ATYS

PROLOGUE

Le Théâtre représente le palais du Temps, où ce dieu paraît au milieu des douze heures du jour, et des douze heures de la nuit.
Le Temps
En vain j’ai respecté la célèbre mémoire
Des héros des siècles passés ;
C’est en vain que leurs noms si fameux dans l’histoire,
Du sort des noms communs ont été dispensés :
Nous voyons un héros dont la brillante gloire
Les a presque tous effacés.
Chœur des Heures
Ses justes lois,
Ses grands exploits
Rendent sa mémoire éternelle :
Chaque jour, chaque instant
Ajoute encore à son nom éclatant
Une gloire nouvelle.
La Déesse Flore conduite par un des Zéphirs s’avance avec une Troupe de Nymphes qui portent divers ornements de Fleurs.
Le Temps
La saison des frimas peut-elle nous offrir
Les fleurs que nous voyons paraître ?
Quel dieu les fait renaître
Lorsque l’hiver les fait mourir ?
Le froid cruel règne encore ;
Tout est glacé dans les champs,
D’où vient que Flore
Devance le printemps ?
Flore
Quand j’attends les beaux jours, je viens toujours trop tard,
Plus le printemps s’avance, et plus il m’est contraire ;
Son retour presse le départ
Du héros à qui je veux plaire.
Pour lui faire ma cour, mes soins ont entrepris
De braver désormais l’hiver le plus terrible,
Dans l’ardeur de lui plaire on a bientôt appris
À ne rien trouver d’impossible.
Le Temps et Flore
Les plaisirs à ses yeux ont beau se présenter,
Si tôt qu’il voit Bellone, il quitte tout pour elle ;
Rien ne peut l’arrêter
Quand la gloire l’appelle.
Le chœur des heures répète ces deux derniers vers.
La suite de Flore commence des jeux mêlés de danses et de chants.
Un Zéphir
Le printemps quelque fois est moins doux qu’il ne semble,
Il fait trop payer ses beaux jours ;
Il vient pour écarter les jeux et les amours,
Et c’est l’hiver qui les rassemble.
Melpomène qui est la muse qui préside à la tragédie, vient accompagnée d’une troupe de héros, elle est suivie d’Hercule, d’Antæe, de Castor, de Pollux, de Lincée, d’Idas, d’Étéocle, et de Polinice.
Melpomène parlant à Flore
Retirez-vous, cessez de prévenir le Temps ;
Ne me dérobez point de précieux instants :
La puissante Cybèle
Pour honorer Atys qu’elle a privé du jour,
Veut que je renouvelle
Dans une illustre cour
Le souvenir de son amour.
Que l’agrément rustique
De Flore et de ses jeux,
Cède à l’appareil magnifique
De la muse tragique,
Et de ses spectacles pompeux.
La suite de Melpomène prend la place de la suite de Flore. Les héros recommencent leurs anciennes querelles. Hercule combat et lutte contre Antæe, Castor et Pollux combattent contre Lyncée et Idas, et Étéocle combat contre son frère Polynice.
Iris, par l’ordre de Cybèle, descend assis sur son arc, pour accorder Melpomène et Flore.
Iris parlant à Melpomène
Cybèle veut que Flore aujourd’hui vous seconde.
Il faut que les plaisirs viennent de toutes parts,
Dans l’empire puissant, où règne un nouveau Mars,
Ils n’ont plus d’autre asile au monde.
Rendez-vous, s’il se peut, dignes de ses regards ;
Joignez la beauté vive et pure
Dont brille la nature,
Aux ornements des plus beaux arts.
Iris remonte au ciel sur son arc, et la suite de Melpomène s’accorde avec la suite de Flore.
Melpomène et Flore
Rendons-nous, s’il se peut, dignes de ses regards ;
Joignons la beauté vive et pure
Dont brille la nature,
Aux ornements des plus beaux arts.
Le Temps, et le Chœur des Heures
Préparez de nouvelles fêtes,
Profitez du loisir du plus grand des héros ;
Le Temps, Melpomène et Flore
Préparez/Préparons de nouvelles fêtes
Profitez/Profitons du loisir du plus grand des héros.
Tous ensemble
Le temps des jeux, et du repos,
Lui sert à méditer de nouvelles conquêtes.
 

ACTE PREMIER

Le Théâtre représente une montagne consacrée à Cybèle.

SCÈNE PREMIÈRE

Atys
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
Trop heureux Phrygiens, venez ici l’attendre.
Mille peuples seront jaloux
Des faveurs que sur nous
Sa bonté va répandre.

SCÈNE SECONDE

Idas, Atys
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
Atys
Le soleil peint nos champs des plus vives couleurs,
Il a séché les pleurs
Que sur l’émail des prés a répandu l’aurore ;
Et ses rayons nouveaux ont déjà fait éclore
Mille nouvelles fleurs.
Idas
Vous veillez lorsque tout sommeille ;
Vous nous éveillez si matin
Que vous ferez croire à la fin
Que c’est l’Amour qui vous éveille.
Atys
Non tu dois mieux juger du parti que je prends.
Mon cœur veut fuir toujours les soins et les mystères ;
J’aime l’heureuse paix des cœurs indifférents ;
Si leurs plaisirs ne sont pas grands,
Au moins leurs peines sont légères.
Idas
Tôt ou tard l’amour est vainqueur,
En vain les plus fiers s’en défendent,
On ne peut refuser son cœur
À de beaux yeux qui le demandent.
Atys, ne feignez plus, je sais votre secret.
Ne craignez rien, je suis discret.
Dans un bois solitaire, et sombre,
L’indifférent Atys se croyait seul, un jour ;
Sous un feuillage épais où je rêvais à l’ombre,
Je l’entendis parler d’amour.
Atys
Si je parle d’amour, c’est contre son empire,
J’en fais mon plus doux entretien.
Idas
Tel se vante de n’aimer rien,
Dont le cœur en secret soupire.
J’entendis vos regrets, et je les sais si bien
Que si vous en doutez je vais vous les redire.
Amants qui vous plaignez, vous êtes trop heureux :
Mon cœur de tous les cœurs est le plus amoureux,
Et tout près d’expirer je suis réduit à feindre ;
Que c’est un tourment rigoureux
De mourir d’amour sans se plaindre !
Amants qui vous plaignez, vous êtes trop heureux.
Atys
Idas, il est trop vrai, mon cœur n’est que trop tendre,
L’Amour me fait sentir ses plus funestes coups.
Qu’aucun autre que toi n’en puisse rien apprendre.

SCÈNE TROISIÈME

Sangaride, Doris, Atys, Idas.
Sangaride, et Doris
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
Sangaride
Que dans nos concerts les plus doux,
Son nom sacré se fasse entendre.
Atys
Sur l’univers entier son pouvoir doit s’étendre.
Sangaride
Les Dieux suivent ses lois et craignent son couroux.
Atys, Sangaride, Idas, Doris
Quels honneurs ! quels respects ne doit-on point lui rendre ?
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.
Sangaride
Écoutons les oiseaux de ces bois d’alentour,
Ils remplissent leurs chants d’une douceur nouvelle.
On dirait que dans ce beau jour,
Ils ne parlent que de Cybèle.
Atys
Si vous les écoutez, ils parleront d’amour.
Un roi redoutable,
Amoureux, aimable,
Va devenir votre époux ;
Tout parle d’amour pour vous.
Sangaride
Il est vrai, je triomphe, et j’aime ma victoire.
Quand l’Amour fait régner, est-il un plus grand bien ?
Pour vous, Atys, vous n’aimez rien,
Et vous en faites gloire.
Atys
L’amour fait trop verser de pleurs ;
Souvent ses douceurs sont mortelles.
Il ne faut regarder les belles
Que comme on voit d’aimables fleurs.
J’aime les roses nouvelles,
J’aime les voir s’embellir,
Sans leurs épines cruelles,
J’aimerais à les cueillir.
Sangaride
Quand le péril est agréable,
Le moyen de s’en alarmer ?
Est-ce un grand mal de trop aimer
Ce que l’on trouve aimable ?
Peut-on être insensible aux plus charmants appas ?
Atys
Non vous ne me connaissez pas.
Je me défends d’aimer autant qu’il m’est possible ;
Si j’aimais, un jour, par malheur,
Je connais bien mon cœur
Il serait trop sensible.
Mais il faut que chacun s’assemble près de vous,
Cybèle pourrait nous surprendre.
Idas, Atys
Allons, allons, accourez tous,
Cybèle va descendre.

