HIPPOLYTE ET ARICIE (1757)

ACTE PREMIER

Le Théâtre représente un temple consacré à Diane : On y voit un autel.

SCENE PREMIERE

Aricie en Chasseresse.
Temple sacré, séjour tranquille,
Où Diane aujourd’hui doit recevoir mes vœux,
A mon cœur agité daigne servir d’asyle
Contre un amour trop malheureux.
Et toi, dont malgré-moi je rappelle l’image,
Cher Prince, si mes vœux ne te sont pas offerts,
Du moins, j’en apporte l’hommage
A la Déesse que tu sers.
Temple sacré, séjour tranquille,
Où Diane aujourd’hui doit recevoir mes vœux,
A mon cœur agité daigne servir d’asyle
Contre un amour trop malheureux.

SCENE II

Hippolyte, Aricie.
Hippolyte
Princesse, quels apprêts me frappent dans ce Temple !
Aricie
Diane préside en ces lieux ;
Lui consacrer mes jours, c’est suivre votre exemple.
Hippolyte
Non, vous les immolez, ces jours si précieux.
Aricie
J’exécute du Roi la volonté suprême ;
A Thésée, à son Fils, ces jours sont odieux.
Hippolyte
Moi, vous haïr ! O Ciel ! Quelle injustice extrême !
Aricie
Je ne suis point l’objet de votre inimitié ?
Hippolyte
Je sens pour vous une pitié
Aussi tendre que l’amour même.
Aricie
Quoi ? Le fier Hippolyte...
Hippolyte
Quoi ? Le fier Hippolyte...Hélas !
Je n’en ai que trop dit ; je ne m’en repens pas,
Si vous avez daigné m’entendre :
Mon trouble, mes soûpirs, vos malheurs, vos appas,
Tout vous annonce un cœur trop sensible & trop tendre.
Aricie
Ah ! Que venez-vous de m’apprendre !
C’en est fait ; pour jamais mon repos est perdu.
Peut-être votre indifférence
Tôt ou tard me l’auroit rendu ;
Mais votre amour m’en ôte l’esperance.
C’en est fait ; pour jamais mon repos est perdu.
Hippolyte
Qu’entends-je ! Quel transport de mon ame s’empare !
Aricie
Oubliez-vous qu’on nous sépare !
Quel temple redoutable, & quel affreux lien !
Hippolyte amoureux m’occupera sans cesse ;
Même aux Autels de la Déesse,
Je sentirai mon cœur s’élancer vers le sien.
Diane & l’univers pour moi ne sont plus rien.
Hippolyte amoureux m’occupera sans cesse,
Je vivrai pour pleurer son malheur & le mien.
Hippolyte
Je vous affranchirai d’une loi si cruelle.
Aricie
Phédre sur sa captive à des droits absolus ;
Que sert de nous aimer ? Nous ne nous verrons plus.
Hippolyte
O Diane ! Protége une flamme si belle.
Aricie et Hippolyte
Nous brûlons des plus pures flammes,
L’Amour n’offre à nos cœurs que d’innocens appas,
Tu ne le défends pas,
Non, non, tu ne le défends pas
Quand c’est par la vertu qu’il regne sur nos ames.

SCENE III

Hippolyte, Aricie, La Grande Prêtresse de Diane, Prêtresses de Diane.
Entrée des Prêtresses
Chœur
Dans ce paisible séjour,
Regne l’aimable innocence :
Les traits que lance l’Amour
Sur nous n’ont point de puissance ;
Nous jouissons à jamais
des doux charmes de la paix.
On danse.
La Grande Prêtresse
Dieu d’Amour, pour nos asyles,
Tes tourmens ne sont pas faits.
Tous les cœurs y sont tranquilles,
Tes efforts sont inutiles ;
Non, non, tu n’en peux troubler la paix.
Tes allarmes
Ont des charmes
Pour qui manque de raison
Mais nos ames
De tes flammes
Reconnoissent le poison :
Va, fuis ; pers l’esperance :
Va, fuis loin de nos cœurs :
Tu n’as point de traits vainqueurs.
On danse.
La Grande Prêtresse alternativement avec le chœur
De l’amour fuyez les charmes
Craignez jusqu’à ses douceurs,
De fleurs il couvre ses armes,
Mais les larmes,
Les allarmes,
Sont le prix des tendres cœurs.
On danse.
La Grande Prêtresse et le Chœur alternativement avec le chœur
La paix & l’indifférence
Comblent ici nos désirs ;
Les biens que l’amour dispense
Coûtent toujours des soûpirs ;
Dans le sein de l’innocence
Nous trouvons les vrais plaisirs.
On danse.

