LES HORACES

ACTE PREMIER

Le Théâtre représente l’extérieur du Temple d’Egérie, au milieu de l’enceinte qui lui est consacrée.

SCÈNE PREMIÈRE

Camille suivie de ses femmes, jeunes filles qui portent des offrandes : elles restent au fond du Théatre, Camille s’avance avec ses femmes.
Une des femmes
D’où naît le trouble qui vous presse ?
Vous tremblez à l’aspect de ces augustes lieux !
Un mot peut dissiper cette sombre tristesse,
Osez sur vos destins interroger les Dieux.
Camille
J’ai déja prévu leur réponse,
Un noir pressentiment d’avance me l’annonce :
Un mot peut me donner la mort,
Hélas ! fuyons plutôt sans connoître mon sort,
Fuyons.
Une des femmes
Fuyons.Non, demeurez.
Camille
Fuyons. Non, demeurez.Que faut-il que j’espère ?
Une des femmes
Qu’Albe ou Rome triomphe, en ce moment fatal,
Votre père pourrait…
Camille
Votre père pourrait…Que tu le connois mal !
Ces noms si doux & de fille & de père
Dans son cœur tout Romain sont des noms sans pouvoir.
Et sur quoi fonder mon espoir ?
Pensez-vous que pour gendre il acceptât un homme
Que seroit ou l’esclave ou le maître de Rome ?
Une des femmes
Lui-même enfin, lui-même avoit formé ces nœuds.
Camille
Ah ! ce jour à la fois heureux & malheureux
Fit naître & détruisit ma plus chère espérance.
Mon père me donnoit à l’objet de mes vœux,
Albe et Rome approuvoient cette illustre alliance.
Soudain, le sort jaloux
Des deux états détruit l’intelligence,
La guerre en un moment brise des nœuds si doux.
Un même jour me donne & m’ôte à ce que j’aime,
Le malheur naît pour moi du sein du bonheur même.
 
Pour Albe, hélas ! quels vœux me sont permis ?
Je ne puis séparer sa cause de la nôtre :
Mon cœur, entre les deux, flotte encore indécis,
Mes frères sont pour l’une & mon amant pour l’autre ;
D’un & d’autre côté je ne vois que malheurs ;
N’espérez pas que j’y survive.
Ah ! je devrai, quoi qu’il arrive,
Mes larmes aux vaincus & ma haine aux vainqueurs.
(Le fond du Théatre s’ouvre & laisse voir la statue d’Egérie.)
Une des femmes
Déja le sanctuaire s’ouvre,
D’Egérie à nos yeux l’image se découvre :
Avancez.
Camille
Avancez.Je frémis, vous, soutenez mes pas,
Allons, je vais chercher la vie ou le trépas.
(Les jeunes filles portant les offrandes, précedent & suivent Camille sur une marche religieuse. Elles déposent leurs dons au pied de l’autel.)
Déesse secourable,
Je t’invoque en tremblant ;
Du doute qui m’accable
Fais cesser le tourment.
Faut-il que je renonce
À la plus tendre ardeur ?
Hélas ! tout mon bonheur
Dépend de ta réponse.
Chœur
Faut-il qu’elle renonce
À la plus tendre ardeur ?
Hélas ! tout son bonheur
Dépend de ta réponse.
L'oracle
La guerre entre Albe & Rome aujourd’hui doit finir :
Ce jour à ton amant va pour jamais t’unir.
(La statue se recouvre.)
Camille
Ce jour à ton amant va pour jamais t’unir ;
Pour jamais… mon cher Curiace !
Mais où m’emporte un espoir trop flatteur !
Quand de tous ces fléaux la guerre nous menace,
Malheureuse ! est-ce à moi d’oser croire au bonheur ?…
Mais quoi ! l’oracle est la voix des Dieux mêmes.
Je l’ai bien entendu, ce n’est point une erreur,
Quand le Ciel a parlé, le doute est un blasphême.
 
Oui, mon bonheur est assuré
Je ne puis en douter sans crime.
Mon cœur, de plaisir enivré,
Cède au doux espoir qui l’anime.
Oui, tous nos malheurs sont passés,
Reviens, ô mon cher Curiace,
Reviens, & que ta main efface
Les pleurs cruels que j’ai versés.

SCÈNE II

Le peuple en foule inonde les portiques du temple : il doit être composé de femmes, d’enfans & de vieillards.
Chœur
Secourez-nous, ô puissante Egérie,
Protègez de Numa le peuple infortuné.
Camille
Ciel ! & quoi ?
Un coriphée
Ciel ! & quoi ?Du combat le signal est donné.
Camille
Je meurs !
Une partie du peuple
Je meurs !Malheureuse patrie !
Tous
Secoure-nous, ô puissante Egérie,
Protège de Numa le peuple infortuné.
Camille
Et voilà donc la foi que l’on doit aux oracles !
Pourquoi d’un faux bonheur m’annoncer les appas,
Dieux vains ! tremblante, hélas ! devant vos tabernacles,
J’aurois cru faire un crime en ne vous croyant pas.
Voilà donc le bonheur dont je m’étois flattée !
Hélas !
Le Chœur
Hélas !Déesse redoutée,
Dans ce moment peut-être on est aux mains
Veille sur nous, combats pour les Romains.