SCÈNE QUATRIÈME

Sangaride, Doris.
Sangaride
Atys est trop heureux.
Doris
L’amitié fut toujours égale entre vous deux,
Et le sang d’assez près vous lie :
Quel que soit son bonheur, lui portez-vous envie ?
Vous, qu’aujourd’hui l’hymen avec de si beaux nœuds
Doit unir au Roi de Phrygie ?
Sangaride
Atys, est trop heureux.
Souverain de son cœur, maître de tous ses vœux,
Sans crainte, sans mélancolie,
Il jouit en repos des beaux jours de sa vie ;
Atys ne connaît point les tourments amoureux,
Atys est trop heureux.
Doris
Quel mal vous fait l’Amour ? votre chagrin m’étonne.
Sangaride
Je te fie un secret qui n’est su de personne.
Je devrais aimer un amant
Qui m’offre une couronne ;
Mais, hélas ! vainement
Le Devoir me l’ordonne,
L’Amour, pour mon tourment,
En ordonne autrement.
Doris
Aimeriez-vous Atys, lui dont l’indifférence
Brave avec tant d’orgueil l’Amour et sa puissance ?
Sangaride
J’aime, Atys, en secret, mon crime, est sans témoins.
Pour vaincre mon amour, je mets tout en usage,
J’appelle ma raison, j’anime mon courage ;
Mais à quoi servent tous mes soins ?
Mon cœur en souffre davantage,
Et n’en aime pas moins.
Doris
C’est le commun défaut des belles.
L’ardeur des conquêtes nouvelles
Fait négliger les cœurs qu’on a trop tôt charmés,
Et les indifférents sont quelquefois aimés
Aux dépents des amants fidèles.
Mais vous vous exposez à des peines cruelles.
Sangaride
Toujours aux yeux d’Atys je serai sans appas ;
Je le sais, j’y consens, je veux, s’il est possible,
Qu’il soit encor plus insensible ;
S’il me pouvait aimer, que deviendrais-je ? hélas !
C’est mon plus grand bonheur qu’Atys ne m’aime pas.
Je prétends être heureuse, au moins, en apparence ;
Au destin d’un grand Roi je me vais attacher.
Sangaride, et Doris
Un amour malheureux dont le devoir s’offense,
Se doit condamner au silence ;
Un amour malheureux qu’on nous peut reprocher,
Ne saurait trop bien se cacher.

SCÈNE CINQUIÈME

Atys, Sangaride, Doris.
Atys
On voit dans ces campagnes
Tous nos Phrygiens s’avancer.
Doris
Je vais prendre soin de presser
Les Nymphes nos compagnes.

SCÈNE SIXIÈME

Atys, Sangaride.
Atys
Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.
Sangaride
Nous ordonnons tous deux la fête de Cybèle,
L’honneur est égal entre nous.
Atys
Ce jour même, un grand Roi doit être votre époux,
Je ne vous vis jamais si contente et si belle ;
Que le sort du Roi sera doux !
Sangaride
L’indifférent Atys n’en sera point jaloux.
Atys
Vivez tous deux contents, c’est ma plus chère envie ;
J’ai pressé votre hymen, j’ai servi vos amours.
Mais enfin ce grand jour, le plus beau de vos jours,
Sera le dernier de ma vie.
Sangaride
O dieux !
Atys
O dieux !Ce n’est qu’à vous que je veux révéler
Le secret désespoir où mon malheur me livre ;
Je n’ai que trop su feindre, il est temps de parler ;
Qui n’a plus qu’un moment à vivre,
N’a plus rien à dissimuler.
Sangaride
Je frémis, ma crainte est extrême ;
Atys, par quel malheur faut-il vous voir périr ?
Atys
Vous me condamnerez vous même,
Et vous me laisserez mourir.
Sangaride
J’armerai, s’il se faut, tout le pouvoir suprême…
Atys
Non, rien ne peut me secourir,
Je meurs d’amour pour vous, je n’en saurais guérir ;
Sangaride
Quoy ? vous ?
Atys
Quoy ? vous ?Il est trop vrai.
Sangaride
Quoy ? vous ? Il est trop vrai.Vous m’aimez ?
Atys
Quoy ? vous ? Il est trop vrai. Vous m’aimez ?Je vous aime.
Vous me condamnerez vous même,
Et vous me laisserez mourir.
J’ai mérité qu’on me punisse,
J’offense un rival généreux,
Qui par mille bienfaits a prévenu mes vœux :
Mais je l’offense en vain, vous lui rendez justice ;
Ah ! que c’est un cruel supplice
D’avouer qu’un rival est digne d’être heureux !
Prononcez mon arrêt, parlez sans vous contraindre.
Sangaride
Hélas !
Atys
Hélas !Vous soupirez ? je vois couler vos pleurs ?
D’un malheureux amour plaignez-vous les douleurs ?
Sangaride
Atys, que vous seriez à plaindre
Si vous saviez tous vos malheurs !
Atys
Si je vous perds, et si je meurs,
Que puis-je encore avoir à craindre ?
Sangaride
C’est peu de perdre en moi ce qui vous a charmé,
Vous me perdez, Atys, et vous êtes aimé.
Atys
Aimé ! qu’entends-je ? ô Ciel ! quel aveu favorable !
Sangaride
Vous en serez plus misérable.
Atys
Mon malheur en est plus affreux,
Le bonheur que je perds doit redoubler ma rage ;
Mais n’importe, aimez-moi, s’il se peut, d’avantage,
Quand j’en devrais mourir cent fois plus malheureux.
Sangaride
Si vous cherchez la mort, il faut que je vous suive ;
Vivez, c’est mon amour qui vous en fait la loi.
Atys
Eh comment ! eh pourquoi
Voulez-vous que je vive,
Si vous ne vivez pas pour moi ?
Atys et Sangaride
Si l’hymen unissait mon destin et le vôtre,
Que ses nœuds auraient eu d’attraits !
L’Amour fit nos cœurs l’un pour l’autre,
Faut-il que le devoir les sépare à jamais ?
Atys
Devoir impitoyable !
Ah quelle cruauté !
Sangaride
On vient, feignez encor, craignez d’être écouté.
Atys
Aimons un bien plus durable
Que l’éclat de la beauté :
Rien n’est plus aimable
Que la liberté.

SCÈNE SEPTIÈME

Atys, Sangaride, Doris, Idas. Chœur de Phrygiens chantants. Chœur de Phrygiennes chantantes. Troupe de Phrygiens dansants. Troupe de Phrygiennes dansantes. Dix hommes phrygiens chantants conduits par Atys. Dix femmes phrygiennes chantantes conduites par Sangaride. Six Phrygiens dansants. Six Nymphes phrygiennes dansantes.
Atys
Mais déjà de ce mont sacré
Le sommet paraît éclairé
D’une splendeur nouvelle.
Sangaride s’avançant vers la Montagne
La Déesse descend, allons au devant d’elle.
Atys et Sangaride
Commençons, commençons
De célébrer ici sa fête solemnelle,
Commençons, commençons
Nos jeux et nos chansons.
Les chœurs répètent ces derniers vers.
Atys et Sangaride
Il est temps que chacun fasse éclater son zèle.
Venez, Reine des Dieux, venez,
Venez, favorable Cybèle.
Les chœurs répètent ces deux derniers vers.
Atys
Quittez votre cour immortelle,
Choisissez ces lieux fortunés
Pour votre demeure éternelle.
Les Chœurs
Venez, Reine des Dieux, venez,
Sangaride
La Terre sous vos pas va devenir plus belle
Que le séjour des Dieux que vous abandonnez.
Les Chœurs
Venez, favorable Cybèle.
Atys et Sangaride
Venez voir les autels qui vous sont destinés.
Atys, Sangaride, Idas, Doris, et les chœurs
Écoutez un peuple fidèle
Qui vous appelle,
Venez Reine des Dieux, venez,
Venez favorable Cybèle.

