ISIS

PROLOGUE

Le Theatre represente le Palais de la Renommée. Il est ouvert de tous costez pour recevoir les nouvelles de ce qui se fait de conséderable sur la Terre, & de ce qui se passe de memorable sur la Mer, que l’on découvre dans l’enfoncement. La Divinité qui préside dans ce Palais y paroist accompagnée de sa Suite ordinaire : Les Rumeurs & les Bruits qui portent comme elle chacun une Trompette à la main, y viennent en foule de divers endroits du monde.

SCENE PREMIERE

La Renommée, Suite de la Renommée, les Rumeurs, et les Bruits.
Chœur de la Suite de la Renommée, des Rumeurs, & des Bruits.
Publions en tous lieux
Du plus grand des Heros la valeur triomphante,
Que la Terre, & les Cieux
Retentissent du bruit de sa gloire éclatante.
La Renommée
C’est luy dont les Dieux ont fait choix
Pour combler le bon-heur de l’Empire François ;
En vain, pour le troubler, tout s’unit, tout conspire,
C’est en vain que l’Envie a ligué tant de Rois,
Heureux l’Empire
Qui suit ses Loix !
Le Chœur
Heureux l’Empire
Qui suit ses Loix !
La Renommée
Il faut que par tout on l’admire,
Parlons de ses Vertus, racontons ses Exploits,
A peine y pourrons-nous suffire
Avec toutes nos voix.
La Renommée et le chœur
Heureux l’Empire
Qui suit ses Loix !
Il faut le dire
Cent & cent fois.
Heureux l’Empire
Qui suit ses Loix !

SCENE SECONDE

Deux Tritons chantants, Trouppe de Dieux Marins joüant des instruments et daçants. Neptune, la Renommée, Chœur de la Suite de la Renommée.
Deux Tritons chantants
C’est le Dieu des Eaux qui va paraistre,
Rangeons-nous prés de nostre Maistre :
Enchaînons les Vents
Les plus terribles,
Que le bruit des Flots céde à nos Chants ;
Regnez, Zephirs paisibles,
Ramenez le doux Printemps.
Fuyez loin d’icy, cruels orages,
Rien ne doit troubler ces Rivages.
Enchaînons les Vents
Les plus terribles, &c.
Neptune parlant à la Renommée
Mon Empire a servy de Theatre à la Guerre ;
Publiez des Exploits nouveaux :
C’est le mesme Vainqueur si fameux sur la Terre
Qui triomphe encor sur les Eaux.
Neptune et la Renommée
Celebrez
Celebrons
son grand Nom sur la Terre & sur l’Onde.
Qu’il ne soit pas borné par les plus vastes Mers :
Qu’il vole jusqu’au bout du Monde,
Qu’il dure autant que l’Univers.
Le Chœur repete ces quatre derniers Vers.
Celebrons son grand Nom sur la Terre & sur l’Onde, &c.

SCENE TROISIESME

Les neuf Muses, les Arts Libéraux, Apollon, Neptune, Suite de Neptune, la Renommée, Suite de la Renommée
Calliope
Cessez pour quelque temps, bruit terrible des Armes,
Qui troublez le repos de cent Climats divers ;
Calliope, Clio, Melpomene, Thalie, & Vranie
Ne troublez pas les charmes
De nos divins Concerts.
Erato, Euterpe, Terpsichore, & Polymnie, forment un Concert d’Instruments.
Melpomene
Recommençons nos Chants, allons les faire entendre
Dans une Auguste Cour.
Thalie et Calliope
La Paix, la douce Paix n’ose encore descendre
Du celeste Séjour ;
Calliope, Clio, Melpomene, Thalie, & Vranie
Prés du Vainqueur, allons attendre
Son bien-heureux retour.
Les Arts accompagnent Apollon, & se réjoüissent du bon-heur que ce Dieu qui les conduit, leur fait esperer.
Apollon parlant à la Renommée
Ne parlez pas toujours de la Guerre cruelle,
Parlons des Plaisirs, & des Jeux.
Les Muses, & les Arts vont signaler leur zele,
Je vais favoriser leurs vœux ;
Nous preparons une Feste nouvelle,
Pour le Heros qui les appelle,
Dans cet Azile heureux.
Ne parlez pas toujours de la Guerre cruelle,
Parlons des Plaisirs, & des Jeux.
La Renommée, Neptune, Apollon, les Muses, & Chœur
Ne parlons pas toujours de la Guerre cruelle,
Parlons des Plaisirs, & des Jeux.
La Renommée, Neptune, Apollon, les Muses, les Tritons, & le Chœur de la Suite de la Renommée
Hastez-vous, Plaisirs, hastez-vous,
Hastez-vous de montrer vos charmes les plus doux.
La Renommée
Il n’est pas encor temps de croire
Que les paisibles Jeux ne seront plus troublez ;
Rien ne plaist au Heros qui les a rassemblez
A l’égal des Exploits d’éternelle mémoire.
Ennemis de la Paix, tremblez ;
Vous le verrez bien-tost courir à la Victoire,
Vos efforts redoublez
Ne serviront qu’à redoubler sa gloire.
La Renommée, Neptune, Apollon, les Muses, les Tritons, & le Chœur de la Suite de la Renommée
Hastez-vous, Plaisirs, hastez-vous,
Hastez-vous de montrer vos charmes les plus doux.
Dans le temps que le Chœur chante, & que les Instruments joüent, la Suite de Neptune dance avec celle d’Apollon, & toutes ces Divinitez vont ensemble prendre part à la nouvelle Feste que le Dieux du Parnasse a préparée avec les Muses, & les arts.
Fin du Prologue
 

ACTE PREMIER

Le Theatre represente des Prairies agreables, où le Fleuve Inachus serpente.

SCENE PREMIERE

Hierax
Cessons d’aimer une Infidelle,
Evitons la honte cruelle
De servir, d’adorer qui ne nous aime plus,
Achevons de briser les nœuds qu’elle a rompus :
Dégageons-nous, sortons d’un si funeste empire.
Helas ! malgré moy je soupire,
Ah, mon Cœur, quelle lacheté !
Quel charme te retient dans un honteux martire ?
Tu n’as pas craint des fers qui nous ont tant cousté,
As-tu peur de la Liberté ?
Revenez, Liberté charmante,
Vous n’estes que trop diligente,
Lors qu’il faut dans un Cœur faire place à l’Amour,
Mais que vous estes lente,
Lors qu’un juste Dépit presse vostre retour.

SCENE SECONDE

Pirante, Hierax
Pirante
C’est trop entretenir ces tristes resveries ;
Venez, tournez vos pas vers ces Rives fleuries ;
Regardez ces flots argentez,
Qui dans ces Vallons écartez,
Font briller l’émail des Prairies.
Interrompez vos soûpirs,
Tout doit estre icy tranquile ;
Ce beau séjour est l’Azile
Du Repos, & des Plaisirs.
Hierax
Depuis qu’une Nimphe inconstante
A trahy mon amour, & m’a manqué de foy :
Ces lieux, jadis si beaux, n’ont plus rien qui m’enchante,
Ce que j’aime a changé, tout est changé pour moy.
Pirante
La Fille d’Inachus hautement vous prefere
A mille autres Amants de vostre sort jaloux ;
Vous avez l’aveu de son Pere,
En faveur d’Argus, vostre Frere,
La puissante Junon se declare pour vous.
Hierax
Si l’Ingrate m’aimoit, je serois son Espoux.
Cette Nymphe legere
De jour en jour differe
Un Hymen qu’autrefois elle avoit crû si doux.
L’inconstante n’a plus l’empressement extréme
De cét Amour naissant qui répondoit au mien,
Son changement paroist en dépit d’elle-mesme,
Je ne le connois que trop bien ;
Sa bouche quelquefois dit encor qu’elle m’aime,
Mais son cœur, ny ses yeux ne m’en disent plus rien.
Pirante
Se peut-il qu’elle dissimule ?
Aprés tant de serments, ne la croyez-vous pas ?
Hierax
Je ne le crûs que trop, helas ?
Ces serments qui trompoient mon cœur tendre & credule.
Ce fut dans ces Vallons, où par mille détours
Inachus prend plaisir à prolonger son cours ;
Ce fut sur son charmant rivage,
Que la Fille volage
Me promit de m’aimer toûjours.
Le Zephir fut témoin, l’Onde fut attentive,
Quand la Nymphe jura de ne changer jamais ;
Mais le Zephir leger, & l’Onde fugitive,
Ont enfin emporté les serments qu’elle a faits.
Je la voy l’Infidelle.
Pirante
Eclaircissez-vous avec elle.

