’exprimer moy-mesme :
Figure-toy, si tu le peux,
Quelle est l’horreur extresme
De voir ce que l’on aime
Au pouvoir d’un Rival heureux.
Lychas
L’Amour est-il plus fort qu’un Heros indomptable ?
L’univers n’a point eû de Monstre redoutable
Que vous n’ayez pû surmonter.
Alcide
Eh crois-tu que l’Amour soit moins à redouter ?
Le plus grand Cœur a sa foiblesse.
Je ne puis me sauver de l’ardeur qui me presse
Qu’en quittant ce fatal Séjour :
Contre d’aimables charmes,
La Valeur est sans armes,
Et ce n’est qu’en fuyant qu’on peut vaincre l’Amour.
Lychas
Vous devez vous forcer, au moins, à voir la Feste
Qui déja dans ce Port vous paroist toute preste.
Vostre fuite à present seroit un trop grand bruit ;
Differez jusques à la nuit.
Alcide
Ah Lycas ! qu’elle nuit ! ah qu’elle nuit funeste !
Lychas
Tout le reste du jour voyez encore Alceste.
Alcide
La voir encore ?… hé bien differons mon départ,
Je te l’avois bien dit, je partiray trop tard.
Je vais la voir aimer un Espoux qui l’adore,
Je verray dans leurs yeux un tendre empressement :
Que je vais payer cherement
Le plaisir de la voir encore !
SCENE II
ALCIDE, STRATON, & LYCAS
Ensemble
L’amour a bien des maux, mais le plus grand de tous
C’est le tourment d’estre jaloux.
SCENE III
STRATON, LYCAS
Straton
Lychas, j’ay deux mots à te dire.
Lychas
Que veux-tu ? parle ; je t’entends.
Straton
Nous sommes amis de tous temps ;
Céphise, tu le sçais, me tient sous son Empire.
Tu suis par tout ses pas : qu’est-ce que tu pretens ?
Lychas
Je pretens rire.
Straton
Pourquoy veux-tu troubler deux Cœurs qui sont contents ?
Lychas
Je pretens rire.
Tu peux à ton gré t’enflamer ;
Chacun a sa façon d’aimer ;
Qui voudra soûpirer, soûpire,
Je pretens rire.
Straton
J’aime, & je suis aimé : laisse en paix nos amours.
Lychas
Rien ne doit t’allarmer s’il est bien vray qu’on t’aime ;
Un Rival rebutté donne un plaisir extresme.
Straton
Un Rival quel qu’il soit importune toûjours.
Lychas
Je voy ton amour sans colere,
Tu devrois en user ainsi :
Puisque Céphise t’a sçeu plaire,
Pourquoy ne veux-tu pas qu’elle me plaise aussi ?
Straton
A quoy sert-il d’aimer ce qu’il faut que l’on quitte ?
Tu ne peux demeurer long-temps dans cette Cour.
Lychas
Moins on a de momens à donner à l’Amour,
Et plus il faut qu’on en profite.
Straton
J’aime depuis deux ans avec fidelité :
Je puis croire, sans vanité,
Que tu ne dois pas estre un Rival qui m’alarme.
Lychas
J’ay pour moy la nouveauté,
En amour c’est un grand charme.
Straton
Céphise m’a promis un cœur tendre, & constant.
Lychas
Céphise m’en promet autant.
Straton
Ah si je le croyois !… Mais tu n’es pas croyable.
Lychas
Croy-moy, fais ton profit d’un reste d’amitié,
Sers-toy d’un avis charitable
Que je te donne par pitié.
Straton
Le mespris d’une volage
Doit estre un assés grand mal,
Et c’est un nouvel outrage
Que la pitié d’un Rival.
Elle vient l’Infidelle,
Pour chanter dans les Jeux dont je prens soins icy.
Lychas
Je te laisse avec elle,
Il ne tiendra qu’à toy d’estre mieux éclaircy.
SCENE IV
CÉPHISE, STRATON
Céphise
Dans ce beau jour, qu’elle humeur sombre
Fais-tu voir à contre-temps ?
Straton
C’est que je ne suis pas du nombre
Des Amants qui sont contents.
Céphise
Un ton grondeur & severe
N’est pas un grand agrément ;
Le chagrin n’avance guere
Les affaires d’un Amant.
Straton
Lychas vient de me faire entendre
Que je n’ay plus ton cœur, qu’il doit seul y pretendre,
Et que tu ne vois plus mon amour qu’à regret ?
Céphise
Lychas est peu discret…
Straton
Ah je m’en doutois bien qu’il vouloit me surprendre.
Céphise
Lychas est peu discret
D’avoir dit mon secret.
Straton
Coment ! il est donc vray ! tu n’en fais point d’excuse ?
Tu me trahis ainsi sans en estre confuse ?
Céphise
Tu te plains sans raison ;
Est-ce une trahison
Quand on te desabuse ?
Straton
Que je suis estonné de voir ton changement !
Céphise
Si je change d’Amant
Qu’y trouves-tu d’étrange ?
Est-ce un sujet d’estonnement
De voir une Fille qui change ?
Straton
Apres deux ans passez dans un si doux lien,
Devois-tu jamais prendre une chaine nouvelle.
Céphise
Ne contes-tu pour rien
D’estre deux ans fidelle ?
Straton
Par un espoir doux, & trompeur,
Pourquoy m’engageois-tu dans un amour si tendre ?
Faloit-il me donner ton cœur
Puis que tu voulois le reprendre ?
Céphise
Quand je t’offrois mon cœur, c’estoit de bonne foy
Que n’empesche tu qu’on te l’oste ?
Est-ce ma faute
Si Lychas me plaist plus que toy ?
Straton
Ingrate, est-ce le prix de ma perseverance ?
Céphise
Essaye un peu de l’inconstance :
C’est toy qui le premier m’apris à m’engager,
Pour recompense
Je te veux aprendre à changer.
Straton & Céphise
Les plus douces amours
SCENE V
LICOMEDE, STRATON, CÉPHISE
Licomede
Straton, donne ordre qu’on s’apreste
Pour commencer la Feste.
Straton se retire, & Licomede parle à Céphise.