SCÈNE III

Le vieil Horace, Horace, Curiace, Chevaliers d’Albe & de Rome, les Précédents.
Le vieil Horace
Peuples, dissipez vos alarmes,
Les Dieux nous ont donné la paix.
Camille et le peuple
Ciel !
Le vieil Horace
Ciel !Albe & Rome ont déposé leurs armes.
Camille avec transport
Grands Dieux ! Ah ! pardonnez mes transports indiscrets !
Curiace à Camille
Chere Camille, enfin je puis revoir vos charmes.
Camille
Ah ! tu m’as coûté bien des larmes !
Le peuple
Quel miracle a produit ces étonnans effets ?
Le vieil Horace
Un Dieux, qui parle aux cœurs. Déja les deux armées
D’une égale fureur paroissoient animées ;
On alloit en venir aux mains…
Entre les deux partis soudain Tulle s’avance :
On s’arrête, on l’entoure, on l’écoute en silence :
Albains, dit-il, & vous, écoutez-moi Romains !
 
Dieux ! quelles fureurs sont les nôtres.
Je vois à notre aspect la nature frémir !
Vos fils sont nos neveux, nos filles sont les vôtres,
Le sang de mille nœuds a voulu nous unir.
D’un sang si précieux pourquoi souiller la terre ?
Qu’entre vous, qu’entre nous trois guerriers soient choisis !
Et que notre intérêt, entre leurs mains remis,
Fasse un simple combat d’une effroyable guerre.
Le peuple
O roi, le modèle des rois !
Oui, les Dieux t’inspiroient, ils parloient par ta voix !
Le vieil Horace
Vous eussiez vu soudain dans l’une & l’autre armée
La joie & la concorde enflammer tous les cœurs.
D’un égal intérêt l’une & l’autre animée
Ne songe plus qu’au choix de ses trois défenseurs.
Romains, quelle gloire à prétendre !
Trop heureux les héros qui sauront nous défendre !
Le jeune Horace
Que je leur porte envie !
Le vieil Horace
Que je leur porte envie !O noble & cher transport !
Les Dieux veillent sur ma patrie,
Et dans des dignes mains ils remettront son sort.
(à Curiace.)
Toi dont Albe se glorifie,
Par tes hautes vertus dignes d’être Romain
Deviens mon fils en recevant sa main.
Camille & Curiace
Mon père !
Le vieil Horace à Camille
Mon père !Tu le peux, sans hasarder ma gloire
Soit que Rome triomphe ou qu’Albe ait la victoire
Le vaincu du vainqueur reconnoîtra les loix,
Sans honte, sans tributs servils ;
Et nos états, unis par choix,
Ne seront qu’un empire & qu’un peuple en deux villes.
Le peuple
O du sort trop heureux retour ?
Camille & Curiace
Que nous devons de graces à l’amour.
Camille
Curiace !
Curiace
Curiace !Camille !
Camille
Curiace ! Camille !O mon père !
Le vieil Horace
Curiace ! Camille ! O mon père !Ma fille !
Curiace & Camille
Que nous devons de graces à l’amour !
Le vieil Horace
O Ciel ! sur Rome & ma famille
Verse tes bienfaits en ce jour !
Curiace & Camille
Du sein des plus rudes alarmes
Ainsi le bonheur naît pour nous.
Le vieil Horace
Il doit en paroître plus doux :
Le malheur lui prête des charmes.
Le peuple
O du sort trop heureux retour !
Camille & Curiace
Que nous devons de graces à l’amour !
Le peuple, Curiace, & Camille
O Ciel sur Horace & sa fille
Verse tes bienfaits en ce jour.
Le vieil Horace, le jeune Horace
O Ciel sur Rome & ma famille
Verse tes bienfaits en ce jour.
DIVERTISSEMENT GÉNÉRAL
Fin du premier acte
 

PREMIER INTERMEDE

Le Théâtre représente le Temple de Jupiter-Capitolin. On voit dans le fond, l’Autel & la Statue de ce Dieu. Le Roi, les principaux Chefs de l’Armée, & le Sénat Romain occupent le Sanctuaire. Le peuple est sur la partie extérieure. Les Prêtres entrent sur une marche noble & imposante.
Le grand prêtre
Le Sénat, rassemblé sous ces voutes sacrées,
Va choisir trois Héros pour être nos vengeurs :
Puissent nos voix, par les Dieux inspirées,
Nommer à cet état de dignes défenseurs !
Vous, Romains, à nos vœux unissez vos prières,
Le salut de l’Etat dépend de ce grand choix :
Priez les Dieux protecteurs de nos loix,
De verser sur nous leurs lumières.
Le grand prêtre
Puissant moteur de l’univers,
O toi dont l’essence suprême
Assujettit le Destin même,
Que sur nous, tes yeux soient ouverts.
Le grand prêtre
Foibles jouets des destinées,
Que pouvons-nous sans ton secours ?
C’est lui seul qui de nos années
Arrête ou prolonge le cours.
Le peuple
Puissant moteur, &c.
Le grand prêtre
Les jours tristes, les jours sereins,
La douce paix, l’affreuse guerre,
Et la rosée & le tonnerre,
Tout part de tes puissantes mains.
Le peuple
Puissant moteur, &c.
Livret imprimé
Le grand prêtre
Hélas ! devant ton trône auguste
Que sont tous les foibles humains ?
Mais ta voix règle leurs destins,
Et c’est l’espérance du juste.
Le peuple
Puissant moteur, &c.
 