SCENE TROISIESME

La Nymphe Io, Mycene, Hierax, Pirante.
Io
M’aimez-vous ? puis-je m’en flater ?
Hierax
Cruelle, en voulez-vous douter ?
En vain vostre inconstance éclate,
En vain elle m’anime à briser tous les nœuds,
Je vous aime toûjours, Ingrate,
Plus que vous ne voulez ; & plus que je ne veux.
Io
Je crains un funeste présage.
Un aigle dévorant vient de fondre à mes yeux,
Sur un Oyseau qui dans ces lieux,
M’entretenoit d’un doux ramage.
Differez nostre Hymen, suivons l’avis des Cieux.
Hierax
Nostre Hymen ne déplaist qu’à vostre cœur volage,
Répondez-moy de vous, je vous répons des Dieux.
Vous juriez autrefois que cette Onde rebelle,
Se feroit vers sa source une route nouvelle,
Plûtost qu’on ne verroit vostre Cœur dégagé :
Voyez couler ces flots dans cette vaste Plaine,
C’est le mesme penchant qui toûjours les entraîne,
Leur cours ne change point, & vous avez changé.
Io
Laissez-moy revenir de mes frayeurs secretes ;
J’attens de vostre amour cét effort genereux.
Hierax
Je veux ce qui vous plaist, Cruelle que vous estes,
Vous n’abusez que trop d’un amour mal-heureux.
Io
Non, je vous aime encor.
Hierax
Non, je vous aime encor.Qu’elle froideur extréme !
Inconstante, est-ce ainsi qu’on doit dire qu’on aime ?
Io
C’est à tord que vous m’accusez,
Vous avez veu toûjours vos Rivaux méprisez.
Hierax
Le mal de mes Rivaux n’égale point ma peine,
La douce illusion d’une esperance vaine
Ne les fait point tomber du faiste du bon-heur,
Aucun d’eux, comme moy, n’a perdu vostre Cœur,
Comme eux, à vostre humeur severe,
Je ne suis point accoûtumé :
Quel tourment de cesser de plaire,
Lors qu’on a fait l’effay du plaisir d’estre aimé !
Je ne le sens que trop, vostre Cœur se détache,
Et je ne sçay qui me l’arrache.
Je cherche en vain l’heureux Amant
Qui me dérobe un bien charmant,
Où j’ay crû devoir seul pretendre ;
Je sentirois moins mon tourment
Si je trouvois à qui m’en prendre.
Vous fuyez mes regards, vous ne me dîtes rien.
Il faut vous délivrer d’un fâcheux entretien,
Ma presence vous blesse, & c’est trop vous contraindre.
Io
Jaloux, sombre ; & chagrin, partout où je vous voy,
Vous ne cessez point de vous plaindre ;
Je voudrois vous aimer autant que je le doy,
Et vous me forcez à vous craindre.
Io & Hierax
Non, il ne tient qu’à vous
De rendre nostre sort plus doux.
Io
Non, il ne tient qu’à vous
De rendre
Mon cœur plus tendre.
Hierax
Non, il ne tient qu’à vous
De rendre mon cœur moins jaloux.
Io & Hierax
Non, il ne tient qu’à vous
De rendre nostre sort plus doux.

SCENE QUATRIESME

Io, Mycene.
Mycene
Ce Prince trop long-temps dans ses chagrins s’obstine.
On pardonne au premier transport
D’un Amour qui se plaint à tort,
Et qui sans raison se mutine ;
Mais à la fin
On se chagrine,
Contre un Amour chagrin.
Io
Je veux bien te parler enfin sans artifice,
Ce Prince infortuné s’allarme avec Justice,
Le Maistre souverain de la Terre & des Cieux
Entreprend de plaire à mes yeux,
Du cœur de Jupiter l’Amour m’offre l’Empire ;
Mercure est venu me le dire :
Je le voy chaque jour descendre dans ces lieux.
Mon cœur, autant qu’il peut, fait toûjours resistance,
Et pour attaquer ma constance,
Il ne falloit pas moins que le plus grand des Dieux.
Mycene
On écoute aisément Jupiter qui soûpire,
C’est un Amant qu’on n’ose mépriser ;
Et du plus grand des Cœurs le glorieux Empire
Est difficile à refuser.
Io
Lors qu’on me presse de me rendre
Aux attraits d’un Amour nouveau ;
Plus le charme est puissant, & plus il seroit beau
De pouvoir m’en deffendre.
Quoy, tu veux me quitter. d’où vient ce soin pressant ?
Mycene
C’est pour vous seule, icy, que Mercure descend.

SCENE CINQUIESME

Mercure, Io, chœur des Divinitez de la Terre, et chœur des Echos.
Mercure sur un Nüage
Le Dieu puissant qui lance le Tonnerre,
Et qui des Cieux tient le Sceptre en ses mains,
A resolu de venir sur la Terre
Chasser les maux qui troûblent les Humains.
Que la Terre avec soin à cét honneur réponde,
Echos, retentissez dans ces lieux pleins d’appas ;
Annoncez qu’aujourd’huy pour le bon-heur du Monde,
Jupiter descend icy bas.
Les Chœurs repetent ces quatre derniers Vers dans le temps que Mercure descend sur la Terre.
Mercure parlant à Io
C’est ainsi que Mercure
Pour abuser les Dieux jaloux
Doit parler hautement à toute la Nature,
Mais il doit s’expliquer autrement avec vous.
C’est pour vous voir, c’est pour vous plaire,
Que Jupiter descend du celeste Séjour ;
Et les biens qu’icy-bas sa presence va faire,
Ne seront dus qu’à son amour.
Io
Pourquoy du haut des Cieux, ce Dieu veut-il descendre ?
Mes vœux sont engagés, mon cœur a fait un choix,
L’Amour tost ou tard doit pretendre,
Que tous les Cœurs se rangent sous ses Loix :
C’est un hommage qu’il faut rendre,
Mais c’est assés de le rendre une fois.
Mercure
Ce seroit en aimant une contrainte étrange,
Qu’un Cœur pour mieux choisir n’osast se dégager :
Quand c’est pour Jupiter qu’on change,
Il n’est pas honteux de changer.
Que tout l’Univers se pare
De ce qu’il a de plus rare,
Que tout brille dans ces lieux.
Que la Terre partage
L’éclat & la gloire des Cieux ;
Que tout rende hommage
Au plus grand des Dieux.