Enfin, grace au dépit, je gouste la douceur
De sentir le repos de retour dans mon cœur.
J’estois à preferer au Roy de Thessalie ;
Et si pour sa gloire on publie
Qu’Apollon autrefois luy servit de Pasteur,
Je suis Roy de Scyros, & Thétis est ma Sœur.
J’ay sçeu me consoler d’un hymen qui m’outrage,
J’en ordonne les Jeux avec tranquilité.
Qu’aisément le dépit dégage
Des fers d’une ingrate Beauté !
Et qu’apres un long esclavage,
Il est doux d’estre en liberté !
Céphise
Il n’est pas seur toûjours de croire l’apparence :
Un Cœur bien pris, & bien touché,
N’est pas aisément détaché,
Ny si tost guery que l’on pense ;
Et l’amour est souvent caché
Sous une feinte indifference.
Licomede
Quand on est sans esperance,
On est bien tost sans amour.
Mon Rival a la preference,
Ce que j’aime est en sa puissance,
Je perds tout espoir en ce jour :
Quand on est sans esperance,
On est bien tost sans amour.
Voicy l’heure qu’il faut que la Feste commence,
Chacun s’avance,
Preparons-nous.
SCENE VI
LE CHŒUR, ADMETE, ALCESTE, PHERES, ALCIDE, LYCHAS, CÉPHISE & STRATON
Le Chœur
Vivez, vivez, heureux Espoux.
Pheres
Joüissez des douceurs du nœud qui vous assemble.
Admete & Alceste
Quand l’Himen & l’Amour sont bien d’accord ensemble
Que les nœuds qu’ils forment sont doux ?
Le Chœur
Vivez, vivez, heureux Espoux.
SCENE VII
Des Nymphes de la Mer, & des Tritons, viennent faire une Feste Marine,
où se meslent des Matelots & des Pescheurs.
Deux Tritons
Malgré tant d’orages,
Et tant de naufrages,
Chacun à son tour
S’embarque avec l’Amour.
Par tout où l’on meine
Les Cœurs amourteux,
On voit la Mer pleine
D’Escueils dangereux,
Mais sans quelque peine
On n’est jamais heureux :
Une ame constante
Apres la tourmente
Espere un beau jour.
Malgré tant d’orages,
Et tant de naufrages,
Chacun à son tour
S’embarque avec l’Amour.
Un cœur qui differe
D’entrer en affaire
S’expose à manquer
Le temps de s’embarquer.
Une ame commune
S’estonne d’abord,
Le soin l’importune,
Le calme l’endort,
Mais quelle fortune
Fait-on sans quelque effort ?
Est-il un commerce
Exempt de traverse ?
Chacun doit risquer.
Un cœur qui differe
D’entrer en affaire
S’expose à manquer
Le temps de s’embarquer.
Céphise vestüe en Nymphe de la Mer, chante au milieu des Divinitez
Marines qui luy respondent.
Jeunes Cœurs laissez-vous prendre
Le peril est grand d’attendre,
Vous perder d’heureux moments
En cherchant à vous défendre ;
Si l’Amour a des tourments
C’est la faute des Amants.
Licomede à Alceste
On vous apreste
Dans mon Vaisseau
Un divertissement nouveau.
Licomede & Straton
Venez voir ce que nostre Feste
Doit avoir de plus beau.
Licomede conduit Alceste dans son Vaisseau, Straton y meine Céphise,
& dans le temps qu’Admete & Alcide y veulent passer, le Pont
s’enfonce dans la Mer.
Admete & Alcide
Dieux ! le Pont s’abisme dans l’eau.
Le Chœur des Thessaliens
Ah quelle trahison funeste.
Alceste & Céphise
Au secours, au secours.
Alcide
Perfide…
Admete
Perfide…Alceste…
Alcide & Admete
Laissons les vains discours.
Au secours, au secours.
Les Thessaliens courent s’embarquer pour suivre Licomede.
Le Chœur des Thessaliens
Au secours, au secours.
SCENE VIII
THETIS, ADMETE
Thetis sortant de la Mer
Espoux infortuné redoute ma colere,
Tu vas haster l’instant qui doit finir tes jours ;
C’est Thétis que la Mer revere,
Que tu vois contre toy du party de son Frere ;
Et c’est à la mort que tu cours.
Admete courant s’embarquer
Au secours, au secours.
Thetis
Puis qu’on mesprise ma puissance
Que les vents deschainez
Que les flots mutinez
S’arment pour ma vengeance.
Thetis rentre dans la Mer, & les Aquilons excitent une tempeste qui
agite les Vaisseaux qui s'efforcent de poursuivre Licomede.
SCENE IX
ÉOLE, LES AQUILONS, LES ZEPHIRS
Éole
Le Ciel protege les Heros :
Allez Admete, allez Alcide ;
Le Dieu qui sur les Dieux preside
M’ordonne de calmer les flots :
Allez, poursuivez un perfide.
Retirez-vous
Vents en courroux,
Rentrez dans vos prisons profondes :
Et laissez regner sur les ondes
Les Zephirs les plus doux.
L’orage cesse, les Zephirs volent & font fuïr les Aquilons qui
tombent dans la Mer avec les nuages qu’ils en avoient élevez, & les
Vaisseaux d’Alcide & d’Admete poursuivent Licomede.
Fin du premier Acte
ACTE SECOND
La Scene est dans l’Isle de Scyros, & le Theatre
represente la Ville principale de l’Isle.
SCENE PREMIERE
CÉPHISE, STRATON.
Céphise
Alceste ne vient point, & nous devons attendre.
Straton
Que peut-elle pretendre ?
Pourquoy se tourmenter icy mal à propos ?
Ses cris ont beau se faire entendre,
Peut-estre son Espoux a peri dans les flots,
Et nous sommes enfin dans l’Isle de Scyros.
Céphise
Tu ne te plaindras point que j’en use de mesme.
Je t’ay donné peu d’embarras.
Tu vois comme je suis tes pas.
Straton
Tu sçais dissimuler une colere extresme.
Céphise
Et si je te disois que c’est toy seul que j’ayme ?
Straton
Tu le dirois en vain je ne te croirois pas.
