LA GUIRLANDE

SCÈNE PREMIÈRE

Le Théâtre représente un lieu champêtre, où est un autel de l’Amour. La statue du Dieu paraît dans le fond, sur un piédestal, d’où sort une fontaine. Mirtil seul, tenant à la main une guirlande dont les fleurs sont fanées.
Mirtil
Peut-on être à la fois
Si tendre et si volage ?
Zélide avait fixé mon choix :
Non moins aimé qu’amant, je partis de ces bois ;
Amarillis paraît, me sourit et m’engage :
Peut-on être à la fois
Si tendre et si volage ?
Je reviens, je reprends mon premier esclavage :
Mais j’ai perdu mes premiers droits.
Malheureux ! Qu’ai-je fait ? Peut-on être à la fois
Si tendre et si volage ?
Il regarde sa guirlande.
Vous allez donc déposer contre moi,
Fleurs, qu’un charme secret devait rendre immortelles
Dans les mains des amants fidèles !
Votre éclat s’est terni quand j’ai manqué de foi.
Ranimez-vous avec ma flamme.
Brillez aux yeux qui m’ont charmé.
J’aime encor plus que je n’aimais ;
Soyez l’image de mon âme.
Ranimez-vous avec ma flamme.
Brillez aux yeux qui m’ont charmé.
Il s’adresse à l’Amour.
Toi qui vis mon erreur, toi qui vois mon retour,
Préviens le désespoir où tu vas me réduire.
Ce charme est ton ouvrage, Amour ! Puissant Amour !
C’est à toi seul de le détruire.
Il pose sa guirlande sur l’autel de l’Amour.
Je remets ma guirlande au pied de ton autel.
Un symphonie champêtre se fait entendre.
Mais j’entends nos bergers que ta fête rassemble.
Hélas ! Qu’ils sont heureux !
Il voir venir Zélide.
Hélas ! Qu’ils sont heureux !Zélide ! ô Ciel ! Je tremble.
Cachons lui mon trouble mortel.
Il sort.

SCÈNE II

Zélide, Hilas, troupe de bergers.
Chœur de Bergers
Hâtons-nous, voici l’aurore,
Cueillons les fruits de ses pleurs.
Moissonnons les dons de Flore,
Couronnons de mille fleurs
Le Dieu qui les fait éclore.
Hâtons-nous, voici l’aurore,
Cueillons les fruits de ses pleurs.
Aussitôt que les bergers se sont assemblés en dansant sur ce chœur, ils sortent en foule pour aller cueillir des fleurs, et cet appel n’est que le prélude de la fête.

SCÈNE III

Hilas, Zélide.
Hilas à Zélide, qui ne suit point les autres bergers
Zélide, nos plaisirs n’ont rien qui vous amuse !
Vous offensez le Dieu dont nous suivons la cour.
Zélide
Des ennuis que cause l’Amour
L’Amour est lui-même l’excuse.
Hilas
L’absence d’un berger vous doit-elle alarmer ?
Zélide
Loin de lui, ce lieu même est pour moi solitaire.
Hilas
Est-il le seul qui sache aimer ?
Zélide
Il est le seul qui m’ait su plaire.
Hilas en se retirant
Une beauté si sévère,
Tient peu de cœurs sous sa loi.
Zélide
Les cœurs indifférents n’ont rien qui m’humilie.

SCÈNE IV

Zélide, seule.
Zélide
Amour, que Mirtil pense à moi,
Et que tout le reste m’oublie.
Qui pourrait de Mirtil différer le retour ?
Ceux dont il a reçu le jour,
Auraient-ils refusé de couronner sa flamme ?…
Serait-il retenu par un nouvel amour ?
Cher amant ! Viens calmer le trouble de mon âme.
Tout languit dans nos bois, quand l’hiver les ravage :
Mais lorsque le Zéphir commence à soupirer,
Tout renaît, tout fleurit, tout semble respirer.
Le rossignol s’éveille, il reprend son ramage.
L’absence est l’hiver des amours :
Le retour d’un amant est celui des beaux jours.
Tout languit dans nos bois, quand l’hiver les ravage :
Mais lorsque le Zéphir commence à soupirer,
Tout renaît, tout fleurit, tout semble respirer.
Le rossignol s’éveille, il reprend son ramage.
De mon bonheur, Amour, hâte l’instant :
Rends-moi Mirtil, et rends-le moi constant.
Ces fleurs, gage d’un feu constant,
Font briller dans mes mains leur fraîcheur naturelle ;
Mirtil, ta guirlande aura-t’elle
Ces parfums, ces couleurs, cet émail éclatant ?
Elle aperçoit la guirlande que Mirtil a posé sur l’autel de l’Amour.
Mais quel objet frappe ma vue !
Me trompai-je ? Approchons. Que mon âme est émue !
Elle s’approche de l’autel.
Hélas ! il est trop vrai, je reconnais ces fleurs.
Nos chiffres enlassés… ah ! Mirtil !… Je me meurs.
Elle tombe accablée sur l’autel, puis revenant à elle
Oublions un amant perfide,
Méprisons qui peut nous trahir.
Le mépriser ! Hélas ! Trop sensible Zélide !
Tu ne peux même le haïr.
Au pied de cet autel il a mis sa guirlande :
Pour ranimer ces fleurs il implorait l’Amour.
Usons pour l’éprouver d’un innocent détour.
Elle met sa guirlande à la place de celle de Mirtil.
Il croira que l’Amour a rempli sa demande.
Elle aperçoit Mirtil.
Il paraît. Cachons-nous sous cet ombrage épais.