SCENE SIXIESME

Les divinitez de la Terre, des Eaux, & des Richesses soûterraines, viennent magnifiquement parées pour recevoir Jupiter, & pour luy rendre hommage.
Chœur des Divinitez
Que la Terre partage
L’éclat & la gloire des Cieux ;
Que tout rende hommage
Au plus grand des Dieux.
Vingt-quatre Divinitez chantantes
Huit Divinitez de la Terre. Huit Divinitez des Eaux. Huit Divinitez des Richesses soûterraines.
Douze Divinitez dançantes
Quatre Divinitez de la Terre. Quatre Divinitez des Eaux. Quatre Divinitez des Richesses soûterraines.
Jupiter descendant de Ciel
Les armes que je tiens protegent l’Innocence,
L’effort n’en est fatal qu’à l’orgueil des Titans.
Vous qui suivez mes Loix, vivez sous ma puissance,
Toûjours heureux, toûjours contents.
Jupiter vient sur la Terre,
Pour la combler de bien-faits,
Il est armé du Tonnere,
Mais c’est pour donner la paix.
Le Chœur des Divinitez repete ces quatre derniers Vers dans le temps que Jupiter descend.
Fin du premier Acte
 

ACTE SECOND

Le Theatre devient obscurcy par des Nuages épais qui l’environnent de tous costez.

SCENE PREMIERE

Io
Où suis-je, d’où vient ce Nuage !
Les Ondes de mon Pere, & son charmant Rivage,
Ont disparu tout à coup à mes yeux !
Où puis-je trouvez un passage ?
La jalouse Reine des Cieux
Me fait-elle si tost acheter l’avantage
De plaire au plus puissant des Dieux ?
Que vois-je ! quel éclat se répand dans ces lieux ?
Jupiter paroist, & les Nuages qui obscurcissent le Theatre sont illuminez & peints de couleurs les plus brillantes & les plus agreables.

SCENE SECONDE

Jupiter, Io.
Jupiter
Vous voyez Jupiter, que rien ne vous étonne.
C’est pour tromper Junon & ses regards jaloux
Qu’un nuage vous environne,
Belle Nymphe r’assurez-vous.
Je vous aime, & pour vous le dire
Je sors avec plaisir de mon suprême Empire.
La foudre est dans mes mains, les Dieux me font la cour,
Je tiens tout l’Univers sous mon obeïssance ;
Mais si je pretens en ce jour
Engager vostre cœur à m’aimer à son tour,
Je fonde moins mon esperance
Sur la grandeur de ma puissance,
Que sur l’excés de mon amour.
Io
Que sert-il qu’icy-bas vostre amour me choisisse ?
L’honneur m’en vient trop tard, j’ay formé d’autres nœuds :
Il falloit que ce bien pour combler tous mes vœux,
Ne me coûtast point d’injustice,
Et ne fit point de mal-heureux.
Jupiter
C’est une assez grande gloire
Pour vostre premier Vainqueur,
D’estre encor dans vostre memoire,
Et de me disputer si long-temps vostre Cœur.
Io
La Gloire doit forcer mon cœur à se défendre.
Si vous sortez du Ciel pour chercher les douceurs
D’une amour tendre,
Vous pourrez aisément attaquer d’autres Cœurs,
Qui feront gloire de se rendre.
Jupiter
Il n’est rien dans les Cieux, il n’est rien icy-bas,
De si charmant que vos appas ;
Rien ne peut me toucher d’une flame si forte ;
Belle Nymphe vous l’emportez
Sur les autres Beautez,
Autant que Jupiter l’emporte
Sur les autres Divinitez.
Verrez-vous tant d’amour avec indifference ?
Quel trouble vous saisit ? où tournez-vous vos pas ?
Io
Mon Cœur en vostre presence
Fait trop peu de resistance ;
Contentez-vous, helas !
D’étonner ma constance,
Et n’en triomphez pas.
Jupiter
Et pourquoy craignez-vous Jupiter qui vous aime ?
Io
Je crains tout, je me crains moy-mesme.
Jupiter
Quoy, voulez-vous me fuïr ?
Io
Quoy, voulez-vous me fuïr ?C’est mon dernier espoir.
Jupiter
Ecoutez mon amour.
Io
Ecoutez mon amour.Ecoutez mon Devoir.
Jupiter
Vous avez un cœur libre, & qui peut se défendre.
Io
Non, vous ne laissez pas mon cœur en mon pouvoir.
Jupiter
Quoy, vous ne voulez pas m’entendre ?
Io
Je n’ay que trop de peine à ne le pas vouloir.
Laissez-moy.
Jupiter
Laissez-moy.Quoy, si tost ?
Io
Je devois moins attendre ;
Que ne fuyois-je, helas ! avant que de vous voir !
Jupiter
L’Amour pour moy vous sollicite,
Et je voy que vous me quittez.
Io
Le Devoir veut que je vous quitte,
Et je sens que vous m’arrestez.

SCENE TROISIESME

Mercure, Jupiter, Io.
Mercure
Iris est icy-bas, & Junon elle-mesme,
Pourroit vous suivre dans ces lieux.
Jupiter
Pour la Nymphe que j’aime,
Je crains ses transports furieux.
Mercure
Sa vengeance seroit funeste
Si vostre amour estoit surpris.
Jupiter
Va, prens soin d’arrester Iris,
Mon amour prendra soin du reste.
Io tâche à fuïr Jupiter qui la suit.

SCENE QUATRIESME

Mercure, Iris.
Mercure
Arrestez, belle Iris, différez un moment
D’accomplir en ces lieux ce que Junon desire.
Iris
Vous m’arresterez vainement,
Et vous n’aurez rien à me dire.
Mercure
Mais, si je vous disois que je veux vous choisir
Pour attacher mon cœur d’une éternelle chaîne ?
Iris
Je vous écouterois peut-estre avec plaisir,
Mais je vous croirois avec peine.
Mercure
Refusez-vous d’unir vostre cœur & le mien ?
Iris
Jupiter & Junon nous occupent sans cesse,
Nos soins sont assez grands sans que l’Amour nous blesse,
Nous n’avons pas tous deux le loisir d’aimer bien.
Mercure
Si je fais ma premiere affaire,
De vous voir, & de vous plaire ?
Iris
Je feray mon premier devoir
De vous plaire, & de vous voir.
Mercure
Un cœur fidelle
A pour moy de charmants appas :
Vous avez mille attraits, vous n’estes que trop belle,
Mais je crains que vous n’ayez pas
Un Cœur fidelle.
Iris
Pourquoy craignez-vous tant
Que mon cœur se dégage ?
Je vous permets d’estre inconstant,
Si-tost que je seray volage.
Mercure, & Iris
Promettez-moy de constantes amours ;
Je vous promets de vous aimer toûjours.
Mercure
Que la feinte entre nous finisse ;
Iris
Parlons sans mystere en ce jour.
Mercure, & Iris
Le moindre artifice
Offense l’Amour.
Iris
Quel soin presse icy-bas Jupiter de descendre ?
Mercure
Le seul bien des Mortels luy fait quitter les Cieux.
Mais quel soupçon nouveau Junon peut-elle prendre ?
Ne suivroit-elle point Jupiter en ces lieux ?
Iris
Dans les Jardins d’Hébé Junon vient de se rendre.
Junon paroist au milieu d’un Nuage qui s’avance.
Mercure
Un Nuage entr’ouvert la découvre à mes yeux.
Iris parle ainsi sans mystere ?
C’est ainsi que je puis me fier à sa foy ?
Iris
Ne me reprochez-pas que je suis peu sincere,
Vous ne l’estes pas plus que moy.
Mercure, & Iris
Gardez pour quelqu’autre
Vostre amour trompeur ;
Je reprens mon cœur,
Reprenez le vostre.
Le Nuage s’approche de Terre, & Junon descend.