Céphise
Croy moy : si j’ay faint de changer
C’estoit pour te mieux engager.
Un Rival n’est pas inutile,
Il réveille l’ardeur & les soins d’un Amant ;
Une conqueste facile
Donne peu d’empressement,
Et l’Amour tranquile
S’endort aisément.
Straton
Non, non, ne tente point une seconde ruse,
Je voy plus clair que tu ne crois.
On excuse d’abord un Amant qu’on abuse.
Mais la sotise est sans excuse
De se laisser tromper deux fois.
Céphise
N’est-il aucun moyen d’apaiser ta colere ?
Straton
Consens à m’espouzer & sans retardement.
Céphise
Une si grande affaire
Ne se fait pas si promptement
Un Himen qu’on differe
N’en est que plus charmant.
Straton
Un Himen qui peut plaire
Ne couste guère,
Et c’est un nœud bien tost formé ;
Rien n’est plus aisé que de faire
Un Espoux d’un Amant aimé.
Céphise
Je t’aime d’une amour sincere ;
Et s’il est necessaire,
Je m’offre à t’en faire un serment.
Straton
Amusement, amusement.
Céphise
L’injuste enlevement d’Alceste
Attire dans ces lieux une guerre funeste,
Les plus braves des Grecs s’arment pour son secours :
Au milieu des cris & des larmes,
L’Himen a peu de charmes ;
Attendons de tranquiles jours.
Le bruit affreux des armes
Effarouche bien les Amours.
Straton
Discours, discours, discours.
Tu n’as qu’à m’espouzer pour m’oster tout ombrage,
Pourquoy differer davantage ?
A quoy servent tant de façons ?
Céphise
Rends moy la liberté pour m’espouzer sans crainte ;
Un Himen fait avec contrainte
Est un mauvais moyen de finir tes soupçons.
Straton
Chansons, chansons, chasons.
SCENE II
LICOMEDE, ALCESTE, STRATON, CÉPHISE, Soldats de Licomede.
Licomede
Allons, allons, la plainte est vaine.
Alceste
Ah quelle rigueur inhumaine !
Licomede
Allons, je suis sourd à vos cris,
Je me vange de vos mespris.
Alceste
Vous serez inexorable ?
Licomede
Cruelle, vous m’avez apris
A devenir impitoyable.
Alceste
Est-ainsi que l’Amour a sçeu vous émouvoir ?
Est-ainsi que pour moy vostre ame est attendrie ?
Licomede
L’Amour se change en Furie
Quand il est au désespoir.
Puis que je perds toute esperance,
Je veux desesperer mon Rival à son tour ;
Et les douceurs de la Vengeance
Ont dequoy consoler les rigueurs de l’Amour.
Alceste
Voyez la douleur qui m’accable.
Licomede
Vous avez sans pitié regardé ma douleur.
Vous m’avez rendu miserable
Vous partagerez mon mal-heur.
Alceste
Admete avoit mon cœur dés ma plus tendre enfance ;
Nous ne connoissions pas l’Amour ny sa puissance.
Lors que d’un nœud fatal il vint nous enchaisner :
Ce n’est pas une grande offence
Que le refus d’un cœur qui n’est plus à donner.
Licomede
Est-ce aux Amants qu’on desespere
A devoir rien examiner
Non, je ne puis vous pardonner
D’avoir trop sçeu me plaire.
Que ne m’ont point cousté vos funestes attraits !
Ils ont mis dans mon cœur une cruelle flame,
Ils ont arraché de mon ame
L’innocence, & la paix.
Non, Ingrate, non, Inhumaine,
Non, quelle que soit vostre peine,
Non, je ne vous rendray jamais
Tous les maux que vous m’avez faits.
Straton
Voicy l’Ennemy qui s’avance
En diligence.
Licomede
Preparons-nous
A nous defendre.
Alceste
Ah Cruel, que n’espargnez-vous
Le sang qu’on va respandre !
Licomede à ses soldats
Perissons tous
Plûtost que de nous rendre.
Licomede contraint Alceste d’entrer dans la Ville,
Céphise la suit, & les Soldats de Licomede ferment
la Porte de la Ville aussi tost qu’ils y sont entrez.
SCENE III
ADMETE, ALCIDE, LYCHAS, Soldats assiegans.
Ademete & Alcide
Marchez, marchez, marchez.
Aprochez, Amis, aprochez,
Marchez, marchez, marchez.
Hastons-nous de punir des Traistres,
Rendons-nous Maistres
Des Murs qui les tiennent cachez :
Marchez, marchez, marchez.
SCENE IV
LICOMEDE, STRATON, Soldats assiegez,
ADMETE, ALCIDE, LYCHAS, Soldates assiegans.
Licomede sur les Remparts
Ne pretendez pas nous surprendre,
Venez, nous allons vous attendre :
Nous ferons tous nostre devoir
Pour vous bien recevoir.
Straton & les Soldats assiegez
Nous ferons tous nostre devoir
Pour vous bien recevoir.
Admete
Perfide, évite un sort funeste,
On te pardonne tout si tu veux rendre Alceste.
Licomede
J’aime mieux mourir, s’il le faut,
Que de ceder jamais cét Objet plein de charmes.
Ademete & Alcide
A l’assaut, à l’assaut.
Licomede & Straton
Aux armes, aux armes.
Les Assiegeans
A l’assaut, à l’assaut.
Les Assiegez
Aux armes, aux armes.
Ademete, Alcide & Licomede
A moy, Compagnons, à moy.
Ademete & Licomede
A moy, suivez vostre Roy.
Alcide
C’est Alcide
Qui vous guide.
Ademete, Alcide & Licomede
A moy, Compagnons, à moy.
On fait avancer des Beliers & autres Machines de guerre pour battre
la Place.
Tous ensemble
Donnons, donnons de toutes parts.
Les Assiegeans
Que chacun à l’envy combatte.
Que l’on abatte
Les Tours, & les Remparts.
Tous ensemble
Donnons, donnons de toutes parts.
Les Assiegez
Que les Ennemis, pesle mesle,
Trébuchent sous l’affreuse gresle
De nos fléches, & de nos dards.