SCÈNE V

Mirtil seul dans l’abattement.
Mirtil
Dans ma cruelle incertitude,
Mon cœur ne peut trouver la paix,
Et chaque instant ajoute à mon inquiétude.
Il aperçoit au pied de l’autel, la guirlande dont l’éclat lui paraît ranimé.
Que vois-je ! Ô ciel ! amour ! Ô prodige ! Ô faveur !
Il s’approche de l’autel.
Quels parfums ! Quel éclat ! Ces fleurs semblent renaître.
Ah ! que mon cœur va reconnaître
Un bienfait qui m’élève au comble du bonheur.
Il hésite à prendre la guirlande.
Je n’ose sur ces fleurs porter ma main tremblante,
Je crains de les ternir encor.
Amour, sur ton autel je laisse ce trésor.
C’est à toi d’éblouir les yeux de mon amante.
Ne crains pas que mon cœur, sous ses lois enchaîné,
Suive jamais une pente nouvelle.
Que vais-je bien aimer ! Que je serai fidèle !
Pour la dernière fois tu m’auras pardonné.
Zélide, ton amant cesse enfin de te craindre.
Viens consulter ces fleurs, viens lire dans mes yeux.
Ces fleurs vont te tromper ; mes yeux ne peuvent feindre.
Ils diront que je t’aime, et mon cœur le sent mieux
Que mes yeux ne peuvent le peindre.

SCÈNE VI

Mirtil, Zélide.
Mirtil
Je vous revois belle Zélide !
Que mon cœur eut voulu hâter ce doux moment !
Que le temps, qu’avec vous je trouvais si rapide,
Loin de vous coule lentement !
Je vous revois encor plus belle,
Et je reviens plus tendre…
Zélide ironiquement
Et je reviens plus tendre…Et plus fidèle ?
Mirtil
Quel soupçon vient vous alarmer ?
Vous offensez mon cœur et l’Amour et vous-même.
Peut-on vous voir sans vous aimer ?
Peut-on changer quand on vous aime ?
Zélide
Souvent pour séduire un cœur
Il suffit d’un doux sourire.
On rougit, l’amour soupire,
Mais le désir est vainqueur.
Mirtil
Telle est l’inconstance légère,
Du Zéphir volage et sans foi :
Mais le Zéphir lui-même, aimé de ma bergère,
Serait aussi constant que moi.
Zélide
Aussi constant que vous ?
Mirtil
Aussi constant que vous ?Vous connaissez mon âme.
Zélide
L’absence est l’écueil de l’amour.
Miritl
Dans nos tendres adieux rien n’égalait ma flamme ;
Elle est cent fois encor plus vive à mon retour.
Tous inspire à mon cœur une volupté pure :
Les concerts des oiseaux me semblent plus touchants :
Je crois voir mon bonheur exprimé dans leurs chants.
Cette onde en jaillissant fait un plus doux murmure.
L’ombre a plus de fraîcheur, l’herbe a plus de verdure.
Le parfum de ces fleurs m’invite à les cueillir.
Avec vous à mes yeux tout semble s’embellir,
Et le charme s’étend sur toute la nature.
Zélide
Mais de votre fidélité
Je ne vois point encor le gage.
Mirtil montrant avec empressement la guirlande qui est sur l’autel.
Le voici. De ces fleurs l’éclatante beauté
Vous laisse-t’elle quelque ombrage ?
Zélide
Je suis contente.
Mirtil
Je suis contente.Et vous ? Un pareil témoignage
Importe à ma tranquilité.
Zélide feint d’être embarrassée.
Zélide, vous baissez la vue !
Parlez. Où sont ces fleurs ? Vous me faites trembler.
Vous soupirez ! Ô ciel ! Quelle atteinte imprévue !
Non, je ne puis vous croire, et c’est pour me troubler…
Zélide n’est point infidèle.
Son cœur n’aima jamais que moi.
Zélide
Si vous être sûr de ma foi,
Pourquoi m’en demander une preuve nouvelle ?
Mirtil
Pourquoi la refuser ?
Zélide
Pourquoi la refuser ?Ah ! Mirtil ! Je le vois,
Vous doutez de mon cœur.
Mirtil
Vous doutez de mon cœur.Vous m’y forcez cruelle.
Zélide
Eh bien s’il vous avait trahi,
S’il s’en faisait lui-même un sensible reproche,
Et si confus à votre approche,
Il demandait encor de n’être point haï…
Mirtil
Zélide aurait trahi des amants le plus tendre !
Zélide
Il le faut avouer : un caprice léger,
Avec plaisir m’a fait entendre
Les soupirs d’un autre berger.
Mirtil
Quoi, Zélide, ton cœur n’a pas su s’en défendre !
Zélide
Je vous l’ai dit : l’absence expose à ce danger.
À vos ressentiments Zélide s’abandonne :
Mirtil, vous pouvez vous venger.
Mirtil
Non. Si ton crime est passager,
Aimons-nous : Mirtil te pardonne.
Zélide
C’est toi que tu viens de juger.
Mirtil
Qui ? Moi !
Zélide
Qui ? Moi !Voici tes fleurs…
Elle va prendre la guirlande de Mirtil, qu’elle a cachée parmi les arbres de l’autre côté du théâtre, elle la trouve refleurie.
Qui ? Moi ! Voici tes fleurs…Quelles couleurs nouvelles !
Mirtil
C’est l’Amour qui les rajeunit.
Ensemble
Dieu puissant, dans nos mains rends ces fleurs immortelles.
Rends sans cesse nouveau comme elles
Le nœud charmant qui nous unit.
On entend de loin le retour des bergers.
Mirtil
Nos bergers en ces lieux vont célébrer sa fête.
Zélide
Pour hommage offrons lui nos cœurs.
Ensemble
Triomphe, Amour, lance tes feux vainqueurs.
Couronne par mes mains ta plus belle conquête.