SCENE CINQUIESME

Junon, Iris.
Iris
J’ay cherché vainement la Fille d’Inachus.
Junon
Ah, je n’ay pas besoin d’en sçavoir davantage,
Non, Iris, ne la cherchons plus.
Jupiter, dans ces lieux, m’a donné de l’ombrage,
J’ay traversé les Airs, j’ay percé le Nuage
Qu’il opposoit à mes regards :
Mais en vain j’ay tourné les yeux de toutes parts,
Ce Dieu par son pouvoir suprême
M’a caché la Nymphe qu’il aime,
Et ne m’a laissé voir que des Troupeaux épars,
Non, non, je ne suis point une incredule Epouse
Qu’on puisse tromper aisément,
Voyons qui feindra mieux de Jupiter Amant,
Ou de Junon jalouse.
Il est maistre des Cieux, la Terre suit sa loy,
Sous sa toute-puissance il faut que tout fléchisse,
Mais puisqu’il ne pretend s’armer que d’artifice,
Tout Jupiter qu’il est, il est moins fort que moy.
Dans ces lieux écartez, voy que la Terre est belle.
Iris
Elle honore son Maistre, & brille sous ses pas.
Junon
L’Amour, cét Amour infidelle,
Qui du plus haut des Cieux l’appelle,
Fait que tout luy rit icy-bas.
Prés d’une Maistresse nouvelle
Dans le fond des Deserts on trouve des appas,
Et le Ciel mesme ne plaist pas
Avec une Epouse immortelle.

SCENE SIXIESME

Jupiter, Junon, Mercure, Iris.
Jupiter
Dans les Jardins d’Hébé vous deviez en ce jour
D’une nouvelle Nymphe augmenter vostre Cour ;
Quel dessein si pressant dans ces lieux vous ameine ?
Junon
Je ne vous suivray pas plus loin.
Je viens de vostre amour attendre un nouveau soin :
Ne vous étonnez pas qu’on vous quitte avec peine,
Et que de Jupiter on ait toûjours besoin.
Vous m’aimez, & j’en suis certaine.
Jupiter
Souhaitez, je promets
Que vos vœux seront satisfaits.
Junon
J’ay fait choix d’une Nymphe, & déja la Déesse,
De l’aimable Jeunesse
Se prepare à la recevoir ;
Mais je n’ose sans vous disposer de personne
Si j’ay quelque pouvoir,
Je n’en pretens avoir
Qu’autant que vostre amour d’en donne.
Ce don de vostre main me sera precieux.
Jupiter
J’approuve vos desirs, que rien n’y soit contraire.
Mercure, ayez soin de luy plaire,
Et portez à son gré mes ordres en tous lieux.
Que tout suive les loix de la Reine des Cieux.
Mercure, & Iris
Que tout suive les loix de la Reine des Cieux.
Jupiter
Parlez, que vostre choix hautement se declare.
Junon
La Nymphe qui me plaist ne vous déplaira pas.
Vous ne verrez point icy bas
De merite plus grand, ny de Beauté plus rare :
Les honneurs que je luy prepare
Ne luy sont que trop dûs ;
Enfin, Junon choisit la fille d’Inachus.
Jupiter
La fille d’Inachus !
Junon
La fille d’Inachus !Declarez-vous pour elle.
Peut-on voir à ma suite une Nymphe plus belle,
Plus capable d’orner ma Cour,
Et de marquer pour moy le soin de vostre amour ?
Vous me l’avez promise, & je vous la demande.
Jupiter
Vous ne sçauriez combler d’une gloire trop grande
La Nymphe que vous choisissez,
Junon commande,
Allez, Mercure, obeïssez.
Iris
Junon commande,
Allez, Mercure, obeïssez.

SCENE VII

Le Theatre change, & represente les Jardins d’Hebé, Déesse de la Jeunesse.
Hebé, Troupe des Jeux et de Plaisirs. Troupe de Nymphes de la Suite de Junon.
Hebé, Déesse de la Jeunesse. Six Nymphes de Junon suivantes. Vingt-quatre Jeux & Plaisirs chantants. Neuf Jeux & Plaisirs dançants.
Des Jeux & des Plaisirs s’avancent en dançant devant la Déesse Hebé.
Hebé
Les Plaisirs les plus doux
Sont faits pour la Jeunesse.
Venez Jeux charmants, venez-tous ;
Gardez-vous bien d’amener avec vous
La severe Sagesse :
Les plaisirs les plus doux
Sont faits pour la Jeunesse.
Fuyez, fuyez, sombre Tristesse,
Noirs chagrins, fuyez loin de nous,
Vous estes destinez pour l’affreuse veillesse !
Les plaisirs les plus doux
Sont faits pour la Jeunesse.
Le Chœur repete ces deux derniers Vers.
Les Jeux, les Plaisirs, & les Nymphes de Junon se divertissent par des Dances & par des Chansons, en attendant la nouvelle Nymphe dont Junon veut faire choix.
Deux Nymphes chantent ensemble
Aymez, profitez du temps,
Jeunesse charmante,
Rendez vos desirs contents.
Tout rit, tout enchante
Dans les plus beaux ans.
L’Amour vous éclaire,
Marchez sur ses pas ;
Cherchez à vous faire
Des nœuds pleins d’appas,
Que vous sert de plaire,
Si vous n’aimez pas ?
 
Pourquoy craignez-vous d’aimer,
Beautez inhumaines,
Cessez de vous allarmer ;
L’Amour a des peines,
Qui doivent charmer.
Ce Dieu vous éclaire,
Marchez sur ses pas.
Cherchez à vous faire
Des nœuds pleins d’appas,
Que vous sert de plaire,
Si vous n’aimez pas ?
Chœur
Que ces Lieux ont d’attraits,
Goûtons-en bien les charmes ;
L’Amour n’y fait jamais
Verser de tristes larmes,
Les soins, & les allarmes,
N’en troublent point la paix,
Joüissons dans ces Retraites,
Des douceurs les plus parfaites,
Suivez-nous charmants Plaisirs,
Comblez tous nos desirs.
 
Voyons couler ces Eaux
Dans ces riants Boccages ;
Chantez petits Oyseaux,
Chantez sur ces feuillages ;
Joignez vos doux ramages
A nos Concerts nouveaux.
Joüissons dans ces Retraites,
Des douceurs les plus parfaites,
Suivez-nous charmants Plaisirs,
Comblez tous nos desirs.

SCENE VIII

Io, Mercure, Iris, Hebé, les Jeux, les Plaisirs, Trouppe de Nymphes de la Suite de Junon.
Mercure, & Iris conduisant Io
Servez, Nymphe, servez, avec un soin fidelle,
La puissante Reine des Cieux :
Suivez dans ces aimables lieux,
La Jeunesse immortelle ;
Tout plaist, & tout rit avec elle.
Hebé, & les Nymphes reçoivent Io.
Hebé, & le Chœur des Nymphes
Que c’est un plaisir charmant
D’estre jeune & belle !
Triomphez à tout moment,
D’une Conqueste nouvelle :
Que c’est un plaisir charmant
D’estre jeune & belle.
Fin du second Acte
 

ACTE III

Le Theatre change, & represente la Solitude où Argus fait sa demeure prés d’un Lac, & au milieu d’une Forests.