SCÈNE HUITIÈME

La Déesse Cybèle paraît sur son char, et les Phrygiens et les Phrygiennes lui témoignent leur joie et leur respect.
Cybèle sur son char
Venez tous dans mon temple, et que chacun révère
Le sacrificateur dont je vais faire choix :
Je m’expliquerai par sa voix,
Les vœux qu’il m’offrira seront sûrs de me plaire.
Je reçois vos respects ; j’aime à voir les honneurs
Dont vous me presentez un éclatant hommage,
Mais l’hommage des cœurs
Est ce que j’aime davantage.
Vous devez vous animer
D’une ardeur nouvelle,
S’il faut honorer Cybèle,
Il faut encor plus l’aimer.
Cybèle portée par son char volant, se va rendre dans son temple. Tous les Phrygiens s’empressent d’y aller, et répètent les quatres derniers vers que la Déesse a prononcés.
Les Chœurs
Nous devons nous animer
D’une ardeur nouvelle,
S’il faut honorer Cybèle,
Il faut encor plus l’aimer.
 

ACTE SECOND

Le Théâtre change et représente Le temple de Cybèle.

SCÈNE PREMIÈRE

Célénus roi de Phrygie. Atys, Suivants de Célénus.
Célénus
N’avancez pas plus loin, ne suivez point mes pas ;
Sortez. Toi ne me quitte pas.
Atys, il faut attendre ici que la Déesse
Nomme un grand sacrificateur.
Atys
Son choix sera pour vous, seigneur ; quelle tristesse
Semble avoir surpris votre cœur ?
Célénus
Les rois les plus puissants connaissent l’importance
D’un si glorieux choix :
Qui pourra l’obtenir étendra sa puissance
Partout où de Cybèle on révère les lois.
Atys
Elle honore aujourd’hui ces lieux de sa présence,
C’est pour vous préférer aux plus puissants des Rois.
Célénus
Mais quand j’ai vu tantôt la beauté qui m’enchante,
N’as-tu point remarqué comme elle était tremblante ?
Atys
À nos jeux, à nos chants, j’étais trop appliqué,
Hors la fête, Seigneur, je n’ai rien remarqué.
Célénus
Son trouble m’a surpris. Elle t’ouvre son âme ;
N’y découvres-tu point quelque secrète flamme ?
Quelque rival caché ?
Atys
Quelque rival caché ?Seigneur, que dites-vous ?
Célénus
Le seul nom de rival allume mon couroux.
J’ai bien peur que le Ciel n’ait pu voir sans envie
Le bonheur de ma vie,
Et si j’étais aimé mon sort serait trop doux.
Ne t’étonne point tant de voir la jalousie
Dont mon âme est saisie
On ne peut bien aimer sans être un peu jaloux.
Atys
Seigneur, soyez content, que rien ne vous alarme ;
L’hymen va vous donner la beauté qui vous charme,
Vous serez son heureux époux.
Célénus
Tu peux me rassurer, Atys, je te veux croire,
C’est son cœur que je veux avoir,
Dis-moi s’il est en mon pouvoir ?
Atys
Son cœur suit avec soin le devoir et la gloire,
Et vous avez pour vous la gloire et le devoir.
Célénus
Ne me déguise point ce que tu peux connaître.
Si j’ai ce que j’aime en ce jour
L’hymen seul m’en rend-il le maître ?
La gloire et le devoir auront tout fait, peut-être,
Et ne laissent pour moi rien à faire à l’amour.
Atys
Vous aimez d’un amour trop délicat, trop tendre.
Célénus
L’indifférent Atys ne le saurait comprendre.
Atys
Qu’un indifférent est heureux !
Il jouit d’un destin paisible.
Le ciel fait un présent bien cher, bien dangeureux,
Lorsqu’il donne un cœur trop sensible.
Célénus
Quand on aime bien tendrement
On ne cesse jamais de souffrir, et de craindre ;
Dans le bonheur le plus charmant,
On est ingénieux à se faire un tourment,
Et l’on prend plaisir à se plaindre.
Va songe à mon hymen, et vois si tout est prêt,
Laisse-moi seul ici, la Déesse paraît.

SCÈNE SECONDE

Cybèle, Célénus, Mélisse, troupe de prêtresses de Cybèle.
Cybèle
Je veux joindre en ces lieux la gloire et l’abondance,
D’un sacrificateur je veux faire le choix,
Et le Roi de Phrygie aurait la préférence
Si je voulais choisir entre les plus grands rois.
Le puissant dieu des flots vous donna la naissance,
Un peuple renommé s’est mis sous votre loi ;
Vous avez sans mon choix, d’ailleurs, trop de puissance,
Je veux faire un bonheur qui ne soit dû qu’à moi.
Vous estimez Atys, et c’est avec justice,
Je prétends que mon choix à vos vœux soit propice,
C’est Atys que je veux choisir.
Célénus
J’aime Atys, et je vois sa gloire avec plaisir.
Je suis Roi, Neptune est mon père,
J’épouse une beauté qui va combler mes vœux :
Le souhait qui me reste à faire,
C’est de voir mon ami parfaitement heureux.
Cybèle
Il m’est doux que mon choix à vos désirs réponde ;
Une grande divinité
Doit faire sa félicité
Du bien de tout le monde.
Mais surtout le bonheur d’un roi chéri des cieux
Fait le plus doux plaisir des Dieux.
Célénus
Le sang approche Atys de la Nymphe que j’aime,
Son mérite l’égale aux rois :
Il soutiendra mieux que moi-même
La majesté suprême
De vos divines lois.
Rien ne pourra troubler son zèle,
Son cœur s’est conservé libre jusqu’à ce jour ;
Il faut tout un cœur pour Cybèle,
À peine tout le mien peut suffire à l’amour.
Cybèle
Portez à votre ami la première nouvelle
De l’honneur éclatant où ma faveur l’appelle.

SCÈNE TROISIÈME

Cybèle, Mélisse.
Cybèle
Tu t’étonnes, Mélisse, et mon choix te surprend ?
Mélisse
Atys vous doit beaucoup, et son bonheur est grand.
Cybèle
J’ai fait encor pour lui plus que tu ne peux croire.
Mélisse
Est-il pour un mortel un rang plus glorieux ?
Cybèle
Tu ne vois que sa moindre gloire ;
Ce mortel dans mon cœur est au dessus des Dieux.
Ce fut au jour fatal de ma dernière fête
Que de l’aimable Atys je devins la conquête :
Je partis à regret pour retourner aux Cieux,
Tout m’y parut changé, rien n’y plut à mes yeux.
Je sens un plaisir extrême
À revenir dans ces lieux ;
Où peut-on jamais être mieux,
Qu’aux lieux où l’on voit ce qu’on aime.
Mélisse
Tous les Dieux ont aimé, Cybèle aime à son tour.
Vous méprisiez trop l’Amour,
Son nom vous semblait étrange,
À la fin il vient un jour
Où l’Amour se venge.
Cybèle
J’ai crû me faire un cœur maître de tout son sort,
Un cœur toujours exempt de trouble et de tendresse.
Mélisse
Vous braviez à tort
L’Amour qui vous blesse ;
Le cœur le plus fort
À des moments de faiblesse.
Mais vous pouviez aimer, et descendre moins bas.
Cybèle
Non, trop d’égalité rend l’amour sans appas.
Quel plus haut rang ai-je à prétendre ?
Et de quoi mon pouvoir ne vient-il point à bout ?
Lorsqu’on est au dessus de tout,
On se fait pour aimer un plaisir de descendre.
Je laisse aux Dieux les biens dans le Ciel preparés,
Pour Atys, pour son cœur, je quitte tout sans peine,
S’il m’oblige à descendre, un doux penchant m’entraîne ;
Les cœurs que le destin à le plus separés,
Sont ceux qu’Amour unit d’une plus forte chaîne.
Fais venir le Sommeil ; que lui-même en ce jour,
Prenne soin ici de conduire
Les Songes qui lui font la cour ;
Atys ne sait point mon amour,
Par un moyen nouveau je prétends l’en instruire.
Mélisse se retire.
Cybèle
Que les plus doux Zéphirs, que les peuples divers,
Qui des deux bouts de l’Univers
Sont venus me montrer leur zèle,
Célèbrent la gloire immortelle
Du sacrificateur dont Cybèle a fait choix,
Atys doit dispenser mes lois,
Honorez le choix de Cybèle.