Après l’Hymne, on brûle l’encens, on fait les libations, &c. Les cérémonies finies avec la pompe convenable, le Grand-Prêtre s’avance du côté du peuple & chante l’air suivant.
Le grand prêtre
O Rome ! ô ma patrie !
Choisis, on te présente ou le sceptre, ou des fers.
Eveille ton puissant génie,
Souviens-toi que les Dieux t’ont promis l’univers,
L’espoir de tes enfans sur leurs décrets se fonde,
Jupiter même a réglé ton destin :
Tes ennemis t’attaqueront en vain,
Rome doit être un jour la maîtresse du monde.
Le peuple
Ses ennemis l’attaqueront en vain,
Rome doit être un jour la maîtresse du monde.
 
Le Grand-Prêtre revient à l’Autel, finit les sacrifices, puis se retournant du côté du sénat, il dit :
Le grand prêtre
Roi, Pontifes, Sénat, réunissez-vous tous :
Que nos trois défenseurs soient nommés ce jour même !
Sur le grand choix que Rome attend de vous,
Je vous promets des Dieux l’assistance suprême.
 
Le Roi, les Prêtres, les Chefs de l’armée, le Sénat se retirent sur une marche regulière & sont supposés aller dans la Salle du Capitole, destinée aux assemblées du Sénat.
Le peuple
O Dieux, défenseurs de nos loix
Inspirez le Sénat & parlez par sa voix !
Fin de l’intermède
 

ACTE II

Le Théâtre représente un appartement du Palais d’Horace.

SCENE PREMIERE

Camille, Curiace, le jeune Horace.
Camille
Ainsi le Ciel pour jamais nous rassemble !
Le jeune Horace
Sur le bonheur public le nôtre est affermi.
Curiace
Que mon sort est heureux ! Ce jour me rend ensemble
Et ma maîtresse & mon ami.
Horace
Il unira d’une chaine éternelle
Nos familles & nos états.
Curiace
Quel Dieu propice, après tant de débats,
A pu former une union si belle ?
Horace
Que ce Dieu bienfaisant en bénisse le cours !
Camille
Qui l’eût dit, que ce jour, marqué par tant d’alarmes,
Seroit le plus beau de mes jours !
Ensemble
Douce paix, transports pleins de charmes,
Ah ! puissiez-vous durer toujours !
Chœur derrière le Théatre
Vive à jamais le nom d’Horace
Horace
Qu’entends-je ?

SCÈNE II

Le vieil Horace, Chevaliers Romains, les Précédens.
Le vieil Horace
Qu’entends-je ?Viens, mon fils, que ton père t’embrasse.
Camille
Ah ! Rome l’a choisi pour notre défenseur !
Curiace & les romains
Rome a rendu justice à sa haute valeur.
Le vieil Horace
Tes deux frères & toi partagent cet honneur.
Horace
A ce suprême honneur eussions-nous pu prétendre ?
Les chevaliers
Les Dieux ont fait ce choix : seuls ils l’ont pu dicter.
Le vieil Horace
Moins nous devions l’attendre,
Plus il faudra le mériter.
Horace
Mon père ! et je le jure à vous, à ma patrie
Ou Rome sera libre, ou je ne serai plus.
Le vieil Horace
Mourant pour son pays, on meurt digne d’envie.
Les chevaliers
Nos vœux ne seront point déçus.
Horace
Dieux, protecteurs du Tibre !
Tranchez mes jours & sauvez mon pays !
Je reçois de ma vie un assez digne prix,
Si Rome par ma mort est triomphante & libre.
Le vieil Horace
O de Rome heureux défenseur,
Cours, vole où la gloire t’appelle !
Tes frères, pleins du même zèle,
T’attendent aux champs de l’honneur.
Les chevaliers
O de Rome heureux défenseur,
Cours, vole où la gloire t’appelle !
Le vieil Horace
Quel Romain n’envieroit cet immortel honneur !
Tous brigueroient en foule une mort aussi belle.
Les chevaliers
O de Rome heureux défenseur,
Cours, vole où la gloire t’appelle !
Horace
Amis, vous embrasez mon cœur !
Je vole où la gloire m’appelle…
Mais un soldat Albain s’avance ici vers nous.