Tous
Donnons, donnons de toutes parts.
Courage, courage, courage,
Ils sont à nous, ils sont à nous.
Alcide
C’est trop disputer l’avantage,
Je vais vous ouvrir un passage,
Suivez-moy tous, suivez-moy tous.
Tous ensemble
Courage, courage, courage,
Ils sont à nous, ils sont à nous.
Les Assiegez voyant leurs Remparts à demy abattus, & la Porte de la
Ville enfoncée, font un fernier effort dans une sortie pour
repousser les Assiegeans.
Les Assiegeans
Achevons d’emporter la Place ;
L’Ennemy commence à plier.
Main basse, main basse, main basse.
Les Assiegez rendans les Armes
Quartier, quartier, quartier.
Les Assiegeans
La Ville est prise.
Les Assiegez
Quartier, quartier, quartier.
Lychas terrassant Straton
Il faut rendre Céphise.
Straton
Je suis ton prisonnier,
Quartier, quartier, quartier.
SCENE V
Pheres armé, & marchant avec peine
Courage Enfants, je suis à vous ;
Mon bras va seconder vos coups :
Mais c’en est déja fait, & l’on a pris la Ville ;
La foiblesse de l’âge a retardé mes pas :
La valeur devient inutile
Quand la force n’y respond pas.
Que la vieillesse est lente,
Les efforts qu’elle tente
Sont toûjours impuissans :
C’est une charge bien pesante
Qu’un fardeau de quatre-vingts ans.
SCENE VI
ALCIDE, ALCESTE, CÉPHISE, PHERES, LYCHAS, STRATON enchaisné.
Alcide à Pheres
Rendez à vostre Fils cette aimable Princesse.
Pheres
Ce don de vostre main seroit encor plus doux.
Alcide
Allez, allez la rendre à son heureux Espoux.
Alceste
Tout est soûmis, la guerre cesse ;
Seigneur, pourquoy me laissez-vous ?
Quel nouveau soin vous presse ?
Alcide
Vous n’avez rien à redouter,
Je vais chercher ailleurs des Tyrans à dompter.
Alceste
Les nœuds d’une amitié pressante
Ne retiendront-ils point vostre Ame impatiente ?
Et la Gloire toûjours vous doit-elle emporter ?
Alcide
Gardez-vous bien de m’arrester.
Alceste
C’est vostre Valeur triomphante
Qui fait le sort charmant que nous allons goûter ;
Quelque douceur que l’on ressente,
Un Amy tel que vous l’augmente,
Voulez-vous si-tost nous quitter ?
Alcide
Gardez-vous bien de m’arrester.
Laissez, laissez moy fuïr un charme qui m’enchante :
Non, toute ma vertu n’est pas assez puissante
Pour répondre d’y resister.
Non, encore une fois, Princesse trop charmante,
Gardez-vous bien de m’arrester.
SCENE VII
ALCESTE, PHERES, CÉPHISE.
A trois
Cherchons Admete promptement.
Alceste
Peut-on chercher ce qu’on aime
Avec trop d’empressement !
Quand l’amour est extréme,
Le moindre esloignement
Est un cruel tourment.
Alceste, Pheres, & Céphise
Cherchons Admete promptement.
SCENE VIII
ADMETE blessé, CLEANTE, ALCESTE, PHERES, CÉPHISE, Soldats.
Alceste
O Dieux ! quel spectacle funeste ?
Cleante
Le Chef des Ennemis mourant, & terrassé,
De sa rage expirante a ramassé le reste,
Le Roy vient d’en estre blessé.
Admete
Je meurs, charmante Alceste,
Mon sort est assez doux
Puis que je meurs pour vous.
Alceste
C’est pour vous voir mourir que le Ciel me délivre !
Admete
Avec le nom de vostre Espoux
J’eusse esté trop heureux de vivre ;
Mon sort est assez doux
Puis que je meurs pour vous.
Alceste
Est-ce là cét Hymen si doux, si plein d’appas,
Qui nous promettoit tant de charmes ?
Faloit-il que si-tost l’aveugle sort des armes
Tranchast des nœuds si beaux par un affreux trépas ?
Est-ce là cét Hymen si doux, si plein d’appas,
Qui nous promettoit tant de charmes ?
Admete
Belle Alceste ne pleurez pas,
Tout mon sang ne vaut point vos larmes.
Alceste
Est-ce là cét Hymen si doux, si plein d’appas,
Qui nous promettoit tant de charmes ?
Admete
Alceste, vous pleurez.
Alceste
Admete, vous mourez.
Admete & Alceste ensemble
Alceste, vous pleurez ;
Admete, vous mourez.
Alceste
Se peut-il que le Ciel permette,
Que les cœurs d’Alceste & d’Admete
Soient ainsi separez ?
Admete & Alceste
Alceste, vous pleurez ;
Admete, vous mourez.
SCENE IX
APOLLON, LES ARTS, ADMETE, ALCESTE, PHERES, CÉPHISE, CELANTE,
Soldats.
Apollon environné des Arts
La Lumiere aujourd’hui te doit estre ravie ;
Il n’est qu’un seul moyen de prolonger ton sort ;
Le Destin me promet de te rendre à la vie,
Si quelqu’Autre pour toy veut s’offrir à la mort.
Reconnoist si quelqu’un t’aime parfaitement ;
Sa mort aura pour prix une immortelle gloire :
Pour en conserver la memoire
Les Arts vont élever un pompeux Monument.
Les Arts qui sont autour d’Apollon se separent sur des Nuages
differents, & tous descendent pour élever un Monument superbe,
tandis qu’Apollon s’envole.
Fin du second Acte
ACTE TROISIÉME
Le Theatre est un grand Monument élevé par les Arts.
Un Autel vide paroist au milieu pour servir à porter
l’Image de la personne qui s’immolera pour Admete.
SCENE PREMIERE
ALCESTE, PHERES, CÉPHISE.
Alceste
Ah pourquoy nous séparez-vous ?
Eh du moins attendez que la Mort nous separe ;
Cruels, quelle pitié barbare
Vous presse d’arracher Alceste à son Espoux ?
Ah pourquoy nous séparez-vous ?