SCÈNE QUATRIÈME

Les Zéphirs paraissent dans une gloire élevée et brillante. Les Peuples différents qui sont venus à la fête de Cybèle entrent dans le temple, et tous ensemble s’efforcent d’honorer Atys, qui vient revêtu des habits de grand sacrificateur. Cinq Zéphirs dansants dans la gloire. Huit Zéphirs jouants du hautbois et des cromornes, dans la gloire. Troupe de Peuples différents chantants qui accompagnent Atys. Six Indiens et six Egyptiens dansants.
Chœurs des Peuples et des Zéphirs
Célébrons la gloire immortelle
Du sacrificateur dont Cybèle a fait choix :
Atys doit dispenser ses lois,
Honorons le choix de Cybèle.
 
Que devant vous tout s’abaisse, et tout tremble ;
Vivez heureux, vos jours sont notre espoir :
Rien n’est si beau que de voir ensemble
Un grand mérite avec un grand pouvoir.
Que l’on bénisse
Le Ciel propice,
Qui dans vos mains
Met le sort des humains.
Atys
Indigne que je suis des honneurs qu’on m’adresse,
Je dois les recevoir au nom de la Déesse ;
J’ose, puisqu’il lui plaît, lui présenter vos vœux :
Pour le prix de votre zèle,
Que la puissante Cybèle
Vous rende à jamais heureux.
Chœurs des Peuples et des Zephirs.
Que la puissante Cybèle
Nous rende à jamais heureux.
 

ACTE TROISIÈME

Le Théâtre change et répresente le palais du sacrificateur de Cybèle.

SCÈNE PREMIÈRE

Atys seul
Que servent les faveurs que nous fait la fortune
Quand l’Amour nous rend malheureux ?
Je perds l’unique bien qui peut combler mes vœux,
Et tout autre bien m’importune.
Que servent les faveurs que nous fait la fortune
Quand l’Amour nous rend malheureux ?

SCÈNE SECONDE

Idas, Doris, Atys.
Idas
Peut-on ici parler sans feindre ?
Atys
Je commande en ces lieux, vous n’y devez rien craindre.
Doris
Mon frère est votre ami.
Idas
Mon frère est votre ami.Fiez-vous à ma sœur.
Atys
Vous devez avec moi partager mon bonheur.
Idas et Doris
Nous venons partager vos mortelles alarmes ;
Sangaride les yeux en larmes
Nous vient d’ouvrir son cœur.
Atys
L’heure approche où l’hymen voudra qu’elle se livre
Au pouvoir d’un heureux époux.
Idas et Doris
Elle ne peut vivre
Pour un autre que pour vous.
Atys
Qui peut la dégager du devoir qui la presse ?
Idas et Doris
Elle veut elle-même aux pieds de la Déesse
Déclarer hautement vos secrètes amours.
Atys
Cybèle pour moi s’intéresse,
J’ose tout espérer de son divin secours…
Mais quoi, trahir le roi ! tromper son espérance !
De tant de biens reçus est-ce la récompense ?
Idas et Doris
Dans l’empire amoureux
Le Devoir n’a point de puissance ;
L’Amour dispense
Les rivaux d’être généreux ;
Il faut souvent pour devenir heureux
Qu’il en coûte un peu d’innocence.
Atys
Je souhaite, je crains, je veux, je me repens.
Idas et Doris
Verrez-vous un rival heureux à vos dépens ?
Atys
Je ne puis me résoudre à cette violence.
Atys, Idas et Doris
En vain, un cœur, incertain de son choix,
Met en balance mille fois
L’Amour et la Reconnaissance,
L’Amour toujours emporte la balance.
Atys
Le plus juste parti cède enfin au plus fort.
Allez, prenez soin de mon sort,
Que Sangaride ici se rende en diligence.

SCÈNE TROISIÈME

ATYS seul.
Nous pouvons nous flatter de l’espoir le plus doux
Cybèle et l’Amour sont pour nous.
Mais du devoir trahi j’entends la voix pressante
Qui m’accuse et qui m’épouvante.
Laisse-mon cœur en paix, impuissante Vertu,
N’ai-je point assez combattu ?
Quand l’Amour malgré toi me contraint à me rendre,
Que me demandes-tu ?
Puisque tu ne peux me défendre,
Que me sert-il d’entendre
Les vains repproches que tu fais ?
Impuissante Vertu laisse mon cœur en paix.
Mais le Sommeil vient me surprendre,
Je combats vainement sa charmante douceur.
Il faut laisser suspendre
Les troubles de mon cœur.
Atys descend.

SCÈNE QUATRIÈME

Le théâtre change et représente un antre entouré de pavots et de ruisseaux, où le dieu du sommeil se vient rendre accompagné des songes agréables et funestes.
Atys dormant. Le Sommeil, Morphée, Phobetor, Phantase, Les songes heureux. Les songes funestes. Deux songes jouants de la viole. Deux songes jouants du théorbe. Six songes jouants de la Flûte. Douze songes funestes chantants. Huit songes agréables dansants. Huit Songes funestes dansants.
Le Sommeil
Dormons, dormons tous ;
Ah que le repos est doux !
Morphée
Régnez, divin Sommeil, régnez sur tout le monde,
Répandez vos pavots les plus assoupissants ;
Calmez les soins, charmez les sens,
Retenez tous les cœurs dans une paix profonde.
Phobétor
Ne vous faites point violence,
Coulez, murmurez, clairs ruisseaux,
Il n’est permis qu’au bruit des eaux
De troubler la douceur d’un si charmant silence.
Le Sommeil, Morphée, Phobétor et Phantase
Dormons, dormons tous,
Ah que le repos est doux !
Les songes agréables approchent d’Atys, et par leurs chants, et par leurs danses, lui font connaître l’amour de Cybèle, et le bonheur qu’il en doit espérer.
Morphée
Écoute, écoute Atys la gloire qui t’appelle,
Sois sensible à l’honneur d’être aimé de Cybèle,
Jouis heureux Atys de ta félicité.
Morphée, Phobétor et Phantase
Mais souviens-toi que la beauté
Quand elle est immortelle,
Demande la fidélité
D’une amour éternelle.
Phantase
Que l’amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
À faire sentir sa puissance,
Que l’Amour a d’attraits
Lorsqu’il commence
Pour ne finir jamais.
Morphée
Goûte en paix chaque jour une douceur nouvelle,
Partage l’heureux sort d’une divinité,
Ne vante plus la liberté,
Il n’en est point du prix d’une chaîne si belle :
Morphée, Phobétor et Phantase
Mais souviens-toi que la beauté
Quand elle est immortelle,
Demande la fidélité
D’une amour éternelle.
Phantase
Trop heureux un amant
Qu’Amour exempte
Des peines d’une longue attente !
Trop heureux un amant
Qu’Amour exempte
De crainte, et de tourment !
Les songes funestes approchent d’Atys, et le menacent de la vengeance de Cybèle s’il méprise son amour, et s’il ne l'aime pas avec fidélité.
Un songe funeste
Garde-toi d’offenser un amour glorieux,
C’est pour toi que Cybèle abandonne les cieux
Ne trahis point son espérance.
Il n’est point pour les Dieux de mépris innocent,
Ils sont jaloux des cœurs, ils aiment la vengeance,
Il est dangereux qu’on offense
Un amour tout-puissant.
Chœur de songes funestes
L’amour qu’on outrage
Se transforme en rage,
Et ne pardonne pas
Aux plus charmants appas.
Si tu n’aimes point Cybèle
D’une amour fidèle,
Malheureux, que tu souffriras !
Tu périras :
Crains une vengeance cruelle,
Tremble, crains un affreux trépas.
Atys épouvanté par les songes funestes, se réveille en sursaut, le Sommeil et les songes disparaissent avec l'antre où ils étaient, et Atys se retrouve dans le même palais où il s’était endormi.