SCENE PREMIERE

Argus, Io.
Argus
Dans ce Solitaire Séjour
Vous estes sous ma garde, & Junon vous y laisse :
Mes yeux veilleront tour à tour,
Et vous observeront sans cesse.
Io
Est-ce là le bon-heur que Junon m’a promis ?
Argus apprenez-moy quel crime j’ay commis.
Argus
Vous estes aimable,
Vos yeux devoient moins charmer ;
Vous estes coupable
De vous faire trop aimer.
Io
Ne me déguisez rien, de quoy m’accuse-t’elle ?
Quelle offense à ses yeux me rend si criminelle ?
Ne pouray-je appaiser son funeste couroux ?
Argus
C’est une offense cruelle
De paroistre belle
A des yeux jaloux.
L’Amour de Jupiter a trop paru pour vous.
Io
Je suis perduë, ô Ciel ! si Junon est jalouse.
Argus
On ne plaist guere à l’Epouse,
Lors qu’on plaist tant à l’Epoux.
Vous n’en serez pas mieux d’estre ingrate & volage.
Vous quittez un fidelle Amant
Pour recevoir un plus brillant hommage ;
Mais c’est un avantage
Que vous payerez cherement.
Vous n’en serez pas mieux d’estre ingrate & volage.
J’ay l’ordre d’enfermer vos dangereux appas,
La Déesse défend que vous voyez personne.
Io
Aux rigueurs de Junon Jupiter m’abandonne ;
Non, Jupiter ne m’aime pas.
Argus enferme Io.

SCENE SECONDE

Hierax, Argus.
Hierax voyant Io qui entre dans la Demeure d’Argus
La Perfide craint ma presence,
Elle me fuit en vain, & j’iray la chercher…
Argus arrestant Hierax
Non.
Hierax
Non.Laissez-moy luy reprocher
Sa cruelle inconstance.
Argus
Non, on ne la doit point voir.
Hierax
Quoy, Junon me devient contraire ?
Argus
L’ordre est exprés pour tous, perdez un vain espoir.
Hierax
L’amitié fraternelle a si peu de pouvoir.
Argus
Non, je ne connois plus ny d’Amy, ny de Frere,
Je ne connois que mon devoir.
Laissez la Nymphe en paix, ce n’est plus vous qu’elle aime.
Hierax
Quel est l’heureux Amant qui s’en est fait aimer.
Nommez-le-moy.
Argus
Nommez-le-moy.Tremblez à l’entendre nommer,
C’est un Dieu tout-puissant, c’est Jupiter luy-mesme.
Hierax
O Dieux !
Argus
O Dieux !Dégagez-vous d’un amour si fatal,
Sans balancer, il faut vous y resoudre,
C’est un redoutable Rival
Qu’un Amant qui lance la foudre.
Hierax
Dieux tout-puissants ! ah, vous estiez jaloux
De la felicité que vous m’avez ravie,
Dieux tout-puissants ! ah, vous estiez jaloux
De me voir plus heureux que vous.
Vous n’avez pû souffrir le bon-heur de ma vie,
Et je voyois vos grandeurs sans envie,
J’aimois, j’estois aimé, mon sort estoit trop doux ;
Dieux tout-puissants ! ah, vous estiez jaloux
De la felicité que vous m’avez ravie,
Dieux tout-puissants ! ah, vous estiez jaloux
De me voir plus heureux que vous.
Argus
Heureux qui peut briser sa chaîne !
Finissez une plainte vaine,
Meprisez l’infidelité,
Un Cœur ingrat vaut-il la peine
D’estre tant regretté.
Heureux qui peut briser sa chaîne.
Hierax & Argus
Heureux qui peut briser sa chaîne.
Argus
Liberté, liberté.

SCENE TROISIESME

Argus, Hierax, une Nymphe qui represente Syrinx. Troupe de Nymphes en habit de chasse.
La Nypmhe Syrinx. Huit Nymphes Compagnes de Syrinx chantantes. Quatre autres Nymphes chantantes. Six Nymphes Compagnes de Syrinx dançantes.
Syrinx, Chœur de Nymphes
Liberté, liberté.
Une partie des Nymphes dancent dans le temps que les autres chantent.
Argus, & Hierax
Quelles Dances, quels chants, & quelle nouveauté.
Syrinx & les Nymphes
S’il est quelque bien au monde,
C’est la liberté.
Argus, & Hierax
Que voulez-vous ?
Chœur de Nymphes
Liberté, liberté.
Argus, & Hierax
Que voulez-vous ? il faut qu’on nous réponde.
Syrinx & les Nymphes
S’il est quelque bien au monde,
C’est la liberté.

SCENE IV

Argus, Hierax, Syrinx, Troupe de Nymphes, Mercure deguisé en Berger, Troupe de Bergers, Toupe de Satyres, Troupe de Sylvains.
Mercure, Chœur des Nymphes, de Bergers, & de Sylvains
Liberté, liberté.
Mercure déguisé en Berger parlant à Argus
De la Nymphe Syrinx Pan cherit la memoire,
Il en regrette encor la perte chaque jour,
Pour celebrer une feste à sa gloire,
Ce Dieu luy-mesme assemble icy sa Cour :
Il veut que du mal-heur de son fidelle Amour
Un spectacle touchant represente l’histoire.
Argus
C’est un plaisir pour nous ; poursuivez, j’y consens,
Je ne m’oppose point à des Jeux innocens.
Argus va prendre place sur un siege de gazon proche de l’endroit où Io est enfermée, & fait placer Hierax de l’autre costé.
Mercure parlant à part à toute la Troupe qu’il conduit
Il donne dans le piege ; achevez sans remise,
Achevez de surprendre Argus, & tous ses yeux :
Si vous tentez une grande entreprise,
Mercure vous conduit, l’Amour vous favorise,
Et vous servez le plus puissant des Dieux.
Mercure, les Bergers, les Satyres, & les Sylvains r’entrent derriere le Theatre.

SCENE CINQUIESME

Argus, Hierax, Syrinx, Troupe de Nymphes.
Syrinx, & le Chœur des Nymphes
Liberté, liberté.
S’il est quelque bien au monde,
C’est la liberté.
Liberté, liberté.
Syrinx
L’Empire de l’Amour n’est pas moins agité
Que l’Empire de l’Onde ;
Ne cherchons point d’autre felicité
Qu’un doux loisir dans une paix profonde.
Syrinx, & le Chœur
S’il est quelque bien au monde,
C’est la liberté.
Liberté, liberté.
Dans le temps qu’une partie des Nymphes chante, le reste de la Troupe dance.

SCENE SIXIESME

Un des Sylvains representant le Dieu Pan. Troupe de Bergers, Troupe de Satyrs, Troupe de Sylvains, Syrinx, Troupe de Nymphes. Argus & Hierax.
Des Bergers & des Sylvains dançants & chantants viennent offrir des Presens de fruits & de Fleurs à la Nymphe Syrinx, & tâchent de luy persuader de n’aller point à la Chasse, & de s’engager sous les loix de l’Amour.
Douze Satyres chantants, & portans des Presents à Syrinx. Quatre Satyrs joüants de la Flûte. Douze Bergers portants des Presents à Syrinx. Quatre Bergers joüants de la Flûte. Quatre Sylvains dançants. Quatre Bergers heroïques dançants. Deux Bergers chantants.
[Deux Bergers]
Quel bien devez-vous attendre,
Beauté qui chassez dans ces Bois ?
Que pouvez-vous prendre
Qui vaille un Cœur tendre
Soûmis à vos Loix ?
Ce n’est qu’en aimant
Qu’on trouve un sort charmant,
Aimez, enfin, à vostre tour,
Il faut que tout cede à l’Amour :
Il sçait fraper d’un coup certain
Le Cerf leger qui fuit en vain ;
Jusques dans les Antres secrets,
Au fond des Forests,
Tout doit sentir ses traits.
 