Pheres, & Céphise
Plus vostre Espoux mourant voit d’amour, & d’appas,
Et plus le jour qu’il perd luy doit faire d’envie :
Ce sont les douceurs de la vie
Qui font les horreurs du trépas.
Alceste
Les Arts n’ont point encore achevé leur ouvrage ;
Cét Autel doit porter la glorieuse Image
De qui signalera sa foy
En mourant pour sauver son Roy.
Le prix d’une gloire immortelle
Ne peut-il toucher un grand Cœur ?
Faut-il que la Mort la plus belle
Ne laisse pas de faire peur ?
A quoy sert la foule importune
Dont les Roys sont embarrassez ?
Un coup fatal de la Fortune
Escarte les plus empressez.
Alceste, Pherès, & Céphise
De tant d’Amis qu’avoit Admete
Aucun ne vient le secourir ;
Quelque honneur qu’on promette
On le laisse mourir.
Pheres
J’aime mon Fils, je l’ay fait Roy ;
Pour prolonger son sort je mourrois sans effroy,
Si je pouvois offrir des jours dignes d’envie ;
Je n’ay plus qu’un reste de vie
Ce n’est rien pour Admete, & c’est beaucoup pour moy.
Céphise
Les Honneurs les plus éclatans
En vain dans le Tombeau promettent de nous suivre ;
La Mort est affreuse en tout temps :
Mais peut-on renoncer à vivre
Quand on n’a vescu que quinze ans ?
Alceste
Chacun est satisfait des excuses qu’il donne :
Cependant on ne voit personne
Qui pour sauver Admete ose perdre le jour ;
Le Devoir, l’Amitié, le Sang, tout l’abandonne,
Il n’a plus d’espoir qu’en l’Amour.
SCENE II
PHERES, LE CHŒUR, CLEANTE.
Pheres
Voyons encor mon Fils, allons, bastons nos pas ;
Ses yeux vont se couvrir d’éternelles tenebres.
Le Chœur
Helas ! helas ! helas !
Pheres
Quels cris ! quelles plaintes funebres !
Le Chœur
Helas ! helas ! helas !
Pheres
Où vas-tu ? Cleante, demeure.
Cleante
Helas ! helas !
Le Roy touche à sa dernière heure,
Il s’affoiblit, il faut qu’il meure,
Et je viens pleurer son trespas.
Helas ! helas !
Le Chœur
Helas ! helas ! helas !
Pheres
On le plaint, tout le monde pleure,
Mais nos pleurs ne le sauvent pas.
Helas ! helas !
Le Chœur
Helas ! helas ! helas !
SCENE III
LE CHŒUR, ADMETE, PHERES, CLEANTE.
Le Chœur
O trop heureux Admete !
Que vostre sort est beau !
Pheres & Cleante
Quel changement ! quel bruit nouveau !
Le Chœur
O trop heureux Admete !
Que vostre sort est beau !
Pheres & Cleante voyant Admete guery.
L’effort d’une Amitié parfaite
L’a sauvé du Tombeau
Pheres embrassant Admete.
O trop heureux Admete !
Que vostre sort est beau !
Le Chœur
O trop heureux Admete !
Que vostre sort est beau !
Admete
Qu’une Pompe funebre
Rende à jamais celebre
Le genereux effort
Qui m’arrache à la Mort.
Alceste n’aura plus d’allarmes,
Je reverray ses yeux charmants
A qui j’ay cousté tant de larmes :
Que la vie a de charmes
Pour les heureux Amants !
Achevez, Dieux des Arts, faites nous voir l’Image
Qui doit eterniser la grandeur de courage
De qui s’est immolé pour moy ;
Ne differez point davantage…
Ciel ! ô Ciel ! qu’est-ce que je voy !
L’Autel s’ouvre, & l’on voit sortir l’Image d’Alceste qui se perce le
sein.
SCENE IV
CÉPHISE, ADMETE, PHERES, CLEANTE, LE CHŒUR.
Céphise
Alceste est morte.
Admete
Alceste est morte.Alceste est morte !
Le Chœur
Alceste est morte.
Céphise
Alceste a satisfait les Parques en courroux ;
Vostre Tombeau s’ouvroit, elle y descend pour vous,
Elle-mesme a voulu vous en fermer la porte ;
Alceste est morte.
Admete
Alceste est morte.Alceste est morte !
Le Chœur
Alceste est morte.
Céphise
J’ay couru, mais trop tard pour arrester ses coups :
Jamais en faveur d’un Espoux
On ne verra d’ardeur si fidelle & si forte ;
Alceste est morte.
Admete
Alceste est morte.Alceste est morte !
Le Chœur
Alceste est morte.
Céphise
Sujets, Amis, Parents, vous abandonnoient tous ;
Sur les Droits les plus forts, sur les Nœuds les plus doux,
L’Amour, le tendre Amour l’emporte :
Alceste est morte.
Admete
Alceste est morte.Alceste est morte !
Le Chœur
Alceste est morte.
Admete tombe accablé de douleur entre les bras de sa suite.
SCENE V
Troupe de femmes affligées, Troupe d’Hommes desolez, qui portent des
fleurs, & tous les ornements qui ont servy à parer Alceste.
Tous ensemble
Formons les plus lugubres chants,
Et les regrets les plus touchants.
Une femme affligée
La Mort, la Mort barbare,
Détruit aujourd’huy mille appas.
Quelle Victime, helas !
Fut jamais si belle, & si rare ?
La Mort, la Mort barbare
Détruit aujourd’huy mille appas.
Un homme désolé
Alceste si jeune, & si belle,
Court se precipiter dans la Nuit eternelle,
Pour sauver ce qu’elle aime elle a perdu le jour.
Le Chœur
O trop parfait Modelle
D’une Espouse fidelle !
O trop parfait Modelle
D’un veritable Amour !
Une femme affligée
Que nostre zéle se partage ;
Que les uns par leurs chants celebrent son courage,
Que d’autres par leurs cris déplorent ses mal-heurs.
Le Chœur
Rendons hommage
A son Image ;
Jettons des fleurs,
Versons des pleurs.
Une femme affligée
Alceste, la Charmante Alceste,
La fidelle Alceste n’est plus.