SCENE IV

Phedre, Œnone, Gardes ; et les Acteurs de la Scene précédente.
Phedre à Aricie
Princesse, ce grand jour par des nœuds éternels
Va vous unir aux Immortels.
Aricie
Je crains que le ciel ne condamne
L’hommage que j’apporte aux pieds des saints autels.
Quel cœur viens-je offrir à Diane !
Phedre
Quel discours !
Aricie
Quel discours !Sans remors, comment puis-je en ces lieux,
Offrir un cœur que l’on opprime ?
Chœur des Prêtresses
Non, non, un cœur forcé n’est pas digne des Dieux ;
Le sacrifice en est un crime.
Phedre
Quoi ? L’on ose braver le suprême pouvoir !
Chœur
Obéïssez au Dieux ; c’est le premier devoir.
Phedre à Hippolyte
Prince, vous souffrez qu’on outrage
Et votre Pere, & votre Roi !
Hippolyte à Phedre
Vous sçavez que respect à Diane m’engage ;
Dès mes plus tendres ans je lui donnai ma foi.
Phedre
Dieux ! Thésée en son fils trouve un sujet rebelle !
Hippolyte
Je sais tout ce que je lui doi ;
Mais, ne puis-je pour lui faire éclatter mon zéle,
Qu’en outrageant une Immortelle ?
Phedre
Laissez des détours superflus ;
La vertu quelquefois sert de prétexte au crime.
Hippolyte
Quel crime !
Phedre
Quel crime !Je ne sais qui vous touche le plus,
De l’autel, ou de la victime.
Hippolyte
Du moins, par d’injustes rigueurs,
Je ne sais point forcer les cœurs.
Phedre
Périsse la vaine puissance
Qui s’éleve contre les Rois :
Tremblez ; redoutez ma vengeance,
Et le Temple & l’Autel vont tomber à ma voix.
Tremblez, j’ai sû prévoir la désobéïssance ;
Périsse la vaine puissance,
Qui s’éleve contre les Rois.
Bruit de trompettes.
Des Guerriers entrent, & vont briser l'Autel.
La Grande Prêtresse et le Chœur
Dieux vengeurs, lancez le tonnerre :
Périssent les mortels qui vous livrent la guerre.
Bruit de tonnerre.
Diane paroît dans une gloire.
La Grande Prêtresse
Nos cris sont montés jusqu’aux cieux.
La Déesse descend ; tremblez, audacieux.

SCENE V

Diane ; & les Acteurs de la Scene précédente.
Diane à ses Prêtresses
Ne vous allarmez pas d’un projet téméraire,
Tranquilles cœurs, qui vivez sous ma loi.
Vous voyez Jupiter se déclarer mon Pere ;
Sa foudre vole devant moi.
à Phedre
Toi, tremble Reine sacrilege ;
Penses-tu m’honorer par d’unjustes rigueurs ?
Apprens que Diane protége
La liberté des cœurs.
à Aricie
Et toi, triste victime, à me suivre fidéle,
Fais toujours expirer les monstres sous tes traits.
On peut servir Diane avec le même zéle,
Dans son temple & dans les forêts.
Hippolyte et Aricie
Déesse, pardonnez...
Diane
Déesse, pardonnez...Votre vertu m’est chere ;
Et c’est au crime seul que je dois ma colere.
Diane entre dans son temple avec ses pretresses,
& Hippolyte emméne Aricie.

SCENE VI

Phedre.
Phedre
Quoi ! La terre & le ciel contre moi sont armés !
Ma rivale me brave ! Elle suit Hippolyte !
Ah ! Plus je vois leurs cœurs l’un pour l’autre enflamés,
Plus mon jaloux transport s’irrite.
 
Que rien n’échappe à ma fureur ;
Immolons à la fois l’amant & la rivale :
Haine, dépit, rage infernale,
Je vous abandonne mon cœur.
 

ACTE SECOND

Le Théâtre représente l'entrée des Enfers.