Lors que l’Amour vous appelle,
Pourquoy fuyez-vous ses plaisirs ?
La Roze nouvelle
N’en est que plus belle
D’aimer les Zephirs.
Ce n’est qu’en aimant
Qu’on trouve un sort charmant,
Aimez, enfin, à vostre tour,
Il faut que tout cede à l’Amour :
Il sçait fraper d’un coup certain
Le Cerf leger qui fuit en vain ;
Jusques dans les Antres secrets,
Au fond des Forests,
Tout doit sentir ses traits.
Pan
Je vous aime, Nymphe charmante,
Un Amant immortel cherche à plaire à vos yeux.
Syrinx
Pan est un Dieu puissant, je revere les Dieux,
Mais le nom d’Amant m’épouvante.
Pan
Pour vous faire trouver le nom d’Amant plus doux,
J’y joindray le titre d’Epoux.
Je n’auray pas de peine
A m’engager
Dans une aimable chaîne,
Je n’auray pas de peine
A m’engager
Pour ne jamais changer.
Aimez un Dieu qui vous adore,
Unissons-nous d’un nœud charmant.
Syrinx
Un Epoux doit estre encore
Plus à craindre qu’un Amant.
Pan
Dissipez de vaines allarmes,
Eprouvez l’Amour & ses charmes,
Connoissez ses plus doux appas :
Non, ce ne peut estre
Que faute de le connoistre
Qu’il ne vous plaist pas.
Syrinx
Les maux d’autruy me rendront sage.
Ah ! quel mal-heur
De laisser engager son cœur !
Pourquoy faut-il passer le plus beau de son âge
Dans une mortelle langueur ?
Ah, quel mal-heur !
Pourquoy n’avoir pas le courage
De s’affranchir de la rigueur
D’un funeste esclavage ?
Ah ! quel mal-heur
De laisser engager son cœur !
Pan
Ah, quel dommage
Que vous ne sçachiez pas aimer !
Que vous sert-il d’avoir tant d’attraits en partage,
Si vous en negligez le plus grand avantage ?
Que vous sert-il de sçavoir tout charmer ?
Ah, quel dommage
Que vous ne sçachiez pas aimer !
Chœur de Sylvains, de Satyres, & de Bergers
Aymons sans cesse.
Chœur de Nymphes
N’aimons jamais.
Chœur de Sylvains, de Satyres, & de Bergers
Cedons à l’Amour qui nous presse,
Pour vivre heureux aimons sans cesse.
Chœur de Nymphes
Pour vivre en paix,
N’aimons jamais.
Syrinx
Le chagrin suit toûjours les Cœurs que l’Amour blesse.
Pan
La tranquile Sagesse
N’a que des plaisirs imparfaits.
Chœur de Sylvains, de Satyres, & de Bergers
Aymons sans cesse.
Chœur de Nymphes
N’aimons jamais.
Syrinx
On ne peut aimer sans foiblesse.
Pan
Que cette foiblesse a d’attraits !
Chœur de Sylvains, de Satyres, & de Bergers
Aymons sans cesse.
Chœur de Nymphes
N’aimons jamais.
Chœur de Sylvains, de Satyres, & de Bergers
Cedons à l’Amour qui nous presse,
Pour vivre heureux aimons sans cesse.
Chœur de Nymphes
Pour vivre en paix,
N’aimons jamais.
Syrinx
Faut-il qu’en vains discours un si beau jour se passe,
Mes Compagnes courons dans le fond des Forests.
Voyons qui d’entre-nous se sert mieux de ses traits.
Courons à la Chasse.
Chœurs
Courons à la Chasse.
Syrinx revenant sur le Theatre suivie de Pan
Pourquoy me suivre de si prés ?
Pan
Pourquoy fuïr que vous aime ?
Syrinx
Pourquoy fuïr que vous aime ?Un Amant m’embarasse.
Syrinx & les Chœurs derriere le Theatre
Courons à la Chasse.
Pan revenant une seconde fois sur la Scene suivant toûjours Syrinx
Je ne puis vous quitter, mon cœur s’attache à vous
Par des nœuds trop forts & trop doux…
Syrinx
Mes Compagnes ? Venez ?… C’est en vain que j’appelle.
Pan
Ecoutez, Ingrate, écoutez,
Un Dieu charmé de vos beautez,
Qui vous jure un amour fidelle.
Syrinx fuyant
Je declare à l’Amour une guerre immortelle.
Troupe de Bergers qui arrestent Syrinx
Cruelle, arrestez.
Troupe de Sylvains & de Satyres qui arrestent Syrinx
Arrestez, cruelle.
Syrinx
On me retient de tous costez.
Chœurs de Satyres, de Sylvains, & de Bergers
Cruelle, arrestez.
Syrinx
Dieux, Protecteurs de l’innocence,
Nayades, Nymphes de ces Eaux,
J’implore icy vostre assistance.
Syrinx se jette dans les Eaux.
Pan suivant Syrinx dans le Lac où elle s’est jettée
Où vous exposez-vous ? Quels prodiges nouveaux ?
La Nymphe est changée en Rozeaux !
Le vent penetre dans les Roseaux, & leur fait former un bruit plaintif.
Helas ! quel bruit ! qu’entens-je ! Ah quelle voix nouvelle !
La Nymphe tâche encor d’exprimer ses regrets.
Que son murmure est doux ! que sa plainte a d’attraits,
Ne cessons point de nous plaindre avec-elle.
R’animons les Restes charmants
D’une Nymphe qui fut si belle,
Elle répond encore à nos gemissements,
Ne cessons point de nous plaindre avec elle.
Pan donne des Roseaux aux Bergers, aux Satyres, & aux Sylvains, qui en forment un Concert de Flûtes.
Pan
Les yeux qui m’ont charmés ne verront plus le jour.
Estoit-ce ainsi, cruel Amour,
Qu’il falloit te vanger d’une Beauté rebelle,
N’auroit-il pas suffi de t’en rendre vainqueur,
Et de voir dans tes fers son insensible Cœur
Brûler avec le mien d’un ardeur éternelle,
Que tout ressente mes tourments.
Pan, & deux Bergers accompagnez du Concert de Flûtes
R’animons les Restes charmants
D’une Nymphe qui fut si belle,
Elle répond encor à nos gemissemens,
Ne cessons point de nous plaindre avec elle.
Argus commence à s’assoupir, Mercure déguisé en Berger s’approche de luy, & acheve de l’endormir en le touchant de son Caducée.
Pan
Que ces roseaux plaintifs soient à jamais aimez…
Mercure
Il suffit, Argus dort, tous ses yeux sont fermez.
Allons, que rien ne nous retarde,
Délivrons la Nymphe qu’il garde.

SCENE VII

Io, Mercure, Troupe de Sylvains, de Satyres, et de Bergers, Argus, Hierax.
Mercure faisant sortir Io de la Demeure d’Argus, qu’il ouvre d‘un coup de son Caducée
Reconnoissez Mercure, & fuyez avec nous ;
Eloignez-vous d’Argus avant qu’il se reveille.
Hierax arrestant Io, & parlant à Mercure
Argus avec cent yeux sommeille ;
Mais croyez-vous
Endormir un Amant jaloux
Demeurez.
Mercure
Demeurez.Mal-heureux, d’où te vient cette audace ?
Hierax
J’ay tout perdu, j’attens le trépas sans effroy,
Un coup de foudre est une grace
Pour un mal-heureux comme moy.
Eveillez-vous, Argus, vous vous laissez surprendre.
Argus, & Hierax
Puissante Reine des Cieux,
Junon, venez nous défendre.
Mercure frapant Argus & Hierax de son Caducée
Commencez d’éprouver la colere des Dieux.
Argus tombe mort, & Hierax changé en Oyseau de Proye s’envole.
Chœur de Sylvain, de Satyres, & de Bergers
Fuyons.
Io
Fuyons.Vous me quittez quel secours puis-je attendre ?
Chœur de Sylvain, de Satyres, & de Bergers
Fuyons, Junon vient dans ces Lieux.