Le Chœur
Alceste, la Charmante Alceste,
La fidelle Alceste n’est plus.
Une femme affligée
Tant de beautez, tant de vertus,
Meritoient un sort moins funeste.
Le Chœur
Alceste, la Charmante Alceste,
La fidelle Alceste n’est plus.
Un transport de douleur saisit les deux Troupes affligées,
une partie déchire ses habits, l’autre s’arrache les cheveux,
& chacun brise au pied de l’Image d’Alceste les ornements qu’il
porte à la main.
Le Chœur
Rompons, brisons le triste reste
De ces Ornemens superflus.
Que nos pleurs, que nos cris renouvellent sans cesse
Allons porter par tout la douleur qui nous presse.
SCENE VI
ADMETE, PHERES, CÉPHISE, CLEANTE, suite.
Admete revenu de son évanoüissement, & se voyant désarmé.
Sans Alceste, sans ses appas,
Croyez-vous que je puisse vivre !
Laissez moy courir au Trespas
Où ma chere Alceste se livre.
Sans Alceste, sans ses appas,
Croyez-vous que je puisse vivre ?
C’est pour moy qu’elle meurt, helas !
Pourquoy m’empescher de la suivre ?
Sans Alceste, sans ses appas,
Croyez-vous que je puisse vivre.
SCENE VII
ALCIDE, ADMETE, PHERES, CÉPHISE, CLEANTE.
Alcide
Tu me vois arresté sur le point de partir
Par les tristes clameurs qu’on entend retentir.
Admete
Alceste meurt pour moy par une amour extresme,
Je ne reverray plus les yeux qui m’ont charmé :
Helas ! j’ay perdu ce que j’aime
Pour avoir esté trop aimé.
Alcide
J’aime Alceste, il est temps de ne m’en plus defendre ;
Elle meurt, ton amour n’a plus rien à pretendre ;
Admete, cede moy la Beauté que tu perds :
Au Palais de Pluton j’entreprends de descendre :
J’iray jusqu’au fonds des Enfers
Forcer la Mort à me la rendre.
Admete
Je verrois encor ses beaux yeux ?
Allez, Alcide, allez, revenez glorieux,
Obtenez qu’Alceste vous suive :
Le Fils du plus puissant des Dieux
Est plus digne que moy du bien dont on me prive.
Allez, allez, ne tardez pas,
Arrachez Alceste au Trespas,
Et ramenez au jour son Ombre fugitive ;
Qu’elle vive pour vous avec tous ses appas,
Admete est trop heureux pourveu qu’Alceste vive.
Pheres, Céphise, Cleante
Allez, allez, ne tardez pas,
Arrachez Alceste au Trespas.
SCENE VIII
DIANE, MERCURE, ALCIDE, ADMETE, PHERES, CÉPHISE, CLEANTE.
La Lune paroist, son Globe s’ouvre, & fait voir Diane sur un
Nuage brillant.
Diane
Le Dieu dont tu tiens la naissance
Oblige tous les Dieux d’estre d’intelligence
En faveur d’un dessein si beau ;
Je viens t’offrir mon assistance ;
Et Mercure s’avance
Pour t’ouvrir aux Enfers un passage nouveau.
Mercure vient en volant frapper la Terre de son Caducée,
l’Enfer s’ouvre, & Alcide y descend.
Fin du troisiéme Acte
ACTE QUATRIÉME
Le Theatre represente le Fleuve Acheron & ses sombres Rivages.
SCENE PREMIERE
CHARON, LES OMBRES.
Charon, ramant sa Barque
Il faut passer tost ou tard,
Il faut passer dans ma Barque.
On y vient jeune, ou vieillard,
Ainsi qu’il plaist à la Parque ;
On y reçoit sans égard,
Le Berger, & le Monarque.
Il faut passer tost ou tard,
Il faut passer dans ma Barque.
Vous qui voulez passer, venez, Manes errants,
Venez, avancez, tristes Ombres,
Payez le tribut que je prens,
Où retournez errer sur ces Rivages sombres.
Les Ombres
Passe-moy, Charon, passe-moy.
Charon
Il faut auparavant que l’on me satisfasse,
On doit payer les soins d’un si penible employ.
Les Ombres
Passe-moy, Charon, passe-moy.
Charon
Donne, passe, donne, passe,
Demeure toy.
Tu n’as rien, il faut qu’on te chasse.
Une Ombre rebuttée
Une Ombre tient si peu de place.
Charon
Où paye, où tourne ailleurs tes pas.
L'Ombre
De grace, par pitié, ne me rebutte pas.
Charon
La pitié n’est point icy bas,
Et Charon ne fait point de grace.
L'Ombre
Helas ! Charon, helas ! helas !
Charon
Crie helas ! tant que tu voudras,
Rien pour rien, en tous lieux est une loy suivie :
Les mains vides sont sans appas,
Et ce n’est point assés de payer dans la vie.
Il faut encore payer au delà du Trépas.
L'Ombre en se retirant
Helas ! Charon, helas ! helas !
Charon
Il m’importe peu que l’on crie
Helas ! Charon, helas ! helas !
Il faut encore payer au delà du Trépas.
SCENE II
ALCIDE, CHARON, LES OMBRES.
Alcide sautant dans la Barque
Sortez, Ombres, faites moy place,
Vous passerez une autre fois.
Les Ombres s’enfuïent.
Charon
Ah ma Barque ne peut souffrir un si grand poids !
Alcide
Allons, il faut que l’on me passe.
Charon
Retire-toy d’icy, Mortel, qui que tu sois,
Les Enfers irritez puniront ton audace.
Alcide
Passe-moy, sans tant de façons.
Charon
L’eau nous gagne, ma Barque créve.
Alcide
Allons, rame, dépesche, achéve.
Charon
Nous enfonçons
Alcide
Passons, passons.
SCENE III
Le Theatre change, & represente le Palais de Pluton.
PLUTON, PROSERPINE, L’OMBRE D’ALCESTE, Suivans de Pluton.
Pluton sur son Thrône
Reçoy le juste prix de ton amour fidelle ;
Que ton destin nouveau soit heureux à jamais :
Commence de goûter la douceur eternelle
D’une profonde paix.