SCENE PREMIERE

Thesée, Tisiphone.
Thesée
Laisse-moi respirer, implacable Furie.
Tisiphone
Non, dans le séjour ténébreux
C’est en vain qu’on gémit ; c’est en vain que l’on crie ;
Et les plaintes des malheureux
Irritent notre barbarie.
Thesée
Dieux ! N’est-ce pas assez des maux que j’ai soufferts ?
J’ai vû Pyrithous déchiré par Cerbere ;
Jai vû ce monstre affreux trancher des jours si chers,
Sans daigner dans mon sang assouvir sa colere.
J’attendois la mort sans effroi,
Et la mort fuyoit loin de moi.
Tisiphone
Eh ! Croyois-tu que de tes peines
Le moment de ta mort fut le dernier instant ?
Pirithous gémit sous d’éternelles chaînes ;
Tremble ; le même sort t’attend.
Thesée
Ah ! Qu’avec lui je le partage,
Ce sort que tu viens m’annoncer,
Rends-moi Pirithous, je me livre à ta rage ;
Mais sur lui, s’il se peut, cesse de l’exercer.
Tisiphone et Thesée
C’est peu pour moi d’une victime
Contente-toi d’une victime
Non, rien n’apaise ma fureur
Quoi ? Rien n’appaise ta fureur !
Je dois porter partout le ravage & l’horreur
Dois-tu porter partout le ravage & l’horreur,
Lorsque partout je vois le crime.
Quand sur moi seul je prends le crime !
Le fond du théâtre d'ouvre : On y voit Pluton,
sur son trône ; les trois Parques sont à ses pieds.

SCENE II

Pluton, Thesée, Tisiphone ; les trois Parques ; Dinités infernales.
Thesée
Inexorable Roi de l’empire infernal,
Digne Frere, & digne Rival
Du Dieu qui lance le tonnerre,
Est-ce donc pour venger tant de monstres divers,
Dont ce bras a purgé la terre,
Que l’on me livre en proie aux monstres des Enfers ?
Pluton
Si tes exploits sont grands, voi quelle en est la gloire ;
Ton nom sur le trépas remporte la victoire ;
Comme nous il est immortel ;
Mais, d’une égale main, puisqu’il faut qu’on dispense
Et la peine & la récompense,
N’attens plus de Pluton qu’un tourment éternel.
D’un trop coupable ami, trop fidéle complice,
Tu dois partager son supplice.
Thesée
Je consens à le partager ;
L’amitié qui nous joint m’en fait un bien suprême.
Non, de Pyrithous tu ne peux te vanger,
Sans me punir moi-même.
Sous les drapeaux de Mars, unis par la valeur,
Je l’ai vû sur mes pas voler à la victoire.
Je dois partager son malheur,
Comme il a partagé mes périls & ma gloire.
Pluton
Mais cette gloire enfin, falloit-il la ternir ?
Parle. Le crime même a-t’il dû vous unir ?
Thesée
Le péril d’un ami si tendre,
Aux Enfers, avec lui, m’a contraint à descendre ;
Est-ce là le forfait que tu prétends punir ?
Pour prix d’un projet téméraire,
Ton malheureux rival éprouve ta colere ;
Mais, trop fatal Vengeur, de quoi me punis-tu ?
Ah ! Si son amour est un crime,
L’amitié qui pour lui m’anime
N’est-elle pas une vertu ?
Pluton
Eh bien je remets ma victime
Aux juges souverains de l’Empire des Morts ;
Va, sors ; en attendant un arrêt légitime,
Je t’abandonne à tes remords.
Thesée sort, suivi de Tisiphone.

SCENE III

Pluton, les trois Parques ; Dinités infernales.
Pluton descendu de son trône.
Qu’à servir mon couroux tout l’Enfer se prépare ;
Que l’Averne, que le Tenare,
Le Cocyte, le Phlegeton,
Par ce qu’ils ont de plus barbare,
Vengent Proserpine & Pluton.
Chœur
Que l’Averne, etc.
On danse.
Chœur
Pluton commande ;
Vengeons notre roi.
Pluton commande ;
Suivons sa loi.
Qu’ici l’on répande
Le trouble & l’effroi.
Ne tardons pas ; les momens sont trop chers ;
Que cent gouffres ouverts
Aux regards soient offerts ;
Dans les Enfers
Que tout tremble ;
Qu’on y rassemble
Les feux & les fers.
On danse.