SCÈNE CINQUIÈME

Atys, Cybèle, et Mélisse.
Atys
Venez à mon secours ô dieux ! ô justes dieux !
Cybèle
Atys, ne craignez rien, Cybèle est en ces lieux.
Atys
Pardonnez au désordre où mon cœur s’abandonne ;
C’est un songe…
Cybèle
C’est un songe…Parlez, quel songe vous étonne ?
Expliquez-moi votre embarras.
Atys
Les songes sont trompeurs, et je ne les crois pas.
Les plaisirs et les peines
Dont en dormant on est séduit,
Sont des chimères vaines
Que le réveil détruit.
Cybèle
Ne méprisez pas tant les songes
L’Amour peut emprunter leur voix,
S’ils font souvent des mensonges
Ils disent vrai quelquefois.
Ils parlaient par mon ordre, et vous les devez croire.
Atys
O Ciel ?
Cybèle
O Ciel ?N’en doutez point, connaissez votre gloire.
Répondez avec liberté,
Je vous demande un cœur qui dépend de lui-même.
Atys
Une grande divinité
Doit d’assurer toujours de mon respect extrême.
Cybèle
Les dieux dans leur grandeur suprême
Reçoivent tant d’honneurs qu’ils en sont rebutés,
Ils se lassent souvent d’être trop respectés,
Ils sont plus contents qu’on les aime.
Atys
Je sais trop ce que je vous dois
Pour manquer de reconnaissance…

SCÈNE SIXIÈME

Sangaride, Cybèle, Atys, Mélisse.
Sangaride se jetant aux pieds de Cybèle
J’ai recours à votre puissance,
Reine des Dieux, protégez-moi.
L’intérêt d’Atys vous en presse…
Atys interrompant Sangaride
Je parlerai pour vous, que votre crainte cesse.
Sangaride
Tous deux unis des plus beaux nœuds…
Atys interrompant Sangaride
Le sang et l’amitié nous unissent tous deux.
Que votre secours la délivre
Des lois d’un hymen rigoureux,
Ce sont les plus doux de ses vœux
De pouvoir à jamais vous servir et vous suivre.
Cybèle
Les dieux sont les protecteurs
De la liberté des cœurs.
Allez, ne craignez point le roi ni sa colère,
J’aurai soin d’apaiser
Le Fleuve Sangar votre père ;
Atys veut vous favoriser,
Cybèle en sa faveur ne peut rien refuser.
Atys
Ah ! c’en est trop…
Cybèle
Ah ! c’en est trop…Non, non, il n’est pas nécessaire
Que vous cachiez votre bonheur,
Je ne prétends point faire
Un vain mystère
D’un amour qui vous fait honneur.
Ce n’est point à Cybèle à craindre d’en trop dire.
Il est vrai, j’aime Atys, pour lui j’ai tout quitté,
Sans lui je ne veux plus de grandeur ni d’empire,
Pour ma félicité
Son cœur seul peut suffire.
Allez, Atys lui-même ira vous garantir
De la fatale violence
Où vous ne pouvez consentir.
Sangaride se retire.
Cybèle parle à Atys
Laissez-nous, attendez mes ordres pour partir,
Je prétends vous armer de ma toute puissance.

SCÈNE SEPTIÈME

Cybèle, Mélisse.
Cybèle
Qu’Atys dans ses respects mêle d’indifférence !
L’ingrat Atys ne m’aime pas ;
L’Amour veut de l’amour, tout autre prix l’offense,
Et souvent le respect et la reconnaissance
Sont l’excuse des cœurs ingrats.
Mélisse
Ce n’est pas un si grand crime
De ne s’exprimer pas bien,
Un cœur qui n’aima jamais rien
Sait peu comment l’amour s’exprime.
Cybèle
Sangaride est aimable, Atys peut tout charmer,
Ils témoignent trop s’estimer,
Et de simples parents sont moins d’intelligence :
Ils se sont aimés dès l’enfance,
Ils pourraient enfin trop s’aimer.
Je crains une amitié que tant d’ardeur anime.
Rien n’est si trompeur que l’estime :
C’est un nom supposé
Qu’on donne quelquefois à l’amour déguisé.
Je prétends m’éclaircir leur feinte sera vaine.
Mélisse
Quels secrets par les dieux ne sont point pénétrés ?
Deux cœurs à feindre préparés
Ont beau cacher leur chaîne,
On abuse avec peine
Les Dieux par l’amour éclairés.
Cybèle
Va, Mélisse, donne ordre à l’aimable Zéphire
D’accomplir promptement tout ce qu’Atys désire.

SCÈNE HUITIÈME

Cybèle seule
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! pourquoi me trompez-vous ?
Des suprêmes grandeurs vous m’avez fait descendre,
Mille cœurs m’adoraient, je les néglige tous,
Je n’en demande qu’un, il a peine à se rendre ;
Je ne sens que chagrin, et que soupçons jaloux ;
Est-ce le sort charmant que je devais attendre ?
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! pourquoi me trompez-vous ?
Hélas ! par tant d’attraits fallait-il me surprendre ?
Heureuse, si toujours j’avais pu m’en défendre !
L’Amour qui me flattait me cachait son couroux :
C’est donc pour me frapper des plus funestes coups,
Que le cruel Amour m’a fait un cœur si tendre ?
Espoir si cher, et si doux,
Ah ! pourquoi me trompez-vous ?
 

ACTE QUATRIÈME

Le théâtre change et représente le palais du Fleuve Sangar.

SCÈNE PREMIÈRE

Sangaride, Doris, Idas.
Doris
Quoi, vous pleurez ?
Idas
Quoi, vous pleurez ?D’où vient votre peine nouvelle ?
Doris
N’osez-vous découvrir votre amour à Cybèle ?
Sangaride
Hélas !
Doris et Idas
Hélas !Qui peut encor redoubler vos ennuis ?
Sangaride
Hélas ! j’aime… hélas ! j’aime…
Doris et Idas
Hélas ! j’aime… hélas ! j’aime…Achevez.
Sangaride
Hélas ! j’aime… hélas ! j’aime… Achevez.Je ne puis.
Doris et Idas
L’Amour n’est guère heureux lorsqu’il est trop timide.
Sangaride
Hélas ! j’aime un perfide
Qui trahit mon amour ;
La Déesse aime Atys, il change en moins d’un jour,
Atys comblé d’honneurs n’aime plus Sangaride.
Hélas ! j’aime un perfide
Qui trahit mon amour.
Doris et Idas
Il nous montrait tantôt un peu d’incertitude ;
Mais qui l’eut soupçonné de tant d’ingratitude ?
Sangaride
J’embarassais Atys, je l’ai vu se troubler :
Je croyais devoir révéler
Notre amour à Cybèle ;
Mais l’ingrat, l’infidèle,
M’empechait toujours de parler.
Doris et Idas
Peut-on changer si tôt quand l’amour est extrême ?
Gardez-vous, gardez-vous
De trop croire un transport jaloux.
Sangaride
Cybèle hautement déclare qu’elle l’aime,
Et l’ingrat n’a trouvé cet honneur que trop doux ;
Il change en un moment, je veux changer de même,
J’accepterai sans peine un glorieux époux,
Je ne veux plus aimer que la grandeur suprême.
Doris et Idas
Peut-on changer si tôt quand l’amour est extrême ?
Gardez-vous, gardez-vous
De trop croire un transport jaloux.
Sangaride
Trop heureux un cœur qui peut croire
Un dépit qui sert à sa gloire.
Revenez ma raison, revenez pour jamais,
Joignez-vous au dépit pour étouffer ma flamme,
Réparez, s’il se peut, les maux qu’Amour m’a faits,
Venez rétablir dans mon âme
Les douceurs d’une heureuse paix ;
Revenez, ma raison, revenez pour jamais.
Idas et Doris
Une infidelité cruelle
N’efface point tous les appas
D’un infidèle,
Et la raison ne revient pas
Si tôt qu’on l’a rappelle.
Sangaride
Après une trahison
Si la raison ne m’éclaire,
Le dépit et la colère
Me tiendront lieu de raison.
Sangaride, Doris, Idas
Qu’une première amour est belle ?
Qu’on a peine à s’en dégager !
Que l’on doit plaindre un cœur fidèle
Lorsqu’il est forcé de changer.