Suivants de Pluton
Commence de goûter la douceur eternelle
D’une profonde paix.
Proserpine à costé de Pluton
L’espouze de Pluton te retient auprés d’elle :
Tous tes vœux seront satisfaits.
Suivants de Pluton
Commence de goûter la douceur eternelle
D’une profonde paix.
Pluton & Proserpine
En faveur d’une Ombre si belle,
Que l’Enfer fasse voir tout ce qu’il a d’attraits.
Suivants de Pluton
En faveur d’une Ombre si belle,
Que l’Enfer fasse voir tout ce qu’il a d’attraits.
Les Suivants de Pluton se réjoüissent de la venuë d’Alceste
dans les Enfers, par une espece de Feste.
Suivants de Pluton
Tout mortel doit icy paroistre,
On ne peut naistre
Que pour mourir :
De cent maux le Trespas délivre ;
Qui cherche à vivre
Cherche à souffrir.
Venez tous sur nos sombres bords.
Le repos qu’on desire
Ne tient son Empire
Que dans le sejour des Morts.
Chacun vient icy bas prendre place,
Sans cesse on y passe,
Jamais on n’en sort.
C’est pour tous une loy necessaire ;
L’effort qu’on peut faire
N’est qu’un vain effort :
Est-on sage
De fuïr ce passage ?
C’est un orage
Qui meine au Port.
Chacun vient icy bas prendre place,
Sans cesse on y passe,
Jamais on n’en sort.
Tous les charmes,
Plaintes, cris, larmes,
Tout est sans armes
Contre la Mort.
Chacun vient icy bas prendre place,
Sans cesse on y passe,
Jamais on n’en sort.
SCENE IV
ALECTON, PLUTON, PROSERPINE, L’OMBRE D’ALCESTE, Suivans de Pluton.
Alecton
Quittez, quittez les Jeux, songez à vous deffendre,
Contre un audacieux unissons nos efforts :
Le Fils de Jupiter vient icy de descendre
Seul, il ose attaquer tout l’Empire des Morts.
Pluton
Qu’on arreste ce Temeraire,
Armez vous, Amis, armez vous,
Qu’on deschaine Cerbere,
Courez tous, courez tous.
On entend aboyer Cerbere.
Alecton
Son bras abat tout ce qu’il frappe.
Tout cede à ses horribles coups.
Rien ne resiste, rien n’eschape.
SCENE V
ALCIDE, PLUTON, PROSERPINE, ALECTON, Suivans de Pluton.
Pluton voyant Alcide qui enchaine Cerbere.
Insolent jusqu’icy braves-tu mon courroux ?
Quelle injuste audace t’engage,
A troubler la paix de ces lieux ?
Alcide
Je suis né pour dompter la rage
Des Monstres les plus furieux.
Pluton
Est-ce le Dieu jaloux qui lance le Tonnerre
Qui t’oblige à porter la guerre
Jusqu’au centre de l’Univers ?
Il tient sous son pouvoir & le Ciel & la Terre,
Veut-il encor ravir l’empire des Enfers ?
Alcide
Non, Pluton, regne en paix, joüis de ton partage ;
Je viens chercher Alceste en cét affreux Séjour,
Permets que je la rende au jour,
Je ne veux point d’autre avantage.
Si c’est te faire outrage
D’entrer par force dans ta Cour
Pardonne à mon Courage
Et fais grace à l’Amour.
Proserpine
Un grand Coœur peut tout quand il aime,
Tout doit ceder à son effort.
C’est un Arrest du Sort,
Il faut que l’Amour extréme
Soit plus fort
Que la Mort.
Pluton
Les Enfers, Pluton luy-mesme,
Tout doit en estre d’accord ;
Il faut que l’Amour extréme
Soit plus fort
Que la Mort.
Suivans de Pluton
Il faut que l’Amour extréme
Soit plus fort
Que la Mort.
Pluton
Que pour revoir le jour l’Ombre d’Alceste sorte ;
Pluton donne un coup de son Trident & fait sortir son Char.
Prenez place tous deux au Char dont je me sers :
Qu’au gré de vos vœux, il vous porte ;
Partez, les chemins sont ouverts.
Qu’une volante Escorte
Vous conduise au travers
Des noires vapeurs des Enfers.
Alcide & l’Ombre d’Alceste se placent sur le Char de Pluton,
qui les enleve sous la conduite d’une Troupe volante de
Suivants de Plutons.
Fin du quatriéme Acte
ACTE CINQUIÉME
Le Theatre change, & represente un Arc de Triomphe au milieu de deux
Amphiteatres, où l’on void une multitude de differents Peuples de la
Gréce assemblez pour recevoir Alcide triomphant des Enfers.
SCENE PREMIERE
ADMETE, LE CHŒUR.
Admete
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
Il rameine Alceste vivante ;
Que chacun chante,
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
Le Chœur sur l’Arc de Triomphe & sur les Amphiteatres
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
Admete
Quelle douleur secrette
Rend mon ame inquiette,
Et trouble mon amour.
Alceste voit encor le jour,
Mais c’est pour un autre qu’Admete.
Le Chœur
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
Admete
Ah ! du moins cachons ma tristesse ;
Alceste dans ces Lieux rameine les plaisirs.
Je dois rougir de ma foiblesse,
Quelle honte à mon cœur de mesler des souspirs
Avec tant de cris d’allegresse.
Le Chœur
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
Admete
Par une ardeur impatiente
Courons, & devançons ses pas.
Il rameine Alceste vivante,
Que chacun chante.
Admete & le Chœur
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
SCENE II
LYCHAS, STRATON enchaisné.
Straton
Ne m’osteras-tu point la chaine qui m’accable,
Dans ce jour destiné pour tant d’aimables jeux !
Ah ! qu’il est rigoureux
D’estre seul miserable
Quand on voit tout le monde heureux !
Lychas mettant Straton en liberté
Aujourd’huy qu’Alcide rameine
Alceste des Enfers,
Je veux finir ta peine.
Qu’on ne porte plus d’autres fers
Que ceux dont l’Amour nous enchaine.