SCENE IV

Thesée, Tisiphone ; & les Acteurs de la Scene précédente.
Thesée
Dieux ! Que d’infortunés gémissent dans ces lieux !
Un seul se dérobe à mes yeux ;
Par mes cris redoublés vainement je l’appelle ;
Mes cris ne sont point entendus ;
Ah ! Montrez-moi Pyrithous !
Craignez-vous qu’à l’aspect d’un ami si fidéle,
Ses tourmens ne soient suspendus ?
Traîne-moi jusqu’à lui, trop barbare Eumenide ;
Viens ; je prens ton flambeau pour guide.
Tisiphone
La mort, la seule mort a droit de vous unir.
Thesée
Mort propice, mort favorable,
Pour me rendre moins misérable,
Commence donc à me punir.
Les Parques
Du destin le vouloir suprême
A mis entre nos mains la trame de tes jours ;
Mais le fatal ciseau n’en peut trancher le cours,
Qu’au redoutable instant qu’il a marqué lui-même.
Thesée
Ah ! Qu’on daigne du moins, en m’ouvrant les Enfers,
Rendre un vengeur à l’univers.
Puisque Pluton est infléxible,
Dieu des mers, c’est à toi qu’il me faut recourir ;
Que ton fils, dans son pere, éprouve un cœur sensible,
Trois fois dans mes malheurs tu dois me secourir ;
Le fleuve, aux Dieux mêmes terrible,
Et qu’ils n’osent jamais attester vainement,
Le Styx a reçu ton serment :
Au premier de mes vœux tu viens d’être fidèle ;
Tu m’as ouvert l’affreux séjour,
Où règne une nuit éternelle ;
Grand Dieu, daigne me rendre au jour.
Chœur
Non, Neptune auroit beau t’entendre,
Les Enfers, malgré lui, sauroient te retenir.
On peut aisément y descendre,
Mais on ne peut en revenir.

SCENE V

Mercure ; & les Acteurs de la Scene précédente.
Mercure à Pluton
Neptune vous demande grace
Pour un Fils trop audacieux.
Pluton
N’a-t’il pas partagé son crime & son audace,
En ouvrant sous ses pas la route de ces lieux ?
Non, non ; je dois punir un Mortel qui m’offense.
Mercure
Jupiter tient les Cieux sous son obéïssance,
Neptune régne sur les mers ;
Pluton peut, à son gré, signaler sa vengeance
Dans le noir séjour des enfers ;
Mais le bonheur de l’univers
DépenD de votre intelligence.
Pluton
C’en est fait, je me rends ; sur mon juste courroux,
Le bien de l’univers l’emporte.
De l’infernale nuit que ce coupable sorte ;
Peut-être son destin n’en sera pas plus doux.
Pluton
Vous, qui de l’avenir percez la nuit profonde,
Qui tenez dans vos mains & la vie & la mort,
Vous qui reglez le sort du monde,
Parques, annoncez-lui son sort.
Les Trois Parques
Quelle soudaine horreur ton destin nous inspire ?
Où cours-tu, Malheureux ? Tremble ; frémis d’effroi.
Tu sors de l’infernal empire,
Pour trouvez les Enfers chez toi.
Pluton, & toute sa Cour se retirent.

SCENE VI

Thesée, Mercure.
Thesée
Je retrouverois chez moi ces enfers que je quitte !
Ah ! Je céde à l’horreur dont je me sens glacer...
Dieux, détournez les maux qu’on vient de m’annoncer ;
Et surtout, prenez soin de Phedre et d’Hippolyte.
Mercure
Il est temps de revoir la lumiere des Cieux.
Thesée
Ciel ! Cachons mon retour, & trompons tous les yeux.
 

ACTE TROISIÉME

Le Théâtre représente une partie du palais de Thesée, sur le rivage de la mer.

SCENE PREMIERE

Phedre
Cruelle Mere des Amours,
Ta vengeance a perdu ma trop coupable race,
N’en suspendras-tu point le cours ?
Ah ! Du moins, à tes yeux, que Phedre trouve grace.
Je ne te reproche plus rien,
Si tu rends à mes vœux Hippolyte sensible ;
Mes feux me font horreur, mais mon crime est le tien ;
Tu dois cesser d’être inflexible.
Cruelle Mere des Amours, etc.
Mais pourquoi tous ces vains remords !
Ah ! Si j’en crois Arcas, mon cœur peut tout prétendre,
Thésée a vû les sombres bords.
L’Enfer, pour me punir, pourroit-il me le rendre !...