SCÈNE SECONDE

Célénus, suivants de Célénus, Sangaride, Idas, et Doris.
Célénus
Belle nymphe, l’hymen va suivre mon envie,
L’Amour avec moi vous convie
À venir vous placer sur un trône éclatant,
J’approche avec transport du favorable instant
D’où dépend la douceur du reste de ma vie :
Mais malgré les appas du bonheur qui m’attend,
Malgré tous les transports de mon âme amoureuse,
Si je ne puis vous rendre heureuse,
Je ne serai jamais content.
Je fais mon bonheur de vous plaire,
J’attache à votre cœur mes désirs les plus doux.
Sangaride
Seigneur, j’obéirai, je dépends de mon père,
Et mon père aujourd’hui veut que je sois à vous.
Célénus
Regardez mon amour, plutôt que ma couronne.
Sangaride
Ce n’est point la grandeur qui me peut éblouir.
Célénus
Ne sauriez-vous m’aimer sans que l’on vous l’ordonne.
Sangaride
Seigneur, contentez-vous que je sache obéïr,
En l’état où je suis c’est ce que je puis dire…

SCÈNE TROISIÈME

Atys, Célénus, Sangaride, Doris, Idas, suivants de Célénus.
Célénus
Votre cœur se trouble, il soupire.
Sangaride
Expliquez en votre faveur
Tout ce que vous voyez de trouble dans mon cœur.
Célénus
Rien ne m’alarme plus, Atys, ma crainte est vaine,
Mon amour touche enfin le cœur de la beauté
Dont je suis enchanté :
Toi qui fus témoin de ma peine,
Cher Atys, sois témoin de ma félicité.
Peux-tu la concevoir ? non, il faut que l’on aime,
Pour juger des douceurs de mon bonheur extrême.
Mais, près de voir combler mes vœux,
Que les moments sont longs pour mon cœur amoureux !
Vos parents tardent trop, je veux aller moi-même
Les presser de me rendre heureux.

SCÈNE QUATRIÈME

Atys, Sangaride.
Atys
Qu’il sait peu son malheur ! et qu’il est déplorable !
Son amour méritait un sort plus favorable :
J’ai pitié de l’erreur dont son cœur s’est flatté.
Sangaride
Épargnez-vous le soin d’être si pitoyable,
Son amour obtiendra ce qu’il a merité.
Atys
Dieux ! qu’est-ce que j’entends !
Sangaride
Dieux ! qu’est-ce que j’entends !Qu’il faut que je me venge,
Que j’aime enfin le roi, qu’il sera mon époux.
Atys
Sangaride, eh d’où vient ce changement étrange ?
Sangaride
N’est-ce pas vous ingrat qui voulez que je change ?
Atys
Moi !
Sangaride
Moi !Quelle trahison !
Atys
Moi ! Quelle trahison !Quel funeste couroux !
Atys et Sangaride
Pourquoi m’abandonner pour une amour nouvelle ?
Ce n’est pas moi qui rompt une chaîne si belle.
Atys
Beauté trop cruelle, c’est vous,
Sangaride
Amant infidèle, c’est vous,
Atys
Ah ! c’est vous, beauté trop cruelle,
Sangaride
Ah ! c’est vous amant infidèle.
Atys et Sangaride
Beauté trop cruelle, c’est vous,
Amant infidèle, c’est vous,
Qui rompez des liens si doux.
Sangaride
Vous m’avez immolée à l’amour de Cybèle.
Atys
Il est vrai qu’à ses yeux, par un secret effroi,
J’ai voulu de nos cœurs cacher l’intelligence :
Mais ce n’est que pour vous que j’ai crains sa vengeance,
Et je ne la crains pas pour moi.
Cybèle m’aime en vain, et c’est vous que j’adore.
Sangaride
Après votre infidélité,
Auriez-vous bien la cruauté
De vouloir me tromper encore ?
Atys
Moi ! vous trahir ? vous le pensez ?
Ingrate, que vous m’offensez !
Eh bien, il ne faut plus rien taire,
Je vais de la déesse attirer la colère,
M’offrir à sa fureur, puisque vous m’y forcez…
Sangaride
Ah ! demeurez, Atys, mes soupçons sont passés ;
Vous m’aimez, je le crois, j’en veux être certaine.
Je le souhaite assez,
Pour le croire sans peine.
Atys
Je jure,
Sangaride
Je jure,Je promets,
Atys et Sangaride
De ne changer jamais.
Sangaride
Quel tourment de cacher une si belle flamme.
Atys
Redoublons-en l’ardeur dans le fonds de notre âme.
Atys et Sangaride
Aimons en secret, aimons-nous :
Aimons plus que jamais, en dépit des jaloux.
Sangaride
Mon père vient ici,
Atys
Mon père vient ici,Que rien ne vous étonne ;
Servons-nous du pouvoir que Cybèle me donne,
Je vais préparer les Zéphirs
À suivre nos désirs.

SCÈNE CINQUIÈME

Sangaride, Célénus, le Dieux du Fleuve Sangar, troupe de dieux de fleuves, de ruisseaux, et de divinités de fontaines. Le Fleuve Sangar. Suite du Fleuve Sangar. Douze grands dieux de fleuves chantants. Cinq dieux de fleuves jouants de la flûte. Quatre divinités de fontaines, et quatre dieux de fleuves chantants et dansants. Quatre divinités de Fontaines. Deux dieux de fleuves. Deux dieux de fleuves dansants ensemble. Deux petits dieux de ruisseaux chantants et dansants. Quatre petits dieux de ruisseaux dansants. Six grands dieux de fleuves dansants. Deux vieux dieux de fleuves et deux vieilles nymphes de fontaines dansantes.
Le Dieu du Fleuve Sangar
Ô vous, qui prenez part au bien de ma famille,
Vous, vénérables dieux des fleuves les plus grands,
Mes fidèles amis, et mes plus chers parents,
Voyez quel est l’époux que je donne à ma fille :
J’ai pris soin de choisir entre les plus grands rois.
Chœur de dieux de fleuves
Nous approuvons votre choix.
Le Dieu du Fleuve Sangar
Il a Neptune pour son père,
Les Phrygiens suivent ses lois ;
J’ai cru ne pouvoir faire
Un choix plus digne de vous plaire.
Chœur de dieux de fleuves
Tous, d’une commune voix,
Nous approuvons votre choix.
Le Dieu du Fleuve Sangar
Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut ;
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
On trouve bientôt la fin
Des jours de réjouissance,
On a beau chasser le chagrin,
Il revient plutôt qu’on ne pense.
Le Dieu du Fleuve Sangar, et le Chœur
Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut ;
Ce n’est jamais trop tôt
Que le plaisir commence.
Que l’on chante, que l’on danse,
Rions tous lorsqu’il le faut.
Dieux de fleuves, divinités de fontaines, et de ruisseaux, chantants et dansants ensemble.
La beauté la plus sévère
Prend pitié d’un long tourment,
Et l’amant qui persévère
Devient un heureux amant.
Tout est doux, et rien ne coûte
Pour un cœur qu’on veut toucher,
L’onde se fait une route
En s’efforçant d’en chercher,
L’eau qui tombe goûte à goûte
Perce le plus dur rocher.
 
L’hymen seul ne saurait plaire,
Il a beau flatter nos vœux ;
L’amour seul a droit de faire
Les plus doux de tous les nœuds.
Il est fier, il est rebelle,
Mais il charme tel qu’il est ;
L’hymen vient quand on l’appelle,
L’amour vient quand il lui plaît.
 
Il n’est point de résistance
Dont le temps ne vienne à bout,
Et l’effort de la constance
À la fin doit vaincre tout.
Tout est doux, et rien ne coûte
Pour un cœur qu’on veut toucher,
L’onde se fait une route
En s’efforçant d’en chercher,
L’eau qui tombe goûte à goûte
Perce le plus dur rocher.
 
L’Amour trouble tout le monde,
C’est la source de nos pleurs ;
C’est un feu brûlant dans l’onde,
C’est l’écueil des plus grands cœurs :
Il est fier, il est rebelle,
Mais il charme tel qu’il est ;
L’hymen vient quand on l’appelle,
L’amour vient quand il lui plaît.
Un dieu de fleuve et une divinité de fontaine, dançent et chantent ensemble
D’une constance extrême,
Un ruisseau suit son cours ;
Il en sera de même
Du choix de mes amours,
Et du moment que j’aime
C’est pour aimer toujours.
 