SCÈNE III

Un envoyé d’Albe, les Précédens.
Curiace à l’Albain
Quels sont les trois guerriers que le choix d’Albe honore ?
L'Albain
Seigneur ! l’ignorez-vous encore ?
Curiace
Achevez, qui ?
L'Albain
Achevez, qui ?Vos deux frères & vous.
Camille
Curiace !
Curiace & les Romains à voix basse
Curiace !Grands Dieux !
L'Albain
Curiace ! Grands Dieux !Vous semblez vous confondre,
Blâmeriez-vous ce choix ?
Curiace
Blâmeriez-vous ce choix ?Il a dû me confondre.
Je m’estimois trop peu pour un si grand honneur.
Ah ! Camille !
L'Albain
Ah ! Camille !Au Sénat que dirai-je, seigneur ?
Curiace
Que mon cœur, pénétré de cette grace insigne,
N’osoit pas y compter… mais qu’il s’en rendra digne.

SCÈNE IV

Les mêmes excepté l’Albain.
Les chevaliers
O déplorable choix ! triste & funeste honneur !
Curiace
O devoir rigoureux que l’honneur nous impose !
Camille à Horace & à Curiace
Ciel ! & quoi votre cœur
Ne se révolte pas à la loi qu’on propose !
Les chevaliers
O déplorable choix ! triste & funeste honneur !
Camille
Ah ! c’est un crime affreux qui doit vous faire horreur.
Horace
Appellez-vous forfait de servir sa patrie ?
Camille
Appellez-vous vertu, cet attentat impie ?
Les chevaliers
O déplorable choix ! triste & funeste honneur !
Horace
Je conçois tout notre malheur ;
Il peut nous étonner, mais non pas nous abattre.
Toi, reste, Curiace, & console ma sœur :
Je viendrai te rejoindre, & nous irons combattre.
Le vieil Horace
Vertu digne de Rome ! ô mon fils ! mon cher fils !
Voilà les sentimens que mon cœur t’a transmis !
(A Curiace & à Horace.)
Oui, mes enfans, votre infortune est grande,
Mon cœur, comme le vôtre, en a senti les coups :
Mais l’effort est digne de vous,
Et tout cède à l’honneur alors qu’il nous commande.
Je plains Camille, & permets sa douleur ;
Son malheur, sans doute, est extrême :
C’est à toi, Curiace, à raffermir son cœur ;
Rends-la digne de nous & digne de toi-même.
(Il sort, les Chevaliers & Horace le suivent.)

SCÈNE V

Camille, Curiace.
Camille
Iras-tu, Curiace ?
Curiace
Iras-tu, Curiace ?Ah ! dans ce jour fatal,
Je n’ai plus que le choix du crime ;
Pour moi le malheur est égal,
Et partout, sous mes pas, le sort creuse un abîme.
Victime de l’amour, victime de l’honneur,
Il faut trahir Camille, ou trahir ma patrie.
L’un & l’autre est affreux, l’un & l’autre est impie…
Mon cœur s’en effarouche, & j’en frémis d’horreur.
Je sens ma vertu qui chancelle,
Ne cherche point à m’attendrir ;
C’est l’honneur même qui m’appelle,
Camille, il lui faut obéir.
Camille
Non, je te connois mieux ; non, tu n’es point barbare.
L’amitié, la nature, & l’hymen & l’amour,
Rappelleront ta raison qui s’égare :
Tu ne trahiras point tant de droits en ce jour.
Curiace
Hélas !
Camille
Hélas !Et que prétends-tu faire ?
As-tu conçu l’horreur de cet ordre inhumain ?
Tu viendras donc m’offrir ta main
Fumante du sang de mon frère ?
Curiace
Ah ! laissez-moi, Camille !
Camille
Ah ! laissez-moi, Camille !Eh ! quoi !
Ton nom consacré par la gloire,
N’est-il donc pas fameux par plus d’une victoire ?
Albe n’a-t-elle enfin d’autres guerriers que toi ?
Curiace
Ciel ! que proposes-tu ? tu veux que Curiace
D’un opprobre éternel se souille lâchement,
Qu’il déshonore & lui-même & sa race ?…
Ah ! tu l’espère vainement.
Livret imprimé
La vertu rentre dans mon ame,
L’honneur doit surmonter l’amour :
Camille, il vaut mieux, en ce jour,
Mourir en te perdant, que de vivre en infâme.
Camille
Eh bien ! je ne te retiens plus :
Cours, acheter l’honneur au prix d’un parricide,
Cède à la fureur qui te guide,
Mais que du moins avant tous nos nœuds soient rompus,
Frappe, ingrat !
Curiace
Frappe, ingrat !Je n’entends plus rien ;
Je vous fuis…
Camille arrêtant Curiace & se jettant à ses pieds.
Je vous fuis…A tes pieds tu veux donc que je meure ?
Curiace
Camille ! vous pleurez !
Camille
Camille ! vous pleurez !Hélas ! il le faut bien ;
Quand ta main m’assassine, il faut bien que je pleure !
(Curiace la relève ; il est attendri, elle continue :)
Par l’amour & par l’amitié,
Par ce nœud si doux qui nous lie !
Ne te montre point sans pitié,
C’est Camille en pleurs, qui te prie.
Curiace
Hélas ! tu déchire mon cœur,
Camille, ta douleur m’accable :
Laisse ton amant déplorable
Mourir, victime de l’honneur.
Camille
O Ciel ! quoi, ma prière est vaine ;
Je n’ai plus sur toi de pouvoir !
Curiace
Tu sais qu’un barbare devoir
Commande à mon cœur & l’entraîne.
Camille
Tu ne te souviens plus que ton cœur est à moi ?
Curiace
J’étois à mon pays avant que d’être à toi.
Ensemble
Curiace
O sort cruel ! devoir barbare
Hélas ! faut-il vous obéïr ?
Camille, il faut me fuir,
Le Ciel pour jamais nous sépare :
Oui, c’en est fait il faut partir.
Camille
Cœur insensible ! amant barbare !
Ainsi rien ne peut te fléchir !
Cruel, peux-tu me fuir !
Je sens que ma raison s’égare,
C’en est fait : je me sens mourir.