SCÈNE VII

Mirtil, Zélide, troupe de bergers.
Chœur sur lequel les bergers entrent en dansant
Aimons, qu’en nos bois tout soupire,
Que tout inspire
Les désirs,
Que tout respire
Les plaisirs.
Une bergère
Tendre Amour c’est pour ton empire,
Que les Dieux ont fait nos loisirs.
Le chœur
Aimons, qu’en nos bois tout soupire.
Que tout inspire
Les désirs,
Que tout respire
Les plaisirs.
Les bergers en dansant ornent de guirlandes l’autel de l’Amour.
Grand chœur
Sons brillants, céleste harmonie,
Éclatez, remplissez nos bois.
C’est l’amour qui dicta vos lois
Et sa flamme est votre génie.
Sons brillants, céleste harmonie,
Éclatez, remplissez nos bois.
Mirtil
La flûte est des soupirs le plus tendre interprète,
Un berger amoureux inventa le hautbois,
Le cœur fit résonner la première musette,
Et l’amour avec la houlette
Marqua la cadence à la voix.
Le chœur avec Mirtil
Sons brillants, etc.
Deux coryphées de la danse, donnent par des attitudes gracieuses, des leçons au corps du ballet qui les répète en imitation.
Zélide
Aux pleurs que répand l’Aurore,
Nos champs doivent leurs attraits :
Amour tu fais plus encore ;
Le bonheur vole avec tes traits.
Le chœur
Amour tu fais plus encore ;
Le bonheur vole avec tes traits.
Zélide
La douce haleine de Flore,
Rend l’air plus pur et plus frais.
Le chœur
Amour tu fais plus encore ;
Le bonheur vole avec tes traits.
Sur cette dernière reprise du chœur, les bergers recommencent leur danse, elle est interrompue par une entrée de pâtres, auxquels les bergers se mêlent d’abord. Les pâtres, deux coryphées à leur tête, se détachent ensuite, et vont couvrir l’autel de l’Amour de gros bouquets qu’ils tiennent dans leurs mains. Une jeune bergère entre seule et porte en dansant une fleur sur l’autel.
Zélide
Quand du dieu des bois,
L’Amour anime la musette,
Philomèle est muette,
Écho n’ose élever la voix.
Pour entendre
Un son si tendre,
Les ruisseaux murmurent tout bas.
Au Sylvain qui court sur ses pas,
La Nymphe se laisse surprendre.
Quand du dieu des bois,
L’Amour anime la musette,
Philomèle est muette,
Écho n’ose élever la voix.
Les coryphées des bergers et ceux des pâtres dansent ensemble ; la jeune bergère s’y joint ; leur danse est coupée par l’entrée d’un jeune berger, qui apporte un bouquet pour offrande. Il aperçoit la bergère. Il hésite entre elle et l’autel, pour adresser son bouquet, dont il réserve une fleur, qu’il présente à la bergère, et leur union forme un pas de six avec les quatre coryphées.
Zélide
Vole, Amour, assure ta gloire,
Enchaîne nos cœurs pour jamais.
Un volage que tu soumets,
Est ta plus brillante victoire.
Mirtil
Vole Amour, assure ta gloire,
Enchaîne nos cœurs pour jamais.
Pour la première fois, on s’engage sans peine,
Et sans peine on devient léger :
Mais un cœur qui reprend sa chaîne,
Revient pour ne jamais changer.
Ensemble avec les chœurs
Vole Amour, assure ta gloire,
Enchaîne nos cœurs pour jamais.
Un ballet général termine le divertissement.
FIN