Jamais un cœur volage
Ne trouve un heureux sort,
Il n’a point l’avantage
D’être longtemps au port,
Il cherche encor l’orage
Au moment qu’il en sort.
Chœur de dieux de fleuves et de divinités de Fontaines
Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.
Que sert un cœur qui s’exempte
De tous les soins amoureux ?
À quoi sert une eau dormante ?
Un grand calme est trop fâcheux,
Nous aimons mieux la tourmente.

SCÈNE SIXIÈME

Atys, troupe de Zéphirs volants, Sangaride, Célénus, Le Dieu du Fleuve Sangar, troupe de dieux de fleuves, de ruisseaux, et de divinités de fontaines.
Chœur de dieux de fleuves et de fontaines
Venez former des nœuds charmants,
Atys, venez unir ces bien heureux amants.
Atys
Cet hymen déplaît à Cybèle,
Elle défend de l’achever :
Sangaride est un bien qu’il faut lui réserver,
Et que je demande pour elle.
Chœur
Ah quelle loi cruelle !
Célénus
Atys peut s’engager lui-même à me trahir ?
Atys contre moi s’interesse ?
Atys
Seigneur, je suis à la déesse,
Dès qu’elle a commandé, je ne puis qu’obéïr.
Le Dieu du Fleuve Sangar
Pourquoi faut-il qu’elle sépare
Deux illustres amants pour qui l’hymen prépare
Ses liens les plus doux ?
Chœur
Opposons-nous
À ce dessein barbare.
Atys élevé sur un nuage
Apprenez, audacieux,
Qu’il n’est rien qui n’obéïsse
Aux souveraines lois de la reine des dieux.
Qu’on nous enlève de ces lieux ;
Zéphirs, que sans tarder mon ordre s’accomplisse.
Les Zéphirs volent, et enlèvent Atys et Sangaride.
Chœur
Quelle injustice !
 

ACTE CINQUIÈME

Le théâtre change et représente des jardins agréables.

SCÈNE PREMIÈRE

Célénus, Cybèle, Mélisse.
Célénus
Vous m’ôtez Sangaride ? inhumaine Cybèle ;
Est-ce le prix du zèle
Que j’ai fait avec soin éclater à vos yeux ?
Préparez-vous ainsi la douceur éternelle
Dont vous devez combler ces lieux ?
Est-ce ainsi que les rois sont protegés des dieux ?
Divinité cruelle,
Descendez-vous exprès des cieux
Pour troubler un amour fidèle ?
Et pour venir m’ôter ce que j’aime le mieux ?
Cybèle
J’aimais Atys, l’amour a fait mon injustice ;
Il a pris soin de mon supplice ;
Et si vous êtes outragé,
Bientôt vous serez trop vengé.
Atys adore Sangaride.
Célénus
Atys l’adore ? ah le perfide !
Cybèle
L’ingrat vous trahissait, et voulait me trahir :
Il s’est trompé lui-même en croyant m’éblouir.
Les Zéphirs l’ont laissé, seul, avec ce qu’il aime,
Dans ces aimables lieux ;
Je m’y suis cachée à leurs yeux ;
J’y viens d’être témoin de leur amour extrême.
Célénus
Ô Ciel ! Atys plairait aux yeux qui m’ont charmé ?
Cybèle
Eh pouvez-vous douter qu’Atys ne soit aimé ?
Non, non, jamais amour n’eût tant de violence,
Ils ont juré cent fois de s’aimer malgré nous,
Et de braver notre vengeance ;
Ils nous ont appelés cruels, tyrans, jaloux ;
Enfin leurs cœurs d’intelligence,
Tous deux… ah je frémis au moment que j’y pense !
Tous deux s’abandonnaient à des transports si doux,
Que je n’ai pû garder plus longtemps le silence,
Ni retenir l’éclat de mon juste couroux.
Célénus
La mort est pour leur crime une peine légère.
Cybèle
Mon cœur à les punir est assez engagé ;
Je vous l’ai déja dit, croyez-en ma colère,
Bientôt vous serez trop vengé.

SCÈNE SECONDE

Atys, Sangaride, Cybèle, Célénus, Mélisse, troupe de prêtresses de Cybèle.
Cybèle et Célénus
Venez vous livrer au supplice.
Atys et Sangaride
Quoi la terre et le ciel contre nous sont armés ?
Souffrirez-vous qu’on nous punisse ?
Cybèle et Célénus
Oubliez-vous votre injustice ?
Atys et Sangaride
Ne vous souvient-il plus de nous avoir aimés ?
Cybèle et Célénus
Vous changez mon amour en haine légitime.
Atys et Sangaride
Pouvez-vous condamner
L’amour qui nous anime ?
Si c’est un crime,
Quel crime est plus à pardonner ?
Cybèle et Célénus
Perfide, deviez-vous me taire
Que c’était vainement que je voulais vous plaire ?
Atys et Sangaride
Ne pouvant suivre vos désirs,
Nous croyons ne pouvoir mieux faire
Que de vous épargner de mortels déplaisirs.
Cybèle
D’un supplice cruel craignez l’horreur extrême.
Cibèle et Célénus
Craignez un funeste trépas.
Atys et Sangaride
Vengez-vous, s’il le faut, ne me pardonnez pas,
Mais pardonnez à ce que j’aime.
Cybèle et Célénus
C’est peu de nous trahir, vous nous bravez, ingrats ?
Atys et Sangaride
Serez-vous sans pitié ?
Cybèle et Célénus
Serez-vous sans pitié ?Perdez toute espérance.
Atys et Sangaride
L’amour nous a forcé à vous faire une offense,
Il demande grâce pour nous.
Cybèle et Célénus
L’Amour en couroux
Demande vengeance.
Cybèle
Toi, qui portes partout et la rage et l’horreur,
Cesse de tourmenter les criminelles ombres,
Viens, cruelle Alecton, sors des royaumes sombres,
Inspire au cœur d’Atys ta barbare fureur.

SCÈNE TROISIÈME

Alecton, Atys, Sangaride, Cybèle, Célénus, Mélisse, Idas, Doris, troupe de prêtresses de Cybèle, chœur de Phrygiens.
Alecton sort des Enfers, tenant à la main un flambeau qu’elle secoue en volant et en passant au dessus d’Atys.
Atys
Ciel ! quelle vapeur m’environne !
Tous mes sens sont troublés, je frémis, je frissonne,
Je tremble, et tout à coup, une infernale ardeur
Vient enflammer mon sang, et dévorer mon cœur.
Dieux ! que vois-je ? le ciel s’arme contre la terre ?
Quel désordre ! quel bruit ! quel éclat de tonnerre !
Quels abîmes profonds sous mes pas sont ouverts !
Que de fantômes vains sont sortis des Enfers !
Il parle à Cybèle, qu’il prend pour Sangaride.
Sangaride, ah fuyez la mort que vous prépare
Une divinité barbare :
C’est votre seul péril qui cause ma terreur.
Sangaride
Atys reconnaissez votre funeste erreur.
Atys prenant Sangaride pour un monstre
Quel monstre vient à nous ! quelle fureur le guide !
Ah respecte, cruel, l’aimable Sangaride.
Sangaride
Atys, mon cher Atys.
Atys
Atys, mon cher Atys.Quels hurlements affreux !
Célénus à Sangaride
Fuyez, sauvez-vous de sa rage.
Atys tenant à la main le couteau sacré qui sert aux sacrifices.
Il faut combattre ; Amour, seconde mon courage.
Atys court après Sangaride qui fuit dans un des côtés du théâtre.
Célénus et le chœur
Arrête, arrête malheureux.
Célénus court après Atys.
Sangaride dans un des côtés du théâtre.
Atys !
Le chœur
Atys !Ô ciel
Sangaride
Atys ! Ô cielJe meurs.
Le Chœur
Atys ! Ô ciel Je meurs.Atys, Atys lui-même,
Fait périr ce qu’il aime !
Célénus revenant sur le théâtre
Je n’ai pu retenir ses efforts furieux,
Sangaride expire à vos yeux.
Cybèle
Atys me sacrifie une indigne rivale.
Partagez avec moi la douceur sans égale,
Que l’on goûte en vengeant un amour outragé.
Je vous l’avais promis.
Célénus
Je vous l’avais promis.Ô promesse fatale !
Sangaride n’est plus, et je suis trop vengé.
Célénus se retire au côté du théâtre, où est Sangaride morte.