SCÈNE VI

Horace, Curiace, Camille.
Horace
Ne tardons plus : viens, suis-moi, Curiace !
Curiace
Marchons !
Camille
Marchons !Non, demeurez ; je ne vous quitte pas.
Horace
Ma sœur, quelle est donc cette audace ?
Ah ! marchons…
Camille
Ah ! marchons…Non, cruels, je m’attache à vos pas.
Vous ne commettrez pas ce crime abominable.
Curiace
Horace ! ah ! retenez ces horribles éclats.
Horace
Cet excès de foiblesse, ô Ciel ! est-il croyable.
Camille
Je veux intéresser Albe & Rome à mes cris.
Voyez quelle rage est la vôtre !
O Ciel ! deux frères, deux amis
Brûlent de se baigner dans le sang l’un de l’autre.

SCÈNE VII

Le vieil Horace, les Précédens.
Horace
Mon père !…
Le vieil Horace
Mon père !…Mes enfans, il est temps de partir.
Livret imprimé
Horace
Par ses vaines clameurs, ma sœur nous désespère.
Curiace
Seigneur, daignez la retenir.
Le vieil Horace
Allons, rentrez Camille.
Camille
Allons, rentrez Camille.Et vous aussi, mon père !
Partition
Le vieil Horace
Vous, Camille, rentrez.
Camille
Vous, Camille, rentrez.Mon père !
Quoi ! sur vous la nature a si peu de pouvoir ?
Le vieil Horace
La nature se taît où parle le devoir.
Ensemble
Le vieil Horace
Oui mes enfans partez sur l’heure.
Allez remplir votre devoir
Laissez Camille, & son vain désespoir.
Curiace & Horace
Allons, ami, partons sur l’heure
Allons remplir notre devoir :
Horace
Laissons Camille, & son vain désespoir.
Curiace
Allons éteindre un amour sans espoir.
Camille
Quoi c’est donc en vain que je pleure !
Quoi ? rien ne peut vous émouvoir :
On méprise mon désespoir.
Curiace au vieil Horace
Seigneur, en ce moment funeste,
Puis-je encor ?…
Le vieil Horace
Puis-je encor ?…Je t’entends : ne viens point m’attendrir
Va : remplis ton devoir… les Dieux feront le reste.
Camille
Tigres, allez combattre, & moi je vais mourir.
Le vieil Horace
Ma fille, allons, rentrez & laissez-les partir,
Ensemble
Le vieil Horace
Oui mes enfans, &c.
Horace & Curiace
Allons, ami, partons, &c.
Camille
Quoi c’est donc, &c.
Fin du second acte
 

SECOND INTERMÈDE

Le Théâtre représente une campagne des environs de Rome où les armées de Rome & d’Albe sont en présence. Les trois Horaces sont auprès du roi de Rome, & les trois Curiaces auprès du dictateur d’Albe. Un autel est placé au milieu des deux armées. Il est censé situé sur la ligne qui sépare les territoires des deux différens états. Un Grand-Sacrificateur, & plusieurs Prêtres inférieurs entourent l’Autel.
Le grand sacrificateur
Romains, Albains ! ce jour prévient votre ruine.
Ce pays inculte & désert,
De vos longs différens a trop long-temps souffert ;
Le Ciel pour jamais les termine.
Six guerriers choisis parmi vous,
Vont décider du sort de l’un & l’autre empire :
Ce jour même la guerre expire,
Et ce dernier combat nous réunira tous.
Jurez au nom des Dieux, par l’honneur & la gloire,
D’étouffer tout esprit de vengeance & d’aigreur :
Qu’Albe ou Rome en ce jour obtienne la victoire,
Jurez tous d’obéir au parti du vainqueur.
Les chefs des deux armées
Nous jurons tous aux Dieux, par l’honneur & la gloire
D’étouffer tout esprit de vengeance & d’aigreur.
Qu’Albe ou Rome en ce jour emporte la victoire,
Nous jurons d’obéir au parti du vainqueur.
Tous
Nous jurons d’obéir au parti du vainqueur.
Partition
Les Horaces, des freres.
Les Curiaces, des amis.
 