SCENE II

Phedre, Hippolyte, Œnone.
Hippolyte
Reine, sans l’ordre exprès, qui dans ces lieux m’appelle,
Quand le ciel vous ravit un époux glorieux,
Je respecterois trop votre douleur mortelle,
Pour vous montrer encore un objet odieux.
Phedre
Vous, l’objet de ma haine ! O ciel ! Quelle injustice !
Je dois dissiper cette erreur ;
Helas ! Si vous croyez que Phedre vous haïsse,
Que vous connoissez mal son cœur !
Hippolyte
Qu’entens-je ? A mes desirs Phedre n’est plus contraire !
Ah ! Les plus tendres soins de votre auguste époux
Dans mon cœur désormais vont revivre pour vous.
Phedre
Quoi ? Prince...
Hippolyte
Quoi ? Prince...A votre fils je tiendrai lieu de Perre ;
J’affermirai son trône, & j’en donne ma foi.
Phedre
Vous pourriez jusques-là vous attendrir pour moi !
C’en est trop ; & le trône, & le fils, & la mere,
Je range tout sous votre loi.
Hippolyte
Non ; dans l’art de regner je l’instruirai moi-même ;
Je céde sans regret la suprême grandeur.
Aricie est tout ce que j’aime ;
Et si je veux regner, ce n’est que dans sons cœur.
Phedre
Que dites-vous ? O Ciel ! Quelle étoit mon erreur !
Malgré mon trône offert, vous aimez Aricie !
Hippolyte
Quoi ! Votre haine encor n’est donc pas adoucie ?
Phedre
Tu viens d’en redoubler l’horreur...
Puis-je trop haïr ma rivale ?
Hippolyte
Votre rivale ! Je fremis ;
Thésée est votre époux, & vous aimez son fils !
Ah ! Je me sens glacer d’une horreur sans égale.
Terribles ennemis des perfides humains,
Dieux, si prompts autrefois à les réduire en poudre,
Qu’attendez-vous ? Lancez la foudre.
Qui la retient entre vos mains ?
Phedre
Ah ! Cesse par tes vœux d’allumer le tonnerre.
Eclatte ; éveille-toi ; sors d’un honteux repos ;
Rends-toi digne fils d’un heros,
Que de monstres sans nombre a délivré la terre ;
Il n’en est échappé qu’un seul à sa fureur ;
Frappe ; ce monstre est dans mon cœur.
Hippolyte
Grands Dieux !
Phedre
Grands Dieux !Tu balances encore !
Etouffe dans mon sang un amour que j’abhorre.
Je ne puis obtenir ce funeste secours !
Cruel ! Quelle rigueur extrême !
Tu me hais, autant que je t’aime ;
Mais, pour trancher mes tristes jours,
Je n’ai besoin que de moi-même.
Donne...
Hippolyte
Donne...Que faites-vous ?
Phedre
Donne... Que faites-vous ?Tu m’arraches ce fer,
Thesée paroît.

SCENE III

Thesée ; & les Acteurs de la scene précédente.
Thesée
Que vois-je ? Quel affreux spectacle !
Hippolyte
Mon pere !
Phedre
Mon pere !Mon époux.
Thesée à part
Mon pere ! Mon époux.O trop fatal Oracle !
Je trouve les malheurs que ma prédits l’Enfer.
à Phedre.
Reine, dévoilez-moi ce funeste mystére.
Phedre à Thesée
N’approchez point de moi ; l’Amour est outragé ;
Que l’Amour soit vengé.

SCENE IV

Thesée, Hippolyte, Œnone.
Thesée à Hippolyte
Sur qui doit tomber ma colere ?
Parlez, mon fils, parlez, nommez le criminel.
Hippolyte
Seigneur... Dieux ! Que vais-je lui dire ?
Permettez que je me retire ;
Ou plutôt, que j’obtienne un exil éternel.
Hippolyte sort.

SCENE V

Thesée, Œnone.
Thesée
Quoi ? Tout me fuit ! Tout m’abandonne !
Mon épouse ! Mon fils ! Ciel ! demeurez, Œnone.
C’est à vous seule à m’éclairer
Sur la trahison la plus noire.
Œnone
Ah ! Sauvons de la reine & les jours & la gloire.
Un desespoir affreux... pouvez-vous l’ignorer ?
Vous n’en avez été qu’un témoin trop fidéle.
Je n’ose accuser votre fils ;
Mais, la reine... Seigneur, ce fer armé contre elle,
Ne vous en a que trop appris.
Thesée
Dieux ! Acheve.
Œnone
Dieux ! Acheve.Un amour funeste...
Thesée
C’en est assez ; épargne-moi le reste.