SCÈNE QUATRIÈME

Atys, Cybèle, Mélisse, Idas, chœur de Phrygiens.
Atys
Que je viens d’immoler une grande victime !
Sangaride est sauvée, et c’est par ma valeur.
Cybèle touchant Atys
Achève ma vengeance, Atys, connais ton crime,
Et reprends ta raison pour sentir ton malheur.
Atys
Un calme heureux succède aux troubles de mon cœur.
Sangaride, nymphe charmante,
Qu’êtes-vous devenue ? où puis-je avoir recours ?
Divinité toute puissante,
Cybèle, ayez pitié de nos tendres amours,
Rendez-moi Sangaride, épargnez ses beaux jours.
Cybèle montrant à Atys Sangride morte
Tu la peux voir, regarde.
Atys
Tu la peux voir, regarde.Ah quelle barbarie !
Sangaride a perdu la vie !
Ah quelle main cruelle ! ah quel cœur inhumain !…
Cybèle
Les coups dont elle meurt sont de ta propre main.
Atys
Moi, j’aurais immolé la beauté qui m’enchante ?
Ô Ciel ! ma main sanglante
Est de ce crime horrible un témoin trop certain !
Le Chœur
Atys, Atys lui-même,
Fait périr ce qu’il aime.
Atys
Quoi, Sangaride est morte ? Atys est son bourreau !
Quelle vengeance ô dieux ! quel supplice nouveau !
Quelles horreurs sont comparables
Aux horreurs que je sens ?
Dieux cruels, dieux impitoyables,
N’êtes-vous tout-puissants
Que pour faire des misérables ?
Cybèle
Atys, je vous ai trop aimé :
Cet amour par vous-même en couroux transformé
Fait voir encor sa violence :
Jugez, ingrat, jugez en ce funeste jour,
De la grandeur de mon amour
Par la grandeur de ma vengeance.
Atys
Barbare ! quel amour qui prend soin d’inventer
Les plus horribles maux que la rage peut faire !
Bien heureux qui peut éviter
Le malheur de vous plaire.
Ô dieux ! injustes dieux ! que n’êtes-vous mortels ?
Faut-il que pour vous seuls vous gardiez la vengeance ?
C’est trop, c’est trop souffrir leur cruelle puissance,
Chassons-les d’ici bas, renversons leurs autels.
Quoi, Sangaride est morte ? Atys, Atys lui-même
Fait périr ce qu’il aime ?
Le Chœur
Atys, Atys lui-même
Fait périr ce qu’il aime.
Cybèle ordonnant d’emporter le corps de Sangaride morte
Ôtez ce triste objet.
Atys
Ôtez ce triste objet.Ah ne m’arrachez pas
Ce qui reste de tant d’appas !
En fussiez-vous jalouse encore,
Il faut que je l’adore
Jusque dans l’horreur du trépas.

SCÈNE CINQUIÈME

Cybèle, Mélisse.
Cybèle
Je commence à trouver sa peine trop cruelle,
Une tendre pitié rappelle
L’Amour que mon couroux croyait avoir banni,
Ma rivale n’est plus, Atys n’est plus coupable,
Qu’il est aisé d’aimer un criminel aimable
Après l’avoir puni.
Que son désespoir m’épouvante !
Ses jours sont en péril, et j’en frémis d’effroi :
Je veux d’un soin si cher ne me fier qu’à moi,
Allons… mais quel spectable à mes yeux se présente ?
C’est Atys mourant que je vois !

SCÈNE SIXIÈME

Atys, Idas, Cybèle, Mélisse, prêtresses de Cybèle.
Idas soûtenant Atys
Il s’est percé le sein, et mes soins pour sa vie
N’ont pu prévenir sa fureur.
Cybèle
Ah c’est ma barbarie,
C’est moi, qui lui perce le cœur.
Atys
Je meurs, l’amour me guide
Dans la nuit du trépas ;
Je vais où sera Sangaride,
Inhumaine, je vais, où vous ne serez pas.
Cybèle
Atys, il est trop vrai, ma rigueur est extrême,
Plaignez-vous, je veux tout souffrir.
Pourquoi suis-je immortelle en vous voyant périr ?
Atys et Cybèle
Il est doux de mourir
Avec ce que l’on aime.
Cybèle
Que mon amour funeste armé contre moi-même,
Ne peut-il vous venger de toutes mes rigueurs.
Atys
Je suis assez vengé, vous m’aimez, et je meurs.
Cybèle
Malgré le destin implacable
Qui rend de ton trépas l’arrêt irrévocable,
Atys, sois à jamais l’objet de mes amours :
Reprends un sort nouveau, deviens un arbre aimable
Que Cybèle aimera toujours.
Atys prend la forme de l’arbre aimé de la déesse Cybèle, que l’on appelle pin.
Cybèle
Venez furieux Corybantes,
Venez joindre à mes cris vos clameurs éclatantes ;
Venez nymphes des eaux, venez dieux des forêts,
Par vos plaintes les plus touchantes
Seconder mes tristes regrets.

SCÈNE SEPTIÈME ET DERNIÈRE

Cybèle, troupe de nymphes des eaux, troupe de divinités des bois, troupe de Corybantes. Quatre nymphes chantantes. Huit dieux des bois chantants. Quatorze corybantes chantantes. Huit corybantes dansantes. Trois dieux des bois, dansants. Trois nymphes dansantes.
Cybèle
Atys, l’aimable Atys, malgré tous ses attraits,
Descend dans la nuit éternelle ;
Mais malgré la mort cruelle,
L’amour de Cybèle
Ne mourra jamais.
Sous une nouvelle figure,
Atys est ranimé par mon pouvoir divin ;
Célébrez son nouveau destin,
Pleurez sa funeste aventure.
Chœur des nymphes des eaux et des divinités des bois
Célébrons son nouveau destin,
Pleurons sa funeste aventure.
Cybèle
Que cet arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
Qu’il s’élève au-dessus des arbres les plus beaux :
Qu’il soit voisin des cieux, qu’il règne sur les eaux ;
Qu’il ne puisse brûler que d’une flamme pure.
Que cet Arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
Le chœur répète ces trois derniers vers.
Cybèle
Que ses rameaux soient toujours verts :
Que les plus rigoureux hivers
Ne leur fassent jamais d’injure.
Que cet arbre sacré
Soit révéré
De toute la nature.
Le chœur répète ces trois derniers vers.
Cybèle et le chœur des divinités des bois et des eaux
Quelle douleur !
Cybèle et le chœur des corybantes
Ah ! quelle rage !
Cybèle et les chœurs
Ah ! quel malheur !
Cybèle
Atys au printemps de son âge,
Périt comme une fleur
Qu’un soudain orage
Renverse et ravage.
Cybèle et le chœur des divinités des bois et des eaux
Quelle douleur !
Cybèle et le chœur des corybantes
Ah ! quelle rage !
Cybèle et les chœurs
Ah ! quel malheur !
Les divinités des bois et des eaux, avec les Corybantes, honorent le nouvel arbre, et le consacrent à Cybèle. Les regrets des divinités des bois et des eaux, et les cris des Corybantes, sont secondés et terminés par des tremblements de terre, par des éclairs, et par des éclats de tonnerre.
Cybèle et le chœur des divinités des bois et des eaux
Que le malheur d’Atys afflige tout le monde.
Cybèle et le chœur des Corybantes
Que tout sente, ici bas,
L’horreur d’un si cruel trépas.
Cybèle et le chœur des divinités des bois et des eaux
Pénétrons tous les cœurs d’une douleur profonde :
Que les bois, que les eaux, perdent tous leurs appas.
Cybèle et le chœur des Corybantes
Que le tonnerre nous réponde :
Que la terre frémisse, et tremble sous nos pas.
Cybèle et le chœur des divinités des bois et des eaux
Que le malheur d’Atys afflige tout le monde.
Tous ensemble
Que tout sente, ici bas,
L’horreur d’un si cruel trépas.
FIN.