SCENE HUITIESME

Junon sur son Char, Argus, Io, Erinnis, Furie.
Junon
Revoy le jour, Argus, que ta figure change.
Argus transformé en Paon, vient se placer devant le Char de Junon.
Junon
Et vous, Nymphe, apprenez comment Junon se vange.
Sors, barbare Erinnis, sors du fond des Enfers,
Vien, pren soin de servir ma vengeance fatale,
Et d’en montrer l’horreur en cent Climats divers :
Epouvante tout l’Univers
Par les tourments de ma Rivale.
Vien la punir au gré de mon couroux :
Redouble ta Rage infernale,
Et fay, s’il se peut, qu’elle égale
La fureur de mon cœur jaloux.
La Furie sort des Enfers, elle poursuit Io, elle l’enleve, & Junon remonte dans le Ciel.
Io poursuivie par la Furie
O Dieux ! où me reduisez-vous ?
Fin du troisiéme Acte
 

ACTE IV

Le Theatre change, & represente l’endroit le plus glacé de la Scythie.

SCENE PREMIERE

Des Peuples paroissent transis de froid.
Chœur des Peuples des Climats glacez chantants
L’hyver qui nous tourmente
S’obstine à nous geler,
Nous ne sçaurions parler
Qu’avec une voix tremblante.
La neige & les glaçons
Nous donnent de mortels frissons.
Les Frimats se répandent
Sur nos Corps languissants,
Le froid transit nos sens
Les plus durs Rochers se fendent.
La neige & les glaçons
Nous donnent de mortels frissons.

SCENE SECONDE

Io, la Furie, les Peuples des climats glacez.
Io
Laissez-moy, Cruelle Furie,
Cruelle, laissez-moy respirer un moment.
Ah ! Barbare, plus je te prie,
Et plus tu prens plaisir d’augmenter mon tourment.
La Furie
Soûpire, gémis, pleure, crie,
Je me fais de ta peine un spectacle charmant.
Io
Laissez-moy, Cruelle Furie,
Cruelle, laissez-moy respirer un moment.
Quel horrible séjour ! Quel froid insuportable !
Tes Serpens animez par ta rage implacable
Ne sont-ils par d’assez cruels Bourreaux ?
Pour punir un Cœur miserable,
Viens-tu chercher si loin des Supplices nouveaux ?
La Furie
Mal-heureux Habitans d’une Demeure affreuse,
Connoissez de Junon le funeste couroux ;
Par sa vengeance rigoureuse,
Vous voyez une mal-heureuse
Qui souffre cent fois plus que vous.
Io, & la Furie repettent ces deux derniers Vers.
Chœur des Peuples des Climats glacez
Ah quelle peine
De trembler, de languir dans l’horreur des Frimats !
Io
Ah quelle peine
D’éprouver tant de maux sans trouver le trépas !
Ah quelle vengeance inhumaine !
La Furie
Vien changer de tourments, passe en d’autres Climats.
La Furie entraisne & enleve Io.
Io
Ah quelle peine !
Chœur des Peuples des Climats glacez
Ah quelle peine
De trembler, de languir dans l’horreur des Frimats !

SCENE TROISIESME

Le Theatre change, & represente des deux costez les Forges des Chalybes qui travaillent à forger l’Acier ; la Mer paroist dans l’enfoncement.
Huit Calybes dançants. Deux Conducteurs de Chalybes chantants. Chœur de Chalybes.
Dans le temps que plusieurs Chalybes travaillent dans les Forges, quelques autres vont & viennent avec empressement pour apporter l’Acier des Mines, & pour disposer ce qui est necessaire au travail qui se fait.
Les deux Conducteurs, & le Chœur des Chalybes
Que chacun avec soin s’empresse.
Forgez, qu’on travaille sans cesse,
Qu’on prépare tout ce qu’il faut.
Que le feu des Forges s’allume,
Travaillons d’un effort nouveau ;
Qu’on fasse retentir l’Enclume
Sous les coups pesants du marteau.

SCENE QUATRIESME

Io, la Furie, les conducteurs de Chalybes. Troupe & chœur des Chalybes
Io au milieu des Feux qui sortent des Forges
Quel déluge de feux vient sur moy se répandre ?
O Ciel !
Les Chalybes passent auprés d’Io avec des morceaux d’espées, de lances, & de haches à demy forgées.
La Furie
O Ciel !Le Ciel ne peut t’entendre,
Tu ne te plains pas assez haut.
Les deux Conducteurs, & le Chœur des Chalybes
Qu’on prépare tout ce qu’il faut.
Io
Junon seroit moins inhumaine,
Tu me fais trop souffrir, tu sers trop bien sa haine.
Le Furie
Au gré de son dépit jaloux,
Tes maux les plus cruels seront encor trop doux.
Io
Helas, quelle rigueur extrême !
C’est en vain que Jupiter m’aime,
La haine de Junon joüit de mon tourment ;
Que vous haïssez fortement,
Grands Dieux ! qu’il s’en faut bien que vous aimiez de mesme !
Les Feux des Forges redoublent, & les Chalybes environnent Io avec des morceaux d’acier & brûlants.
Io
Ne pourray-je cesser de vivre ?
Cherchons le trépas dans les Flots.
La Furie
Par tout, ma rage te doit suivre,
N’attens ny secours ny repos.
Io fuït, & monte au haut d’un Rocher, d’où elle se precipite dans la Mer, la Furie s’y jette aprés la Nymphe.

SCENE CINQUIESME

Le Theatre change, & represente l’Antre des Parques. Suite des Parques. La Guerre. Les Fureurs de la Guerre. Les maladies violentes & languissantes. La Famine. L’Incendie. L’Inondation, &c. Chantants, Dançants.
Chœur de la Suite des Parques
Executons l’Arrest du Sort,
Suivons ses loix les plus cruelles ;
Presentons sans cesse à la Mort
Des Victimes nouvelles.
La Guerre
Que le Fer,
La Famine
Que le Fer,Que la Faim,
L'Incendie
Que le Fer, Que la Faim,Que les Feux,
L'Inondation
Que le Fer, Que la Faim, Que les Feux,Que les Eaux,
Toutes ensembles
Que tout serve à creuser mille & mille Tombeaux.
Les Maladies violents
Qu’on s’empresse d’entrer dans les Royaumes sombres
Par mille chemins differents.
Les Maladies languissantes
Achevez d’expirer, infortunez Mourants,
Cherchez un long repos dans le séjour des Ombres.
Le Chœur
Executons l’Arrest du Sort,
Suivons ses loix les plus cruelles ;
Presentons sans cesse à la Mort
Des Victimes nouvelles.
La Guerre
Que le Fer,
La Famine
Que le Fer,Que la Faim,
L'Incendie
Que le Fer, Que la Faim,Que les Feux,
L'Inondation
Que le Fer, Que la Faim, Que les Feux,Que les Eaux,
Toutes ensembles
Que tout serve à creuser mille & mille Tombeaux.
La suite des Parques témoigne le plaisir qu’elle prend à terminer le sort des Humains.

SCENE SIXIESME

Io, la Furie, la Suite des Parques.
Io parlant à la suite des Parques
C’est contre moy qu’il faut tourner
Vostre rigueur la plus funeste ;
D’une vie odieuse arrachez-moy le reste,
Hastez-vous de la terminer.
Le Chœur de la Suite des Parques
C’est aux Parques de l’ordonner.
Io
Favorisez mes vœux, Déesses Souveraines,
Qui reglez du Destin les immuables loix ;
Finissez mes jours & mes peines,
Ne me condamnez pas à mourir mille fois.
Le fonds de l’Antre des Parques s’ouvre, & les trois Parques en sortent.