SCENE VI

Thesée
Qu’ai-je appris ? Tous mes sens en sont glacez d’horreur.
Vengeons-nous ; quel projet ! Je fremis quand j’y pense.
Qu’il en va coûter à mon cœur !
A punir un ingrat d’où vient que je balance ?
Quoi ? Ce sang, qu’il trahit, me parle en sa faveur !
Non, non, dans un fils si coupable,
Je ne vois qu’un monstre effroyable :
Qu’il ne trouve en moi qu’un vengeur.
Puissant maître des flots, favorable Neptune,
Entens ma gémissante voix ;
Permets que ton fils t’importune,
Pour la derniere fois.
Hippolyte m’a fait le plus sanglant outrage ;
Rempli le serment qui t’engage ;
Préviens par son trépas un desespoir affreux ;
Ah ! Si tu refusois de venger mon injure,
Je serois parricide, & tu serois parjure ;
Nous serions coupables tous deux.
La mer s'agite.
Mais de courroux l’onde s’agite.
Tremble ; tu vas périr, trop coupable Hippolyte.
Le sang a beau crier, je n’entens plus sa voix.
Tout s’apprête à punir une offense mortelle ;
Neptune me sera fidéle,
C’est aux Dieux à venger les Rois.
On vient de mon retour rendre grace à Neptune,
Et je voudrois encore être dans les Enfers :
Fuyons une foule importune ;
Ne puis-je disparoître aux yeux de l’univers !

SCENE VII

Thesée, peuples et Matelots.
Chœur
Que ce rivage retentisse
De la gloire du Dieu des flots :
Qu’à ses bienfaits tout applaudisse ;
Il rend à l’univers le plus grand des heros.
Que ce rivage retentisse
De la gloire du Dieu des flots.
On danse.
Une Matelote
L’Amour, comme Neptune,
Invite à s’embarquer ;
Pour tenter la fortune,
On ose tout risquer.
Malgré tant de naufrages,
Tous les cœurs sont matelots ;
On quitte le repos ;
On vole sur les flots ;
On affronte les orages ;
L’Amour ne dort
Que dans le Port.
On danse.
 

ACTE QUATRIÉME

Le Théâtre représente un Bois consacré à Diane sur le rivage de la Mer.

SCENE PREMIERE

Hippolyte
Ah ! Faut-il en un jour, perdre tout ce que j’aime !
Mon Pere pour jamais me bannit de ces lieux ;
Si cheris de Diane même,
Je ne verrai plus les beaux yeux
Qui faisoient mon bonheur suprême :
Ah ! Faut-il en un jour, perdre tout ce que j’aime !

SCENE II

Hippolyte, Aricie.
Aricie
C’en est donc fait, cruel, rien n’arrête vos pas,
Vous desesperez votre amante.
Hippolyte
Helas ! Plus je vous vois, plus ma douleur augmente,
Je sens mieux tous mes maux quand je vois tant d’appas.
Aricie
Quoi ! L’inimitié de la Reine,
Vous fait-elle quitter l’objet de votre amour ?
Hippolyte
Non ! Je ne fuirois pas de cet heureux séjour
Si je n’y craignois que sa haine.
Aricie
Que dites-vous...
Hippolyte
Que dites-vous...Gardez d’osez porter les yeux
Sur le plus horrible mystere,
Le respect me force à me taire ;
J’offenserois le Roi, Diane, & tous les Dieux.
Aricie
Ah ; c’est m’en dire assez, ô crime !
Mon cœur en est glacé d’épouvante & d’horreur.
Cependant vous partez, & de Phedre en fureur
Je vais devenir la victime.
à part.
Dieux ; pourquoi séparer deux cœurs
Que l’amour a faits l’un pour l’autre !
à Hippolyte.
Eh ! Quelle autre main que la vôtre,
Si vous m’abandonnez, pour essuyer mes pleurs ?
à part.
Dieux ; pourquoi séparer deux cœurs
Que l’amour a faits l’un pour l’autre ?
Hippolyte
Hé bien daignez me suivre.
Aricie
Hé bien daignez me suivre.O ciel ! Que dites-vous ?
Moi vous suivre !
Hippolyte
Moi vous suivre !Cessez de croire
Que je puisse oublier le soin de votre gloire.
En suivant votre amant, vous suivez votre époux ;
Venez... quel silence funeste !
Aricie
Ah ! Prince, croyez-en l’amour que j’en atteste,
Je ferois mon suprême bien
D’unir votre sort & le mien ;
Mais Diane est inéxorable
Pour l’amour & pour les Amans.
Hippolyte
A d’innocens désirs Diane est favorable
Qu’elle préside à nos sermens.
Ensemble
Nous allons nous jurer une immortelle foi :
Viens, Reine des Forêts, viens former notre chaîne ;
Que l’encens de nos vœux s’éleve jusqu’à toi,
Sois toujours de nos cœurs l’unique Souveraine.
On entend un bruit de Cors.
Hippolyte
Le sort conduit ici ses sujets fortunés ;
Unissons-nous aux jeux qui lui sont destinés.