Après le serment, on donne le signal du combat dans les deux camps. Les six Champions sont conduits en présence. Dès qu'ils paroissent, les deux armées s’écrient en même temps :
Ciel !
Le signal recommence.
Les deux armées
Ciel !O crime ! ô honte éternelle !
La guerre même étoit moins criminelle
Que cet horrible choix.
Les Horaces & les Curiaces
Allons, volons où l’honneur nous appelle.
Les deux armées
De la terre & du Ciel c’est outrager les loix.
Les Horaces & les Curiaces
Allons, volons où l’honneur nous appelle.
Les deux armées
Nous ne souffrirons pas ce combat plein d’horreur.
Les Horaces & les Curiaces
Avançons…
Les deux armées
Avançons…Arrêtez !
Une foule de soldats des deux Armées quittent ses rangs. Ils se précipitent malgré les efforts des chefs pour les retenir. Ils veulent séparer les Champions qui s’obstinent au combat.
Pendant cette Pantommime.
Les chefs de l'armée
Avançons… Arrêtez !Révolte punissable !
Les Horaces & les Curiaces
Laissez-nous.
Les chefs de l'armée
Laissez-nous.De vos chefs reconnoissez la voix.
Les deux armées
Qu’Albe fasse un autre choix !
Que Rome fasse un autre choix !
Les Horaces & les Curiaces
Laissez-nous.
Les chefs de l'armée
Laissez-nous.De vos chefs reconnoissez la voix.
Les deux armées
Nous ne souffrirons point ce meurtre abominable
Partition
De la terre & du Ciel c’est outrager les loix.
Oui, la guerre étoit moins coupable
Que cet horrible choix.
La guerre est prête à s'allumer ; les deux rois s’approchent du Grand-Prêtre, ainsi que les principaux chefs de l’armée : ils délibèrent un moment ; & le grand Prêtre s’écrie :
Héros d’Albe & de Rome, & vous chefs & soldats,
Ecoutez !… & cessez d’inutiles débats.
Si le choix du Sénat vous blesse,
Allez tous consulter vos Dieux :
Qu’ils soit ou non désaprouvé par eux ;
Quel profane osera condamner leur sagesse !
Les deux armées
Oui, que les Dieux décident entre-nous !
Livret imprimé
Quoi qu’il puisse arriver, nous obéirons tous.
Partiton
À leur choix quel qu’il soit, nous nous soumettons tous.
On sépare les six Champions. On les emmène & l’intermède finit.
Fin de l’intermède
 

ACTE III

Le Théâtre représente la cour du Palais d’Horace.

SCÈNE PREMIERE

Camille seule
Que je vous dois d’encens, ô mes Dieux tutélaires !
Unique appui des malheureux,
Vous avez exaucé mes vœux,
Je retrouve par vous mon amant & mes frères.
Sans espoir sous les coups du sort,
J’étois restée anéantie.
Vous m’avez fait trouver la vie
Dans le sein même de la mort.

SCÈNE II

Le vieil Horace, Chevaliers Romains, Camille.
Camille
Mon père, ah ! prenez part à la publique joie,
Et souffrez qu’à vos yeux la mienne se déploie.
Le vieil Horace
Ma fille, devant vous je dois en convenir,
Je chéris Curiace & j’estime ses frères :
Mon cœur n’a pu sans déplaisir
Voir combattre aujourd’hui des personnes si chères ;
Mais Rome commandoit, il falloit obéir.
Camille
Ah ! que son choix m’a fait souffrir !
Le vieil Horace
Le Ciel va prononcer sur la cause commune,
Il peut ou réprouver ou confirmer ce choix.
Camille
Ah ! loin de moi cette idée importune :
Non, les Dieux ne sauraient dicter d’injustes loix.
Ils inspiroient le peuple, ils parloient par sa voix.

SCÈNE III

Un Romain, les Précédens.
Le Romain
Vos trois fils sont aux mains, seigneur, & les Dieux mêmes
D’Albe & de Rome ont confirmé le choix.
Camille
Qu’entends-je ?
Le vieil Horace
Qu’entends-je ?Adorons leurs loix.
Soumettons-nous, Romains, à leurs décrêts suprêmes.
Les Romains
Pour ces illustres défenseurs
Adressons aux Dieux nos prieres.
Camille à part
Comment leur dérober mes pleurs !
Le vieil Horace
Grands Dieux ramenez-les vainqueurs.
Les Romains
Exaucez-nous Dieux tutélaires !
Camille à part
Ciel ! confonds leurs vœux sanguinaires !
Livret imprimé
Le vieil Horace à Camille
Je vois tes pleurs prêts à couler ;
Quand les Dieux ont parlé toute plainte est coupable.
Camille
Les Dieux n’ont point dicté cet ordre abominable
Vos prêtres les ont fait parler.
Le vieil Horace
Malheureuse ! qu’ose-tu dire ?
Camille
Hélas ! mon ame se déchire,
La frayeur trouble ma raison.
Le vieil Horace
Songe à l’honneur de ma maison.
Les Romains
Songez que vous êtes Romaine.
Camille
Hélas ! pour mériter ce nom
Faut-il donc cesser d’être humaine ?
Le vieil Horace
Cache-moi ces indignes pleurs ;
Sois Romaine, imite tes frères.
Les Romains
Pour ces illustres défenseurs
Adressons aux Dieux nos prières.
Camille
Eh ! comment retenir mes pleurs ?
Le vieil Horace
Grands Dieux ! ramenez-les vainqueurs !
Ensemble avec les Chevaliers
Exaucez-nous Dieux tutélaires !
Camille à part
Ciel ! confonds leurs vœux sanguinaires !
Femmes derrière le Théatre
O sort cruel ! destins contraires !
Le vieil Horace
D’où viennent ces tristes clameurs ?
Ensemble
Veillez sur nous, Dieux tutélaires !