Straton, & Lychas
Qu’on ne porte plus d’autres fers
Que ceux dont l’Amour nous enchaine.
SCENE III
CÉPHISE, LYCHAS, STRATON.
Lychas, & Straton
Voy, Céphise, voy qui de nous
Peut rendre ton destin plus doux,
Et termine enfin nos querelles.
Lychas
Mes amours seront eternelles.
Straton
Mon cœur ne sera plus jaloux.
Lychas & Straton
Entre deux Amants fidelles,
Choisis un heureux Espoux.
Céphise
Je n’ay point de choix à faire ;
Parlons d’aimer & de plaire,
Et vivons toûjours en paix.
L’Himen détruit la tendresse
Il rend l’Amour sans attraits ;
Voulez-vous aimer sans cesse,
Amants, n’espousez jamais.
Céphise, Lychas, & Straton
L’Himen détruit la tendresse
Il rend l’Amour sans attraits ;
Voulez-vous aimer sans cesse,
Amants, n’espousez jamais.
Céphise
Prenons part aux transports d’une joye éclatante :
Que chacun chante.
Tous ensemble
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
Il rameine Alceste vivante ;
Que chacun chante,
Alcide est vainqueur du Trépas,
L’Enfer ne luy resiste pas.
SCENE IV
ALCIDE, ALCESTE, ADMETE, CÉPHISE, LYCHAS, STRATON, PHERES, CLEANTE,
LE CHŒUR.
Alcide
Pour une si belle victoire
Peut-on avoir trop entrepris ?
Ah qu’il est doux de courir à la gloire
Lors que l’Amour en doit donner le prix !
Vous détournez vos yeux ! je vous trouve insensible ?
Admete a seul icy vos regards les plus doux ?
Alceste
Je fais ce qui m’est possible
Pour ne regarder que vous.
Alcide
Vous devez suivre mon envie,
C’est pour moy qu’on vous rend le jour.
Alceste
Je n’ay pû reprendre la vie
Sans reprendre aussi mon amour.
Alcide
Admete en ma faveur vous a cedé luy-mesme.
Admete
Alcide pouvoit seul vous oster au Trépas.
Alceste, vous vivez, je revoy vos appas,
Ay-je pû trop payer cette douceur extréme.
Admete & Alceste
Ah que ne fait-on pas
Pour sauver ce qu’on aime !
Alcide
Vous soûpirez tous deux au gré de vos desirs ;
Est-ce ainsi qu’on me tient parole ?
Admete & Alceste ensemble
Pardonnez aux derniers soûpirs
D’un mal-heureux Amour qu’il faut qu’on vous immole.
il ne faut plus nous voir.
D’un autre que
de moy vostre sort
de vous mon destin
doit dépendre,
Il faut dans les grands Cœurs que l’Amour le plus tendre
Soit la Victime du devoir.
il ne faut plus nous voir.
Admete se retire, & Alceste offre sa main à Alcide qui arreste Admete,
& luy cede la main qu’Alceste luy presente.
Alcide
Non, non, vous ne devez pas croire
Qu’un Vainqueur des Tirans soit Tiran à son tour :
Sur l’Enfer, sur la Mort, j’emporte la victoire ;
Il ne manque plus à ma gloire
Que de triompher de l’Amour.
Admete & Alcide
Ah quelle gloire extresme !
Quel heroïque effort !
Le Vainqueur de la Mort
Triomphe de luy-mesme.
SCENE V
APOLLON, LES MUSES, LES JEUX, ALCIDE, ADMETE, ALCESTE, & leur Suite.
Apollon descend dans un Palais éclatant au milieu des Muses & des Jeux
qu’il ameine pour prendre part à la joye d’Admete & d’Alceste, & pour
celebrer le Triomphe d’Alcide.
Apollon
Les Muses & les Jeux s’empressent de descendre,
Apollon les conduit dans ces aimables lieux.
Vous, à qui j’ay pris soin d’aprendre
A chanter vos Amours sur le ton le plus tendre,
Bergers, chantez avec les Dieux.
Chantons, chantons, faisons entendre
Nos chansons jusques dans les Cieux.
SCENE SIXIÉME ET DERNIERE
Une Troupe de Bergers & de Bergeres, & une Troupe de Pastres, dont les
uns chantent & les autres dancent, viennent par l’ordre d’Apollon
contribuer à la rejoüissance.
Les Chœurs des Muses des Thessaliens & des Bergers chantent ensemble
Chantons, chantons, faisons entendre
Nos chansons jusques dans les Cieux.
Straton chante au milieu des Pastres dançants
A quoy bon
Tant de raison
Dans le bel âge ?
A quoy bon
Tant de raison
Hors de saison ?
Qui craint le danger
De s’engager
Est sans courage :
Tout rit aux Amants.
Les Jeux charmants
Sont leur partage :
Tost, tost, tost, soyons contents,
Il vient un temps
Qu’on est trop sage.
Céphise chante au milieu des Bergers & des Bergeres qui dancent
C’est la saison d’aimer
Quand on sçait plaire,
C’est la saison d’aimer
Quand on sçait charmer.
Les plus beaux de nos jours ne durent guére,
Le sort de la Beauté nous doit allarmer,
Nos Champs n’ont point de Fleur plus passagere ;
C’est la saison d’aimer
Quand on sçait plaire,
C’est la saison d’aimer
Quand on sçait charmer.
Un peu d’amour est necessaire,
Il n’est jamais trop tost de s’enflamer ;
Nous donne-t’on un cœur pour n’en rien faire ?
C’est la saison d’aimer
Quand on sçait plaire,
C’est la saison d’aimer
Quand on sçait charmer.
La Troupe des Bergers dance avec la Troupe des Pastres.
Les Chœurs se respondent les uns aux autres, & s’unissent
enfin tous ensemble.
Les Chœurs
Triomphez, genereux Alcide,
Aimez en paix heureux Espoux.
Que
toûjours la Gloire
sans cesse l’Amour
vous guide.
Joüissez à jamais des
les plus doux.
Triomphez, genereux Alcide,
Aimez en paix heureux Espoux.
Apollon vole avec les Jeux.
Fin du cinquiéme & dernier Acte