SCENE III

Hippolyte, Aricie, chasseurs et chasseresses.
Chœur
Faisons par tout voler nos traits.
Animons-nous à la victoire ;
Que les antres les plus secrets
Retentissent de notre gloire.
On danse.
Une Chasseresse
Amans, quelle est votre foiblesse ?
Voyez ! L’Amour sans vous allarmer ;
Ces mêmes traits dont il vous blesse,
Contre nos cœurs n’osent plus s’armer.
Malgré ses charmes
Les plus doux,
Bravez ses armes,
Faites comme nous ;
Osez, sans allarmes,
Attendre ses coups ;
Si vous combattez, la victoire est à vous,
Amans, quelle est votre foiblesse ?
Voyez ! L’Amour sans vous allarmer ;
Ces mêmes traits dont il vous blesse,
Contre nos cœurs n’osent plus s’armer.
Vous vous plaignez qu’il a des rigueurs,
Et vous aimez tous les traits qu’il vous lance !
C’est vous qui les rendez vainqueurs ;
Pourquoi sans défense
Livrer vos cœurs ?
Amans, quelle est votre foiblesse, &c.
On danse.
Une Chasseresse
A la chasse, à la chasse,
Armez-vous.
Chœur
Courons tous à la chasse ;
Armons-nous.
Une Chasseresse
Dieu des cœurs, cédez la place ;
Non, non, ne regnez jamais.
Que Diane préside ;
Que Diane nous guide,
Dans le fond des forêts ;
Sous ses loix nous vivons en paix.
A la chasse, &c.
Une Chasseresse
Nos asyles
Sont tranquilles,
Non, non, rien n’a plus d’attraits.
Les plaisirs sont parfaits,
Auncun soin n’embarrasse,
On y rit des Amours,
On y passe les plus beaux jours.
A la chasse, &c.
On danse.
La mer s'agite ; on en voit sortir un monstre horrible.
Chœur
Quel bruit ! Quels vents ! Quelle montagne humide !
Quel monstre elle enfante à nos yeux ?
O Diane, accourez ; volez du haut des cieux.
Hippolyte s’avance vers le monstre.
Venez, qu’à son défaut je vous serve de guide.
Aricie
Arrête.
Chœur
Dieux ! Quelle flamme l’environne !
Aricie
Quel nuage épais ! Tout se dissipe ; hélas ?
Hippolyte ne paroît pas.
Je meurs.
Aricie tombe évanouie.
Chœur
O disgrace cruelle !
Hippolyte n’est plus.

SCENE IV

Phedre, chasseurs et chasseresses.
Phedre
Quelle Plainte en ces lieux m’appelle !
Chœur
Hippolyte n’est plus.
Phedre
Il n’est plus ! O douleur mortelle !
Chœur
O regrets superflus !
Phedre
Quel sort l’a fait tomber dans la nuit éternelle !
Chœur
Un Monstre furieux sorti du sein des flots,
Vient de vous ravir ce Héros.
Phedre
Non, sa mort est mon seul ouvrage ;
Dans les Enfers, c’est par moi qu’il descend ;
Neptune de Thesée a crû venger l’outrage ;
J’ai versé le sang innocent.
Qu’ai-je fait ? quels remords ! Ciel ! J’entens le tonnerre.
Quel bruit ! Quels terribles éclats ?
Fuyons ; où me cacher ? je sens trembler la terre ;
Les Enfers s’ouvrent sous mes pas.
Tous les Dieux conjurez, pour me livrer la guerre,
Arment leurs redoutables bras.
Dieux cruels, Vengeurs implacables,
Suspendez un courroux qui me glace d’effroi ;
Ah ! Si vous êtes équitables,
Ne tonnez pas encor sur moi ;
La gloire d’un Héros que l’imposture opprime ;
Vous demande un juste secours ;
Laissez-moi révéler à l’Auteur de ses jours,
Et son innocence & mon crime.
Chœur
O remords superflus !
Hippolyte n’est plus.
 

ACTE CINQUIÉME

Le Théâtre représente un Jardin délicieux, qui forme les avenuës de la Forêt d'Aricie : On y voit Aricie, couchée sur un lit de verdure.