SCÈNE IV

Plusieurs femmes entrant effrayées sur la scène, les Précédens.
Les femmes
O sort cruel ! destins contraires !
Le vieil Horace & les Romains
Ciel ! que présagent ces douleurs ?
Les femmes
Albe triomphe & Rome est asservie.
Tous
Ô funeste combat, malheureuse patrie !
Le vieil Horace
Mes fils ne sont donc plus ?
Une femme
Mes fils ne sont donc plus ?Un seul vous reste, hélas !
Ses frères, à nos yeux, ont reçu le trépas.
Le vieil Horace
Quoi ? lorsqu’Albe triomphe un de mes fils respire !
On vous a fait un faux rapport,
Si Rome a succombé, mon dernier fils est mort.
Une femme
Ainsi que moi, tous pourront vous le dire,
Long-temps, avec courage, il avoit combattu ;
Mais resté seul contre trois adversaires,
Et n’espérant plus rien de sa haute vertu,
Sa fuite l’a sauvé du destin de ses frères.
Le vieil Horace
O crime, dont la honte en rejaillit sur nous !
O fils lâche & perfide ; opprobre de ma vie !
Camille
Mes frères !
Le vieil Horace
Mes frères !Arrêtez, ne les pleurez pas tous.
Deux jouissent d’un sort trop digne qu’on l’envie.
Que des plus nobles fleurs leurs tombeaux soient couverts !
Que Rome leur consacre un éternel hommage !
Que leur noms, révérés en cent climats divers,
A nos neveux surpris soient cités d’âge en âge !
Mais leur indigne frère, après sa lâcheté,
Qu’il traîne, avec mépris, sa honte & sa misère !
Qu’il soit partout errant, & partout rebuté,
Maudit du monde entier comme il l’est de son père !
Camille
Daignez prendre pour lui de plus doux sentimens
Voulez-vous rendre, hélas ! notre sort plus funeste ?
Un Romain
Craignez de vous livrer à vos ressentimens
C’est votre fils enfin, c’est le seul qui vous reste.
Le vieil Horace
Mon fils ! jamais il ne le fut.
S’il eût été mon sang il l’eût mieux fait connoître.
Un Romain
A tort, vous l’accusez peut-être
Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ?
Le vieil Horace
Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ?Qu’il mourût.
Vous cherchez vainement à pallier son crime :
J’en atteste le Ciel & l’honneur qui m’anime ;
Avant la fin du jour, ces mains, ces propres mains,
Laveront dans son sang la honte des Romains.
Chœur derrière le théatre
Du vainqueur, célébrons la gloire ;
Portons son nom jusques aux Cieux.
Ensemble
Le vieil Horace
De quels cris d’allégresse ont retentit ces lieux ?
Les Romains
L’air retentit des chants de la victoire !

SCENE V

Valere, Suite, les Précédens.
Valere au vieil Horace
Tandis qu’un fils victorieux
D’un triomphe si beau va rendre grace aux Dieux,
Souffrez qu’au nom du Roi, qu’au nom de Rome entière.
Le vieil Horace
Que prétendez-vous dire ? Expliquez-vous, Valère.
Quoi ! lorsqu’Albe à ses loix nous soumet aujourd’hui,
Quand mon fils !…
Valere
Quand mon fils !…De l’état c’est le Dieu tutélaire !
Il nous a sauvé tous, nous triomphons par lui.
Le vieil Horace
Eh, quoi ? sa fuite ?…
Valere
Eh, quoi ? sa fuite ?…A fait notre victoire.
Ignorez-vous encor la moitié du combat.
Camille à part
Je tremble.
Valere
Je tremble.Apprenez donc le bonheur de l’état ;
Et d’un fils immortel le courage à la gloire.
Resté seul, n’osant plus compter sur sa valeur,
Il feint de fuir ; les Curiaces
Le poursuivent avec fureur,
Mais d’un pas inégal chacun d’eux suit ses traces :
Il les voit divisés, se retourne, & d’abord
Sous ses coups votre gendre expire.
(Camille jette un cri & s’évanouit. Ses femmes l’emmènent.)
Camille
Ciel !
Valere
Livret imprimé
Ciel !Le second éprouve un même sort,
Partition
Ciel ! Le second accourt, double d'effort,
Son courage n’y peut suffire,
Il éprouve le même sort,
Et la mort du troisième assure notre empire.
Le vieil Horace
O noble appui de ton pays !
Gloire éternelle de ta race !
O mon fils, ô mon cher Horace !
Reviens, que ma tendresse efface
La honte du soupçon qui trompa nos esprits !
Les honneurs que Rome t’apprête
De ta haute valeur seront le digne prix :
Nous allons couronner ta tête
Des lauriers immortels que ta main a conquis.
Les Romains reprennent
Nous allons couronner sa tête
Des lauriers immortels, &c.