SCENE SEPTIESME

Les Trois Parques, Io, la Furie, suite des Parques.
Les Trois Parques
Le fil de la vie
De tous les Humains,
Suivant nostre envie,
Tourne dans nos mains.
Io
Tranchez mon triste sort d’un coup qui me délivre
Des tourments que Junon me contraint à souffrir ;
Chacun vous fait de vœux pour vivre,
Et je vous en fais pour mourir.
La Furie
Jupiter l’a soûmise aux loix de son Epouse ;
Elle a rendu Junon jalouse ;
L’amour d’un Dieu puissant a trop sçeu la charmer.
Elle est trop peu punie encore.
Io
Est-ce un si grand crime d’aimer
Ce que tout l’Univers adore ?
Les Parques
Nymphe appaise Junon, si tu veux voir la fin
De ton sort déplorable ;
C’est l’Arrest du Destin,
Il est irrevocable.
Io
Helas, comment fléchir une haine implacable ?
Les Parques, la Furie, le Chœur de la suite des Parques
C’est l’Arrest du Destin,
Il est irrevocable.
Fin du quiatriéme Acte
 

ACTE V

Le Theatre change, & represente les Rivages du Nil, & l’une des Embouchûres par où ce Fleuve entre dans la Mer.

SCENE PREMIERE

Io, la Furie.
Io sortant de la Mer, d’où elle est tirée par la Furie
Terminez mes tourmens puissant Maistre du Monde ;
Sans vous, sans vostre amour, helas !
Je ne souffrirois pas.
Reduite au desespoir, mourante, vagabonde,
J’ay porté mon supplice en mille affreux Climats ;
Une horrible Furie attachée à mes pas,
M’a suivie au travers du vaste sein de l’Onde.
Terminez mes tourmens puissant Maistre du Monde,
Voyez de quels maux icy bas,
Vostre Epouse punit mes mal-heureux appas ;
Délivrez-moy de ma douleur profonde,
Ouvrez-moy par pitié les portes du Trépas.
Terminez mes tourmens puissant Maistre du Monde,
Sans vous, sans vostre amour, helas !
Je ne souffrirois pas.
C’est Jupiter qui m’aime ! eh ! qui le pourroit croire ?
Je ne suis plus dans sa memoire.
Il n’entend point mes cris, il ne voit point mes pleurs,
Aprés m’avoir livrée aux plus cruels mal-heurs,
Il est tranquile au comble de sa Gloire,
Il m’abandonne au milieu des douleurs.
A la fin, je succombe, heureuse, si je meurs !
Io tombe accablée de ses tourments, & Jupiter touché de pitié descend du Ciel.

SCENE SECONDE

Jupiter, Io, & la Furie.
Jupiter
Il ne m’est pas permis de finir vostre peine,
Et ma puissance souveraine,
Doit suivre du Destin l’irrevocable loy :
C’est tout ce que je puis par un amour extréme,
Que de quitter le Ciel & ma gloire suprême
Pour prendre part aux maux que vous souffrez pour moy.
Io
Ah ! mon supplice augmente encore !
Tous le feu des Enfers me brusle, & me dévore ;
Mourray-je tant de fois sans voir finir mon sort ?
Jupiter
Ma tendresse pour vous rend Junon inflexible.
Elle voit mon amour, il luy paroit trop fort,
Son couroux se redouble, & devient invincible.
Io
N’importe, en ma faveur, soyez toûjours sensible.
Jupiter
C’est trop vous exposer à son jaloux transport.
J’irrite en vous aimant sa vengeance terrible.
Io
Aimez-moy, s’il vous est possible,
Assez pour la forcer à me donner la mort.
Junon descend sur la Terre.

SCENE TROISIÈME

Jupiter, Junon, Io, la Furie.
Jupiter
Venez Déesse impitoyable,
Venez, voyez, reconnoissez
Cette Nymphe mourante autrefois trop aimable.
C’est assez la punir, c’est vous vanger assez,
L’éclat de sa beauté ne la rend plus coupable ;
Par la cruelle horreur du tourment qui l’accable,
Son crime & ses appas sont ensemble effacez.
Sans jalousie, & sans allarmes,
Voyez ses yeux noyez de larmes
Que l’ombre de la mort commence de couvrir.
Junon
Ils n’ont encor que trop de charmes
Puis qu’ils sçavent vous attendrir.
Jupiter
Une juste pitié peut-elle vous aigrir ?
Vostre couroux fatal ne doit-il point s’éteindre ?
Junon
Ah ! vous la plaignez trop, elle n’est pas à plaindre.
Non, elle ne peut trop souffrir.
Jupiter
Je sçay que c’est de vous que son sort doit dépendre.
Ce n’est qu’à vos bontez qu’elle doit recourir.
Il n’est rien que de moy vous ne deviez attendre,
Si je puis obliger vostre haine à se rendre.
Io
Ah ! laissez-moy mourir.
Jupiter
Prenez soin de la secourir.
Junon
Vous l’aimez d’un amour trop tendre,
Non, elle ne peut trop souffrir.
Jupiter
Quoy le Cœur de Junon, quelque grand qu’il puisse estre,
Ne sçauroit triompher d’une injuste fureur ?
Junon
De la Terre & du Ciel Jupiter est le Maistre,
Et Jupiter n’est pas le Maistre de son Cœur ?
Jupiter
Hé bien, il faut que je commence
A me vaincre en ce jour.
Junon
Vous m’apprendrez à me vaincre à mon tour.
Jupiter & Junon ensemble
Junon
J’abandonneray ma vengeance,
Rendez-moy vostre amour.
Jupiter
Abandonnez vostre vengeance,
Je vous rends mon amour.
Jupiter
Noires Ondes du Stix, c’est par vous que je jure,
Fleuve affreux, écoutez le serment que je fais.
Si cette Nymphe, enfin, reprend tous ses attraits,
Si Junon fait cesser les tourments qu’elle endure,
Je jure que ses yeux ne troubleront jamais
De nos Cœurs réunis la bien-heureuse paix.
Noires Ondres du Stix, c’est par vous que je jure,
Fleuve affreux, écoutez le serment que je fais.
Junon
Nymphe, je veux finir vostre peine éternelle,
Que la Furie emporte aux Enfers avec elle
Le trouble & les horreurs dont vos sens sont saisis.
La Furie s’enfonce dans les Enfers, & Io se trouve délivrée de ses peine.
Aprés un rigoureux supplice,
Goûtez les biens parfaits que les Dieux ont choisis :
Et sous le nouveau nom d’Isis,
Joüissez d’un bon-heur qui jamais ne finisse.
Jupiter & Junon
Dieux, recevez Isis au rang des Immortels.
Peuples voisins du Nil, dressez-luy des Autels.
Les Divinitez du Ciel descendent pour recevoir Isis, les Peuples d’Egypte luy dessent un Autel, & la reconnoissent pour la Divinité qui les doit proteger.
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Divinitez qui descendent du Ciel dans la Gloire, Peuples d’Egypte chantants. Quatre Egyptiennes chantantes. Peuples d’Egypte dançants. Quatre Egyptiennes dançantes.
Chœur des Divinitez
Venez, Divinité nouvelle.
Chœur des Peuples d'Egypte
Isis, tournez sur nous vos yeux,
Voyez l’ardeur de nostre zele.
Chœur des Divinitez
La Celeste Cour vous appelle.
Chœur des Peuples d'Egypte
Tout vous revere dans ces lieux.
Jupiter & Junon prennent place au milieu des Divinitez, & y font placer Isis.
Jupiter & Junon
Isis est immortelle,
Isis va briller dans ces lieux.
Isis joüit avec les Dieux,
D’une Gloire éternelle.
Jupiter & Junon, & les Divinitez remontent au Ciel, & y conduisent Isis dans le temps que les Chœurs des Divinitez, & des Peuples d’Egypte repetent ces quatre derniers Vers.
Fin du cinquiéme & dernier Acte