SCENE PREMIERE

Aricie
Ou suis-je ? de mes sens j’ai recouvré l’usage ;
Dieux, ne me l’avez-vous rendu,
Que pour me retracer l’image
Du tendre Amant que j’ai perdu ?
La clarté se redouble.
Quel doux Concerts ! Quel nouveau jour m’éclaire !
Non, non ; ces sons harmonieux,
Ce Soleil qui brille à mes yeux,
Sans Hippolyte, helas ! Rien ne me sçauroit plaire.
Mes Yeux, vous n’êtes plus ouverts,
Que pour verser des larmes.
En vain d’aimables sons font retentir les Airs ;
Je n’ai que des soupirs, pour répondre aux Concerts,
Dont ces lieux enchantés viennent m’offrir les charmes.
Mes Yeux, vous n’êtes plus ouverts,
Que pour verser des larmes.
Diane descend dans une gloire.

SCENE II

Diane, Aricie, bergers & bergeres.
Chœur
Descendez, brillante Immortelle ;
Regnez à jamais dans nos bois.
Aricie
Ciel ! Diane ! Malgré ma disgrace cruelle,
Signalons l’ardeur de mon zèle
Pour la Divinité qui me tient sous ses Loix.
Chœur
Descendez, etc.
Aricie
Joignons nous aux voix
De cette Troupe fidelle.
Descendez, brillante Immortelle.
Chœur
Regnez, etc.
Diane
Peuples toûjours soûmis à mon obéïssance,
Que j’aime à me voir parmi vous !
Je fais mes plaisirs les plus doux
De regner sur des cœurs où regne l’innocence.
Pour dispenser mes Loix dans cet heureux séjour,
J’ai fait choix d’un Heros qui me chérit, que j’aime ;
Célébrez cet auguste jour ;
Que pour ce nouveau Maître, ainsi que pour moi-même,
Les plus beaux jeux soient préparez.
Allez-en prendre soin. Vous, Nymphe, demeurez.

SCENE III

Diane, Aricie.
Diane
Et vous : Troupe à ma voix fidelle,
Doux Zephirs, volez en ces lieux ;
Il est temps d’apporter le dépôt précieux
Que j’ai commis à vôtre zéle.
Les Zephirs amenent Hippolyte dans un Char.

SCENE IV

Diane, Hippolyte, Aricie.
Hippolyte et Aricie
Aricie Hippolyte, est-ce vous que je voi.
Que mon sort est digne d’envie !
Le moment qui vous rend à moi,
Est le plus heureux de ma vie.
Diane
Tendres Amans, vos malheurs sont finis ;
Pour votre Hymen tout se prépare :
Ne craignez plus qu’on vous sépare,
C’est moi qui vous unis.
Bruits de musettes
Diane
Les Habitans de ces retraites
Ont préparé pour vous les plus aimables jeux ;
Et déja leurs douces Musettes
Annoncent le moment heureux,
Où vous allez regner sur eux.

SCENE V

Diane, Hippolyte, habitants de la Forêt d'Aricie.
Chœur
Chantons sur la Musette,
Chantons.
Au son qu’elle répette,
Dansons.
Que l’Echo fidèle
Rende nos chansons.
Chantons, etc.
Bergère trop cruele,
Goûtez les tendres leçons.
Chantons sur la Musette, etc.
On danse.
Une Bergère
Plaisirs, doux Vainqueurs,
A qui tout rend les Armes,
Enchaînez les cœurs ;
Plaisirs, doux Vainqueurs,
Rassemblez tous vos charmes ;
Enchantez tous les cœurs.
Que l’Amour a d’appas ;
Regnez, ne cessez pas
De voler sur ces pas.
Plaisirs, doux Vainqueurs, etc.
C’est aux Ris, c’est au Jeux
D’embellir son Empire ;
Qu’aussi-tôt qu’on soupire,
L’on y soit heureux.
Plaisirs, doux Vainqueurs, etc.
On danse.
Diane
Bergers, vous allez voir combien je suis fidèle
A tenir ce que je promets ;
Le Heros, qui sur vous va regner desormais,
Sera le prix de votre zèle.
Chœur
Que tout soit heureux sous les Loix
Du Roi que Diane nous donne ;
Que tout applaudisse à son choix ;
C’est la Vertu qui le couronne.
On danse.
Aricie
Rossignols amoureux, répondez à nos voix ;
Par la douceur de vos ramages,
Rendez les plus tendres hommages
A la Divinité qui regne dans nos Bois.
 
Un ballet général termine le Divertissement.