SCENE VI

Horace, Peuple, les Précédens. Horace est porté en triomphe.
Chœurs du peuple
Du vainqueur célébrons la gloire,
Portons son nom jusques aux Cieux.
Le vieil Horace
Mon cher fils !
Horace
Mon cher fils !Heureuse victoire !
J’en reçois dans vos bras un prix bien glorieux.
Le chœur
Du vainqueur célébrons la gloire,
Portons son nom jusques aux Cieux.
Horace à son père
Peu content des honneurs dont sa bonté m’accable
Le roi, chez vous, veut lui-même venir ;
Et peut-être aujourd’hui…
Le vieil Horace
Et peut-être aujourd’hui…Je cours le prévenir :
Jamais à ses sujets un roi n’est redevable ;
Et l’on est trop payé d’avoir pu le servir.
(Le vieil Horace sort. On danse.)
DIVERTISSEMENT
Chœur
Les Dieux, de l’univers, nous ont promis l’empire :
Le bras d’Horace accomplit leurs décrets !
Sa gloire est leur ouvrage ; ils ont daigné l’élire :
Nous devons tout à ses succès.
(On danse.)

SCENE VII

CAMILLE, les Précédens.
(Elle entre avec beaucoup de fureur.)
Ou suis-je ? & quel transport coupable !
Quoi ? Rome au fratricide élève des autels !
(La fête s’interrompt : les personnages qui la composent s’écartent avec surprise.)
Une partie du chœur
C’est Camille !
Une autre cherchant à l’éloigner
C’est Camille !Arrêtez !
Camille les repoussant
C’est Camille ! Arrêtez !Cruels !
Laissez-moi contempler cette fête exécrable.
Horace
Qu’on l’éloigne, Romains !
Camille les repoussant avec plus de force, & s'approchant du char de triomphe
Qu’on l’éloigne, Romains !Perfides laissez-moi.
Horace
O, d’une indigne sœur, insuportable audace !
Camille appercevant les dépouilles de Curiace, qui ornent le char de triomphe
Ciel ! qu’est-ce que je voi ?
(Elle les arrache & les embrasse avec transports.)
O dépouilles sacrées ! ô mon cher Curiace !
Voilà donc aujourd’hui ce qui reste de toi !
(Elle pleure sur les dépouilles.)
Horace
O honte de mon sang ! ô coupable insolence !
(A Camille.)
Bannis d’un lâche amour le honteux souvenir,
Et sois digne de ta naissance.
Camille toujours pleurant
Hélas !
Horace
Hélas !Ne nous fais plus rougir ;
Et préfère du moins à l’amour d’un seul homme
La gloire de ton sang & l’intérêt de Rome.
Camille
Rome ! Je la déteste, ainsi que ta valeur ;
Plus tu blâmes mes pleurs, plus j’y trouve de charmes !
Rome élève un trophée au succès de tes armes,
Plus elle t’applaudit, plus tu me fais horreur.
Puissent les Dieux, lançant sur vous la foudre,
Et sur elle & sur toi, me venger aujourd’hui !
Puissé-je voir réduire en cendre
Ces féroces Romains dont ton bras fut l’appui !
Qu’à vos justes tourmens l’univers applaudisse !
Qu’on oublie à jamais Rome & son défenseur !
Qu’enfin de tant de maux seule je sois l’auteur
Pour accroître à la fois ma joie & ton supplice !
Livret imprimé
Horace mettant l’epée à la main & s’avançant pour frapper Camille.
C’est trop souffrir un mortel déshonneur
Et tout ton sang…
Camille saisissant un poignard
Et tout ton sang…Ose frapper ta sœur :
C’est un exploit digne de ton grand cœur.
(Elle se frappe.)
Je te l’épargne.
Les Romains
Je te l’épargne.Ciel !
Horace
Je te l’épargne. Ciel !Elle s’est fait justice…
Pourquoi faut-il, hélas ! que mon cœur en gémisse ?
Les Romains
Détournez vos regards de ce spectacle affreux…
(On l’emmène.)
Horace
Rome est libre, il suffit, rendons graces aux Dieux.
Partition
Horace
C’est trop souffrir un mortel déshonneur !
Valere
Ah seigneur, d’une amante excusés la faiblesse,
N’écoutés point ses transports furieux,
Que rien de ce grand jour ne trouble l’allégrese.
Rome est libre.
Horace
Rome est libre.Il suffit, rendons graces aux Dieux.
Les Romains
Rome est libre, il suffit, rendons graces aux Dieux.
FIN